Google
This is a digital copy of a book thaï was prcscrvod for générations on library shelves before it was carefully scanned by Google as part of a project
to make the world's bocks discoverablc online.
It has survived long enough for the copyright to expire and the book to enter the public domain. A public domain book is one that was never subject
to copyright or whose légal copyright term has expired. Whether a book is in the public domain may vary country to country. Public domain books
are our gateways to the past, representing a wealth of history, culture and knowledge that's often difficult to discover.
Marks, notations and other maiginalia présent in the original volume will appear in this file - a reminder of this book's long journcy from the
publisher to a library and finally to you.
Usage guidelines
Google is proud to partner with libraries to digitize public domain materials and make them widely accessible. Public domain books belong to the
public and we are merely their custodians. Nevertheless, this work is expensive, so in order to keep providing this resource, we hâve taken steps to
prcvcnt abuse by commercial parties, including placing lechnical restrictions on automated querying.
We also ask that you:
+ Make non-commercial use of the files We designed Google Book Search for use by individuals, and we request that you use thèse files for
Personal, non-commercial purposes.
+ Refrain fivm automated querying Do nol send automated queries of any sort to Google's System: If you are conducting research on machine
translation, optical character récognition or other areas where access to a laige amount of text is helpful, please contact us. We encourage the
use of public domain materials for thèse purposes and may be able to help.
+ Maintain attributionTht GoogX'S "watermark" you see on each file is essential for informingpcoplcabout this project and helping them find
additional materials through Google Book Search. Please do not remove it.
+ Keep it légal Whatever your use, remember that you are lesponsible for ensuring that what you are doing is légal. Do not assume that just
because we believe a book is in the public domain for users in the United States, that the work is also in the public domain for users in other
countiies. Whether a book is still in copyright varies from country to country, and we can'l offer guidance on whether any spécifie use of
any spécifie book is allowed. Please do not assume that a book's appearance in Google Book Search means it can be used in any manner
anywhere in the world. Copyright infringement liabili^ can be quite severe.
About Google Book Search
Google's mission is to organize the world's information and to make it universally accessible and useful. Google Book Search helps rcaders
discover the world's books while helping authors and publishers reach new audiences. You can search through the full icxi of ihis book on the web
at |http: //books. google .com/l
Google
A propos de ce livre
Ceci est une copie numérique d'un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d'une bibliothèque avant d'être numérisé avec
précaution par Google dans le cadre d'un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l'ensemble du patrimoine littéraire mondial en
ligne.
Ce livre étant relativement ancien, il n'est plus protégé par la loi sur les droits d'auteur et appartient à présent au domaine public. L'expression
"appartenir au domaine public" signifie que le livre en question n'a jamais été soumis aux droits d'auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à
expiration. Les conditions requises pour qu'un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d'un pays à l'autre. Les livres libres de droit sont
autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine et sont
trop souvent difficilement accessibles au public.
Les notes de bas de page et autres annotations en maige du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir
du long chemin parcouru par l'ouvrage depuis la maison d'édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains.
Consignes d'utilisation
Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages apparienani au domaine public et de les rendre
ainsi accessibles à tous. Ces livres sont en effet la propriété de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine.
Il s'agit toutefois d'un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris les
dispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant des
contraintes techniques relatives aux requêtes automatisées.
Nous vous demandons également de:
+ Ne pas utiliser les fichiers à des fins commerciales Nous avons conçu le programme Google Recherche de Livres à l'usage des particuliers.
Nous vous demandons donc d'utiliser uniquement ces fichiers à des fins personnelles. Ils ne sauraient en effet être employés dans un
quelconque but commercial.
+ Ne pas procéder à des requêtes automatisées N'envoyez aucune requête automatisée quelle qu'elle soit au système Google. Si vous effectuez
des recherches concernant les logiciels de traduction, la reconnaissance optique de caractères ou tout autre domaine nécessitant de disposer
d'importantes quantités de texte, n'hésitez pas à nous contacter Nous encourageons pour la réalisation de ce type de travaux l'utilisation des
ouvrages et documents appartenant au domaine public et serions heureux de vous être utile.
+ Ne pas supprimer l'attribution Le filigrane Google contenu dans chaque fichier est indispensable pour informer les internautes de notre projet
et leur permettre d'accéder à davantage de documents par l'intermédiaire du Programme Google Recherche de Livres. Ne le supprimez en
aucun cas.
+ Rester dans la légalité Quelle que soit l'utilisation que vous comptez faire des fichiers, n'oubliez pas qu'il est de votre responsabilité de
veiller à respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domaine public américain, n'en déduisez pas pour autant qu'il en va de même dans
les autres pays. La durée légale des droits d'auteur d'un livre varie d'un pays à l'autre. Nous ne sommes donc pas en mesure de répertorier
les ouvrages dont l'utilisation est autorisée et ceux dont elle ne l'est pas. Ne croyez pas que le simple fait d'afficher un livre sur Google
Recherche de Livres signifie que celui-ci peut être utilisé de quelque façon que ce soit dans le monde entier. La condamnation à laquelle vous
vous exposeriez en cas de violation des droits d'auteur peut être sévère.
A propos du service Google Recherche de Livres
En favorisant la recherche et l'accès à un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont le français, Google souhaite
contribuer à promouvoir la diversité culturelle grâce à Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche de Livres permet
aux internautes de découvrir le patrimoine littéraire mondial, tout en aidant les auteurs et les éditeurs à élargir leur public. Vous pouvez effectuer
des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l'adresse fhttp: //book s .google . coïrïl
.j j 1
r ^
'■~^^
18 3 7
IH^H ARTILS
saEtmA
^^ll'''J^'
VERITAS
V
I^^^H wI^BbL
^^I^^^IH
^^^^^H-'^iiS^^^'^'' -^^^^BSi\
^^^Hiffl^iuiSHHHi
^^^^^^^HV v: .;JP.. ■■ '^y^^^^^^^B
FNIVIHSnT^F MTcHIGÂïf 1
HENUT VIGNAUD
1 IIBRARY
ï
/
« H: V
ot
ŒUVRES COMPLETES
Ue Eutebeuf,
TROUVÈRE DU XIII* SifiCLI.
:a'?--
'Pari8^7>^rjfnprimerie aélcan-Lévy, 6i, ruedcLafayette,
ŒUVRES COMPLÈTES '
TROUVÈRE DU XIII* SIÈCLE ,
lificueillies etmises aujourpour la première/ois.
a4CHILLE JUBIU^AL,
NOUVfclLLE ÉDITION,
nvue et corrigie.
TOME DEUX
PARIS,
Padl DAFFIS', éditeur -propriétairk
db lt bibliothèque u
7, rue Guén^gtud,
H D£CC LXXIV.
; OEUVRES
Hc ÎHutfbfuf.
9t llnc^emer,
(C'ttt if |Srîcl)(iii(r '.
Mss. ;iig, 761S.
m'eAuet de Bricheuer
Qui jue de moi à la briche :
Endroit de moi je V doi amer ;
ie ne r tniis aefchars ce chiche.
N'a fî lai^e jufqu'outre mer,
t. L^p^nd d'Aussy a donné le texte de celte pièce
au tome V des Notices des manuierila, pages 411-
414, en l'accompagnant des réflexions suivantes :
u Cette pièce, purement littéraire, n'a rien d'histo-
rique ; je U donne comme un monument de notre
ancienne poésie, et spécialement comme un indice
RUTIBEUF. H. I
2 De Brichemer.
Quar de promeffe m'a fet riche :
Du forment qu'il fera femer
Me fera anc'ouan fiamiche.
Brichemer ^ eft de bel afère ;
10 N'eft pas uns hom plains de defroi :
certain du progrès qu'avait déjà fait Tart de la rime
vers le milieu du XIII» siècle.
J*ai dit ailleurs {Fabliaux, discours préliminaire,
2e édiUon^page io8), en parlant du mélange régu-
lier des rimes masculines et féminines, que nos
modernes avaient tort d*en attribuer l'usage aux poètes
du XVI» sièdef, et de regarder ces écrivains comme
les premiers qui en eussent donné l'exemple et fait
une règle; j'ai dit^ çt je Tai prouvé par des citations,
que plus de trois siècles auparavant nos vieux rimeurs
le connaissaient, et qu'ils l'employaient même sou-
vent, quoiqu'il ne fût point encore établi en loi.
Le Brichemer de Rjitebeuf va en offrir une preuve
nouvelle : il est composé de trois stances, chacune de
huit vers sur deux rimes, masculine et féminine, re-
/ doublées et croisées.
L'Épître elle-même n'est point sans talent : on y
trouvera un badinage assez léger pour son temps,
de l'harmonie dans la versification , de la finesse et de
la gaieté dans la raillerie, et même un mérite qu'on
ne s'attend pas à y trouver, celui de la grâce et du
bon ton. Elle peut donner une idée des poésies fugi-
tives d'alors. »
Je ne sais si Brichemer est le nom d'un individu
existant à l'époque de Rutebeuf , et son débiteui^, ce
qui est peu probable ( il aurait été plutôt son créan-
cier), ou un nom supposé, comme les poètes en em-
ploient souvent dans leurs épigrammes, ou enfin un
nom allégorique sous lequel on pouvait au XIII« siècle
découvrir à qui s'adressaient les vers de notre trou-
De Brichemer.
Cortois & douz & debonère
Le trueve-on , & de bel aroi ;
Mes n*en puis fors promefle atrère,
Ne je n'y voi autre conroi * :
1 5 Autele atente m'eihiet fère
Com li Breton font de lor roi ^.
Ha, Brichemer! biaus très douz fire^
vère. Tout ce que je puis dire, c'est que dans le Roman
du Renart le cerf s'appelle Brichemer,
Quant à la briche, c'était un jeu qu'on jouait assis,
et, par conséquent, À r^xi^e. C'est, je crois, le sens dans
lequel il faut entendre ici ce mot. Le supplément du
Glossaire 'd^ Ducange, au mot Bricolla, en cite plu-
sieurs exemples que voici : « Aucunes bachelettes
jouoient d'un jeu appelé la briche, et quant le sup-
pliant et Mathieu Burnel approuchèrent près d'eulx ,
Andrieu d'Azencourt print hors des mains des ditet
bachelettes le baston duquel bricher devoit. > UtU
remiss., an 1408. — Alice ^ an 141 1 : « Plusieurs
gens qui jouoient au geu de brische etgesant à terre»,
etc. — Litt. remiss, j ^n 1450. — Lesquelles filles
jouoient à ung jeu de la bricque».,; et plus loin c les
dit^ filles assises au dit jeu de la bricque, •
M. Paulin Paris qualifie notre pièce dejolie,et ajoute:
« Qu'on y trouvera de V esprit et même une sorte de
grâce dans les derniers vers, » En effet , Je sens des
deux derniers est très-fin , et l'on peut dire que la pièce
entière est un charmant badinage.
1, Ms. 7615. Var. Je n'i voi mes autre conroi. —
Conroi, dessein.
2. Parmi les prophéties qu'on attribuait à l'en-
chanteur Merlin, il y en avait une qui annonçait
qu^Artus, ce roi des Bretons si fameux dans nos ro-
mans de chevalerie, n'était pas mort réellement comme
4 De Brichemer.
Paie m'avez courtoifement ,
Quar voftre bourfe n'en empire ,
20 Ce voit chafcuns apertement ;
on le cro3rait, quMl reviendrait un jour régner de
nouveau sur la Grande-Bretagne, et qu'alors il la
rendrait la plus florissante des monarchies. En con-
séquence de cette prédiction, les Anglais soupiraient
après la venue du grand roi Ârtus, comme les Juifs
après celle du Messie , et cette attente était devenue
proverbiale et dérisoire. On la citait pour exprimer
une espérance qui ne doit jamais se réaliser :
Et Britonum ridenda fîdes , pcr fsecuia multa
Arturium expectat, expectavitque pereonè.
J. IsACANus Anglus. — De Bello trojano.
Cil qui fafole à efcient
Avec les Bretons puet attendre
Artus qui jamais ne venra.
(Vie des Pères.)
M. Paulin Paris, au vers 6« de la page 238 du premier
volume de Garin le Loherrain, a placé la note sui-
vante : a Plusieurs manuscrits ajoutent ici ces deux
vers, qui me semblent une interpolation du Jongleur :
Comme as Bretons qui défirent toudis
Li roi Artu qu'eft dou fiècles parti.
Si le poôjne original contenait ces deux vers, il
faudrait en conclure que les fables de la Table ronde
ont été connue^ en France aussi anciennement que
les romans des Dous[e Pairs; mais les meilleures le-
çons et les plus anciennes ne les donnent pas. •
M. Francisque Michel, page 75 des notes de son
introduction au recueil de ce qui reste des Poèmes de
Tristan, déclare qu'il ne partage pas cette opinion,
et essaie de la réfuter par quelques exemples.
De Brichemek.
Mes une chofe vos viieil dire
Qui n'efi pas de grand couftement :
■ Ma promeflê feies efcrire ;
Si foit en votre teflament. "
<£rf)Unt ït 3tricl)tmtr.
Cl mcoumtnn
ii Wi) 'ht» Htbattr U (S^rtm.
Ms.7633.
[iBAUT, or eftes vos à point :
Li aubre defpoillent lor branches
[Et vos n'aveiz de robe point ;
^Si en aureiz froit à vos hanches ,
5 Queil vos fuflent or li^orpoint
Et li feurquot forrei à manches.
Vos aleiz en eitai (i joint,
Et en yver aleiz fi cranche ,
Voftre foleir n'ont meftier d*oint,
10 Vos faites de vos talons planghes.
Les noires mouches vos ont point ,
Or vos repoinderont les blanches * .
I. Le sens de cette pièce étant assez difficile à com-
prendre, je croîs devoir en donner ici une traduction :
M Ribauds, vous êtes maintenant à point. Les arbres
dépouillent leurs branches et vous n'avez point de
robe : vous en aurez froid à vos hanches j quels que
soient vos pourpoints et vos surcots fourrés à man>
ches. Vos souliers n'ont pas besoin d'être graissés, vos
talons vous servent de semelles. Si les mouches noires
vous ont piqués , bientôt ce sera le tour des blanches. •
N
Li
; Gbe
— Par les noires mouclies, je crois qu'il &ul t
■drc: 1m puces, qui viennent surtout durant l'été,
par les Manches... un autre genre de vi
de cet deux sens, assez peu. nobles, j'en convieas, ye
ne vois pas ce que pourraient signiSer les deux der-
niers vers du Dij des Ribaux deGreive, non plus que
'•:eui sur te mEme sujet qui se trouvent dans la pièce
intitulée : De la Griesche d'yver.
Crpltctt.
$a IDe^putoi^^n U Cl^aUot et W iBarbter^
<l^u ci tntonmtïict
"bt Cl^arfot et "bon iBarbtec U JKeleuti *
Mss. 7218,7633, 198N.-D
'autr'ier .i. jor jouer aloie
Devers TAuçoirrois Saint-Germain y
Plus matin que je ne soloie ,
Que ne lief pas volentîers main.
I. Chénier, dans sa leçon sur les Fabliaux fran^
çais t prononcée à l'Athénée, après avoir parlé du
Testament de Vâme^ quMl trouve plus gai que le
conte de frère Denise, qualifie la Disputoison de Char-
lot et du Barbier, du titre de 'Fabliau fort remarqua-
ble pour le temps.
Puis, après Pavoir analysé, il ajoute en forme de
conclusion : a Au XYIII» siècle , on ne parlait pas plus
nettement sur les croisades. Cependant , le philosophe
que Rutebeuf met en scène se laisse brusquement con-
vaincre^ et cette conclusion était apparemment néces-
saire pour faire passer le reste. £n des siècles plus,
éclairés, à la fin on a vu les talents du premier ordre
attaquer un préjugé et pourtant fléchir le genou devant
La Des^u^oison de Challot, etc. (y
5 Si vi Charlôt enmi ma voie ,
Qui le barbier tint par la main ,
Et bien monftroient toute voie .
Qu'ils n'èrent pas coufîn germain.
Il fe difoient vilonie
lo Et fi getoient gas de voir * ;
— « Charlot , tu vas en compaignie
le nom du préjugé même. Il faut savoir excuser ceux
qui croient ne pouvoir mieux faire et savoir apprécier
ceux qui font mieux. »
Dans un autre ordre d^dées , Legrand d'Aussy (édit.
de Renouard , t. 2, p. 2o3 ) a dit de notre pièce :
« Je ne sais si Ton ne devrait pas regarder comme
de YT9.\sjeux ces sortes de scènes que les ménétriers
débitaient quelquefois dans les fêtes auxquelles ils
étaient appelés, et qui représentaient des querelles.
J'ai trouvé dans les manuscrits trois de ces pièces : la
première est une querelle entre deux femmes de mau-
vaise vie; les deux autres sont des querelles d*hom-
mes. Tune sous le titre de Dispute du barbier et de
-Chariot, l'autre sous le titre de * Dispute de Renart
et de Peau-d^oie ( sobriquets de deux ménétriers ).
Toutes trois, sont divisées par strophes ou couplets
en rimes croisées , et alternativement chacun des que-
relleurs disait un des couplets. Très-probablement
c'était là des farces dramatiques, qui, comme nos
proverbes d'aujourd'hui, n'étaient composées que de
quelques scènes détachées. Peut-être' pourrais-je dire
la même chose du Dict de Vherberie, »
M. Paulin Paris trouve que cette pièce, pour le
fond du sujet, rappelle beaucoup les combats de ber-
gers de Tliéocrite et de Virgile.
I . Gas de voir, railleries pleines de vérités.
io La Desputoison
Por creftienté décevoir ;
C'eft trahifon & félonife ,
Ce.puet chafcuns apercevoir.
1 5 La teue loi foit.la honie :
Tu n'en as point, au dire voir. »
— f Barbier, foi que doit la baulive'
Où vous avez voftre repaire ,
Vous avez une goûte vive ;
20 James n'ert jor qu'il ne vous paire.
Saint Ladres a rompu la trive ,
Si vous a féru el viaire :
Por ce que cift maus vous eschive
Ne requerrez mes saintuaire. »
2 5 « — Charlot, foi que doifainte Jame,
Vous avez ouan famé prife :
Est-ce felonc la loi efclame
Que Kayfas vous a aprife ?
Vous créez autant Notre-Dame,
3o Où virginitez n'eft maumife ,
Com je crois c'uns afnes ait âme ;
Vous n'amez Dieu ne fainte Yglife. *
— « Barbier fahz rafoir, fanz cifailles, ij
Qui ne fez rooigner ne rère ,
35 Tu n'as ne bacins ne toailles ^ ,
I. Toailles : la copie de PÂrsenabmet ici en note :
« Linge à barbe. » Ce mot signifie, en effet : serviettes,
«ssuie-mains.
. '. *' ::
DE ChALLOT et du BaRBIER. II
Ne de qoî chaufer eve clère.
Il n'efl rien née * que tu vailles,
Fors â dire parole amère ;
S'outre mer fus, encor i ailles ,
40 Et fais proefce qu'il î père, i
— < Charlot , tu as toutes les lois :
Tu es juys & creflien ,
4. ' Tu es chevaliers & borgois ,
Et quant tu veus clerc arcien. *
45 Tu es maqueriaus chafcun mois , .
Ce dient bien li ancien ;
Tu fez fovent par ton gabois ^
Joindre .ij. eus à .i. lien. »
— « Barbier , or ell li tens venuz
3o De mal parler & de mefdire ,
Et vous ferez ainçois chenuz
Que vous lefliez cefle matire ;
Mes vous morrez povres & nuz,
Car vous devenez de Tempire ;
55 * Je fui por maqueriaux tenuz :
L'en vous retient à va-li-dire *. »
1 . Bien née^ aucune chose vivante.
2. Gabois, dérision, moquerie; mais je crois qu'il
faut traduire ici ce mot par : ton entremise, ton beau
parler.
3. Va-li'dire : la copie de l'Arsenal met ici en note :
« Nom d'un raccrocheur de femmes. • En picard ce
mot signifie : mauvais sujet, goujat.
12 ' La Desputoison
— <( Charlot, Charlot, biaus douz amis,
Tu te fez aus enfanz }e roi ;
Se tu i es , qui t'i a mis ^ ?
60 Tu i es autant comme à moi.
De fambler fols t'es entremis ,
Mes, par les iex dont je t^ voi ,
Tels fa argent en paume mis
Qui eft aflez plus fols de toi. »
65 — « Barbier, or vienent les groifeles ;
I . Ces trois vers et les deux derniers de la cinquième
strophe semblent indiquer que cette pièce était une
satire personnelle dirigée contre un certain Charles ou
Chariot, qui avait suivi saint Louis en Terre-Sainte, et
que je conjecture être le même que celui dont il est
question dans la pièce intitulée : De Chariot le Juif,
qui chia en la pel dou lièvre. Ce qui me le fait croire,
c'est que ce dernier, dans ce conte, est représenté
comme un ménestrel , par conséquent, comme un con-
frère de Rutebeuf, qui avoue lui-même avoir été à
une noce où se trouvait Chariot. Il n'y aurait donc rien
d*étonnant à ce qu'ils eussent été rivaux, et, par consé-
quent, ennemis. Du reste, malgré le sobriquet de mé-
pris {le Juif) que donne à Chariot le titre de la pièce ,
rien n'indique qu'il ait été réellement d'un judaïsme
autre que celui que le barbier reproche à son interlo-
cuteur :
Chariot , tu as toutes les lois :
Tu es juys & creftien , &c.
Ce qui vient encore confirmer mon hypothèse , c'est
que Rutebeuf fait dire au barbier, en parlant de Char-
iot, qu'il s'attache aux enfants du roi et qu'il essaye
de se faire passer pour leur fou : or, qui était plus
propre à remplir cette dernière fonction de jongleur?
DE Challot et du Barbirr. i3
Li groifelier font boutoné ,
Et je vous raport les no vêles
Qu'el front vous font li borjon né
Ne fai fe ce feront cenèles '
70 Qui ce vis ont avironé :
Els feront vermeilles & bêles
Avant que Ten ait moifTonné. »
— «f Ce n'eft mie méfelerie ,
Charlot , ainçois efl goûte rofe ,
y S Foi que je doi Sainte Marie
Que vous n'amez de nule chofe.
Vous créez miex en juerie ^ ,
Qui la' vérité dire en ofe,
Qu'en celui qui par feignorie
80 A la porte d*enfer defclofe.
« Et nequedent ^ fe Rustebues ,
Qui nous connoift bien a .x. anz *
T. Cinèles : Ce mot est encore en usage dans car-
taines provinces; on s'en sert dans le département
du Loiret pour désigner de petites prunes sauvages.
2. On trouve dans le prologue de la Résurrection du
Sauveur y mystère que j'ai publié en 1834 ( Paris, Te-
chener; :
Od lai feit de la juerie.
c'e8t-à-<iire : la nation juive , les principaux d'entre les
Juifs. Ici, au contraire, le mot ^'fiierie est pris dans le
sens de : la religion juive.
3. Nequedent, néanmoins.
4. Ms. 7633. Var. passei. x. ans.
14 La DispuTOisoN de Challot, etc.
Voloit dire .ij. motés nues,
Mes qu'au dire fuft voir difahz ,
85 Ne contre toi , ne à mon oés ,
Mes por le voir fe fuft mis anz ,
Je le vueil bien fe tu le veus , ^
Que le meillor foit eflifanz. »
— « Seignor, par la foi que vous dol|
90 Je ne fai le meillor eflire ;
Le mains pieur, fi comme. je croi,
Vous eflirai-je bien du pire :
Charlot ne vaut ne ce ne qoi ,
Qui en veut la vérité dire ;
95 II n'a ne créance ne foi
Ne que chiens qui charoingne tire.
Li barbiers connoift bone gent ,
Et fi les fert & les honeure ,
Et met en els cor & argent,
100 Paine de fervir d'eure en eure ;
Et fet fon meftier bel & gent ,
Se befoins li recoroit feure,
Et fa en lui mult biau fergent
Que com plus vit & plus coleure. »
Crplicît
la 9ie0putt0on ïe C|)arlot et "bon iBarbier.
9e V€f^tût \fn Mûtibt
Ms. 7218.
kOR ce que li mondes fe change
Plus fovent que denier à change
I Rimer vueil du monde divers :
'Toz fu elles, or eft y vers ;
5 , Bons fu , or eft d'autre manière ;
Quar nule gent n'eft mes manière
De l'autrui porfît porchacier,
De fon preu n*i cuide -chacier.
Chafcuns devient oifel de proie ;
10 Nul ne vit mes fe il ne proie 2 :
Por ce dirai l'eftat du monde ,
Qui de toz biens fe vuide & monde .
Relegieus premièrement
1. Cette pièce ne manque ni d'originalité, ni de
de verve. L'auteur y passe en revue les religieux, les
écoliers, les marchands, les chevaliers, etc., en don*
nant à chacun un bon coup de griffe; mais les griefs
qu'il énonce n'en sont pas moins justes.
2. Proie, deproier, prendre, enlever, ravir; pr<r-
dare*
i6 De l'Estat du Monde.
Déuflènt vivre faintement ,
i5 Ce croi felonc m'entencion.
Si a double religion :
Li .i. font moine blanc & noir* ,
Qui maint biau lieu & maint manoir
Ont & mainte richece affife ,
no Qui toz font fers à covoitife. ^
Toz jors Yuelent fanz doner prendre ,
Toz jors achatent sans riens vendre.
U tolent, l'en ne lor toit rien ;
Il font fondé sus fort mefrien 2,
2b Bien puéent lor richece acroiftre ;
L'en ne préefche mes en cloiftre
De Jéfus-Chrift ne de fa mère ,
Ne de faint Pol, ne de faint Père :
Cil qui plus fet de l'art du fiècle,
3o C'eft le meillor felonc lor riègle.
1. Les moines blancs étaient les chanoines réguliers
de Saint- Augustin, les moines noirs les frères de
Saint-Benoît. Ces noms venaient de leurs habits.
2. Merrain, poutre de chêne. — On lit dans la Vie
de saint Louis par le confesseur de la reine Margue-
rite : « Et (saint Louis ) fifl couper en Ton bois les
très et autres merrien por Téglife des Frères-Mineurs
de Paris, & por le cloiftre de la dite églife & le refre-
tocre des Frères-Préechéeurs de Paris, & por laMefon-
Dieu de Pontoife , & por les Frères-Sas de Paris ; &
féift aufû mener touz ledit merrien à tout les liex def-
fus diz; & les branches & l'autres bois qui demoroit
des groCTes pièces du merrien eftoit donné por Dieu
as povres religions. ». (Voy. la pièce intitulée : Du
Pharisien,)
*:ul-..^SÊÊitm
De l'Estat du Monde. 17
Après fi font li mendiant
Qui par la vile vont criant :
« Donez, por Dieu, du pain aus frères * ! »
Plus en i a de .xx. manières.
35 Ci a dure fraternité ;
Quar, par la Sainte Trinité ,
Li uns covenx voudroit de l'autre
I . On lit dans les Crieries de Paris, par Guillaume
de La Villeneuve, pièce tirée du Ms. 7218, f^ 246:
et imprimée par Méon, page 280 du 2« vol. de son
Nouveau Recueil des Fabliaux, qu'on n'entendait au
XIII* siècle dans les rues que des cris comme ceux-ci :
Aus Frères de faint Jacqae pain ,
Pain por Dieu aus Frères-M enors ;
Cels tieng-|e por bons^preneors;
Aus Frères de (îaint Auguftin ,
Icil vont criant par matin.
Du pain aii Sas , pain aus Bacrez ,
Aus povres prifons enferrez ,
A cels du Val des Escoliers ;
Li uns avant, li autre arriers.
Aus Frères des Pies demandent
Et li croifié pas ne's ateadent ;
A pain crier metent grant paine ,
Les Bons-eofants orrez crier
Du pain , ne les vueil oublier.
Les Filles-Dieu sèvent bten dire ;
Du pain por Jhefu noftre lire.
Çà du pain por Dieu aus Sacheflès .
Par les rues font grans les preffes.
Je vous di , de ces gens menues.
On voit que Rutebeuf n'exagère probablement pas
lorsqu'il dit qu'il y avait des Frères quêteurs de
plus de vingt manières. : en voilà d'un seul coup
douze de mentionnées,
Rutebeuf. II. a
i8 De l' Estât du Monde.
Qu'il fuit en .i. chapiau de faultre
£1 plus péreiUueus de la mer :
40 Ainfî f entraiment li aver.
Covoitex font, fi com moi famble :
Fors lerres eft qu'à larfon emWe,
Et cil lobent les iobéors
Et defrobent les robéors
45 Et fervent Iobéors de lobes ,
Oftpnt aux robéors lor robes.
Après ce que je vous devife,
M'eftuet parler de Sainte Yglife,
Que je yoi que plufor chanoine
* 5 G Qui vivent du Dieu patremoine;
Il n'en doivent, felonc le livre,
Prendre que le foùffifant vivre ,
Et , le rémanant humblement ,
Déuffent-il communément
55 A la povré gént départir ;
Mes il verront le cuer partir
Au povfe, de maie aventure.
De grant fain & de .grant froidure.
Quant chafcuns a chape forrée ,
ho Et de denier, la grant horfée,
Les plains coffres, la plaine huche ,
Ne li cliaut qui por Dieu le huche ,
Ne qui riens por Dieu li demande ;
. Quar avarifce li commande,
(o Gui il efl fers, à mettre enlamble^
Et fi fet-il , fi com moi famble ,
De l'Estat du Monde. 19
Mes ne me chaut fe Diex me voie.
En la fin vient à maie voie
Tels avoirs , & devient noianz ;
70 Et droiz eft , car fes iex voianz ,
Il efl riches du Dieu avoir ;
Et Diex n'en puet aumofne avoir;
Et fe il vait la meffe oïr ,
Ce n'eft pas por Djeu conjoïr,
75 Ainz eft por des deniers avoir,
Quar tant vous faz-je à favoir,
S'il n'en cuidoit rien raporter,
Jà n'i querroit les^piez porter ^,
Encor 1 a clers d'autre guife ;
80 Que quant il ont la loi aprife.
Si vuelent eftre pledéeur
Et de lor langues vendéeur ;
Et penffent haras & cauteles ,
Dont il beftornent les quereles,
85 Et metent ce devant derrière 2.
Ce qui ert avant va arrière ,
1. Ce passage rappelle ces deux vers de Racine ?
11 eût du buvetier emporté les ferviettes
Plutôt quft revenir au logis les mains nettes.
Il prouve^ du reste ^ que les chanoines recevaient un
droit de présence quand ils assistaient au service divin.
2. Ce passage est le seul de Rutebeuf qui soit rela-
tif aux avocats ou aux gens qui en remplissaient Pof<*
fice. Cela tient à ce que la question sociale , au XTII*
siècle, ne résidait point dans la justice, mais dans
l'opposition contre le clergé. Si notre poâte au con-
îo De l'Estat du Monde.
Car quant dant Denier ^ vient en place
Droiture faut , droiture efface.
Briefment tuit clerc fors efcoler
90 Vuelent avarifce acoler.
Or m*eftuet parler des genz laies ^
Qui refont plaie d'autres plaies.
Provoft & bailli & majeur
Sont communément li pieur 2 ,
95 Si com convoitife le voft ;
Quar je regart que li provoft
traire eût Vécu au XlVesiède, quand le gouvernement
fut tombé aux mains des légistes^ — ces hardis démo-
lisseurs qui répondaient à un procès fait au roi par un
procès fait au pape, — il n'eût point sans doute man-
qué de parler plus souvent des avocats, et peut-être,
au lieu des quelques traits satiriques qu'on trouve çà
et là dans ses poésies contre les prévôts et les baillis,
aurions-nous eu quelques-unes de ces virulentes et
énergiques attaques qui plus tard inspiraient à Ménot,
gourmandant du haut de la chaire les seigneurs du
Parlement (domini de parlamento) , ces éloquentes
paroles : « Aujourd'hui nos seigneurs de la justice
portent de longues robes et leurs femmes s'en vont
vêtues comnie des princesses : si leurs vêtements
étaient pressurés, il en sortirait du sang. »»
I. Z><tn#Demer, littéralement: Monsieur Denier j rfo-
minus, domnus Denier.— Nos ancêtres aimaient beau-
cmxp ces personnifications. Ils avaient même, sous le
tiire de Dan Denier, un fabliau assez célèbre, que j'ai
a^p^OTté pages 93 et suivantes de mon recueil intitulé :
Jisngleurs et Trouvères. On le rencontre aussi dans un
éas manuscrits français de la bibliothèque de Berne.
^. Pieur, pires; pejor es.
' De l'Estat du Monde. «j
Qui acenffent ^ les provoftez ,
Que il plument toz les coflez
A cels qui font en lor juftife
100 Et fe defFendent en tel guife:
Nous les acenffons chièrement
Si nous coYient communément ,
Font-il, partout tolir & prendre
Sanz droit ne fanz refon atendre :
io5 Trop aurions mauves marchié
Se perdons en noftre marchié. »
Encor i a une autre gent,
Cil qui ne donent nul argent,
Comment li bailli qui font garde ;
1 1 o Sachiez que au îor d'ui lor tarde
Que la lor garde en lor baillie
Soit à lor tens bien efploitie ,
Que au tens à lor devancier
N'i gardent voie ne fentier
1 1 5 Par où onques paflàfl droiture.
De cèle voie n'ont-il cure ;
Ainçois penfTent à porchacier .
Uefploit au Seignor & traitier
Le lor porfit de l'autre part :
1 20 Ainfî droiture fe départ.
Or i a gent d'autres manières
Qui de vendre font coustumières
De chofes plus de .v. cens paires
I. Acenfer, afTertner, donner à cens.
22 De l'Estat du Monde.
Qui font au monde néceifaires.
125 Je vous di bien veraiement
Il font maint mauves ferement ,
Et fi jurent que lor denrées
Sont & bones 6C efmerées
Tels foiz que c'eft mençonge pure.
1 39 Si vendent à terme & ufure ;
Vient tantofl & termoierie
Qui font de privée mefnie ;
Lors efl li termes achatez ,
Et plus cher vendus li chatez.
]35 Encor i font ces genz menues
Qui befoingnent parmi ces rues
Et chafcuns fet divers meftier
Si comme eft au monde meftier,
Qui d'autres plaies font plaie.
140 II vuelent eftre bien paie
Et petit de besoingne fère ,
Ainz lor torneroit à contrère
S'il pafToient lor droit .ij. lingnes ;
Néisces païfanz des vingnes
145 Vuelent avoir bon paiement
Por peu fère , fe Diex m'ament.
Or m'en vieng par chevalerie
Qui au jor d'ui eft efbahie.
Je n'i voi Rollant n' Olivier ;
i5o Tuit font noie en .i. vivier,
Et bien puet véoir &. entandre
De l'Estat du Monde. 23
Qu'il n'i a mes nul Alixandre.
Lor mefliers défaut & décline ;
Li plufor vivent de rapine
i55 Chevalerie a pafle gales * ;
Je ne la vois es chans n'es fales :
Ménesterez font efperdu 2 ;
Chafciins a fon donet perdu.
Je n'i voi ne prince ne roi
160 Qui de prendre face defroi ,
Ne nul prélat de Sainte Yglife
Qui ne foit compains Covoitîfe ,
* Ou au mains dame Symonie ,
Qui les donéors ne het mie.
• 1 65 Noblement eft venuz à cort
Cil qui done au tens qui )à cort ,
Et cil qui ne puet riens doner
Si voiil aus oifiaus fermoner ;
Quar Chantez eft pieçà morte :
a 70 Je n'i vois mes nul qui la porte ,
Se n'eft aucuns par aventure
Qui" retret à bone nature ;
Quar trop eft li mondes changiez
Qui de toz biens eft eftrangiez,
j 75 Vous poés bien apercevoir '
Se je vos conte de, ce voir.
1. Ga/e^, réjouissances; galas.
2. Voyez pour ce vers -et le suivant unje des notes
de La Powretei Rutebeuf.
s.
Mss. 7218, 7015, 7633.
[iMER me covîent de ceft monde
.Qui de tout bien fe vuide & monde
Por ce que de tout bien fe vuide
'Diex foloit tifire & or defvuide ;
5 Par tens li ert faillie traime.
Savez porquoi nus ne f entr'aime ?
Gent ne fe vuelent entr'amer,
Qu'aus cuers des genz tant entre amer,
Cruauté , rancune & envie ,
I G Qu'il n'eft nus hom qui foit en vie
I . Cette pièce est un peu moins vigoureuse que celle:
qui suit. Les reproches qu'elle formule sont plus
vagues et moins précis que ceux de La Vie du monde.
Toutefois elle ne manque pas d'une certaine énergie
générale assez pareille à celle de nos. vieux sermon-»
naires, lorsqu'ils s'attaquent à tous les rangs de la
société. Par une exception honorable^ Rutebeuf y
ménage beaucoup les écoliers et les chevaliers. Il y
fait même leur éloge, peut-être parce que ces deux
classes d'auditeurs se montraient envers lui plus géné-
reuses que les autres.
■'-K
Les Plaies du Monde. 25
Qui ait talent d'autrui preu * fère ,
S'en fefant n'i fet fon afère.
N'i vaut riens parenz ne parente :
Povre parenz nus n'aparente;
1 5 Mult ed parenz & pou amis.
Nus n'i prent mes s'il n'i a mis ^ :
Qui riches eil fa parenté ;
Mes povres hom n'a paient té,
S'il le tient plus d'une jornée,
20 Qu'il ne plaîngne la féjomée,
Qui auques a, ii eff amez,
Et qui n'a riens , f eil fols clamez.
Fols eil clamez cil qui n'a rien ;
N'a pas vendu tout fon mefrien ,
2 5 Ainz en a .i. fou retenu.
N'efl mes nus qui revefle nu ,
Ainç ois eil partout la couilume
Qu'au defouz eil chafcuns le plume j
Et le gete-on en la longaingne ;
3o Por c'eil cil fol qui ne gaaingne
Et qui ne garde fon gaaing ,
Qu'en povreté a grant mehaing.
Or avez la première plaie
Pe ceil iiècle for la gent laie.
35 La féconde n'eft pas petite
Qui for la gent clergie eil dite.
1. Preu, profit.
2. Ms. 7633. Var. N'uns n'at parens ni at mis»
■20 Les Plaies du Monde.
Fors efcoliers , autre clergié
Sont tuit d'avarifce vergié ^.
Plus eft bons clers qui plus est riches ,
40 Et qui plus a l'eft li plus chiches ;
Quar il a fet à fon avoir
Hommage , ce vous faz savoir ;
Et puifqu'il n'eft lires de lui ,
Comment puet-il aidier nului >
45 Ce ne puet eftre : ce me famble
Que plus amaffe & plus aflamble
Et plus li pleft a regarder.
Si fe leroit ainfois larder
Que l'en en péuft bonté trère ,
5o S'on ne li fet à force fère;
Ainz left bien aler & venir
Les povres.Dieu fanz'fouvenir.
I. L'auteur de Renart le Nouvel adresse à peu près
les mêmes reproches au clergé (édition du Renart de
Méon, tome IV, page 429) :
Hélas ! clergiés , que refpondrés
'Au grant jour quant vous i venrés
Devant la face Jhéfu-Cris ,
K*en fen lieu vous a çà jus mis
Por bien dire & por miex ouvrer
Et por nous avoec lui mener?
Efcufés ne vos pores mie ,
Car il vera vos félaunie
De convoitife & d'avarifce
Et d'efcarfeté , ce let vifce ,
D'orgue] & de ghille & d'envie.
• . . . vous avez tuit pafcience
Eftroite, & large confcience,
Dont je di qu'edes ocoifons
De tous les maus que nous faifons , &c.
I
J
Les Plaies du Monde. 27
Toz jors aquiert jufqu'à la mort ;
Mes quant la mort à lui famort,
55 Que la mort vient qui le veut mordre ,
Qui de riens n'en fait à remordre ,
Si ne li left pas délivrer.
A -autrui li covient livrer
Ce qu'il a gardé longuement ,
60 Et il muert û foudainement
Con ne veut croire qu'il foit mors ;
Mors eft-il com vils & com ors ,
Et com fers à autrui chaté ;
Or a ce qu'il a achaté.
65 Son teflament ont en lien
Ou archediacre ou dien * ,
Ou autre qui font (1 acointe ,
Si n'en part puis ne chiez ^ ne pointe :
Se gent d'ordre l'ont en tre^ mains,
70 Et il en donent (c'efl le mains) ,
S'en donent por ce c'on^ le fâche ,
Xx. paire de foUers de vache
Qui ne lor couflent que . xx. fols :
Qr eft cil fauves & alTous ^ 1
75 S'il a bien fet, lors fi le trueve ,
Que dès lors eft-il en l'efprueve !
!, Ms. 7633. Var. doyen.
2. Ms- 7633. Var. chief.
3. Tout ce passage est une critique amère dt ceux
qui en mourant laissaient lès ordres religieux pour
exécuteurs testamentaires, et de la manière dont
ceux-ci s'acquittaient de leur mission.
28 , Les Plaies du Monde.
Leffiez-le , ne vous en foviegne ;
S'il a bien fet, bien l'en coviegne.
Avoir de lonc tens amaffé
80 Ne véiftes fi toft paffé ,
Quar H maufez la part en oile
Por ce qu'il a celui à oile.
Cil font parent qu'au partir pèrent :
Les lafles âmes le compèrent
85 Qui en reçoivent la )uflice
Et li cors au jor du juife :
Avoir à clers, toifon < à chien,
Ne puéent pas venir à bien.
Tout plainement droit efcolier
90 Ont plus de paine que colier
Quant il font en eftrange terre ,
Por pris & por honor conquerre
Et por honorer cors & âme,
S'il n'en fovient homme ne famé.
95 S'on lor envoie , c'est trop pou :
Il leur fovient plus de faint Pou ^
Que d'apoftre de paradis ;
" Quar ils n'ont mie .x. & .x...
Les mars d'or ne les mars d'argent :
100 En dangier font d' eftrange gent.
Gels pris, cels aim , & je fi doi ;
Gels doit l'en bien monflrer au doi ,
1. Ms. 7633. Var. teiiTon.
2. Saint Paul, ( Voyez pour cette locutioli la note
de la dernière strophe de La Povretei Ruteheuf.
Qu'il font el fiScle cler femé :
Si doivent eftre mies amé.
i5 Chevalerie eft fi grant chofe ,
Que la tierce plaie n'en ofe
Parler qu'ainfi com par defors;
Car tout aufli comme li ors
Eft li mieudres métaus c'on tniife,
lo Eft-ce li puis là où l'en puife
Tout fens, tout bien & toute honor :
Si eft droiz que je les honor;
MES tout aufli com draperie
Vaut mieux que ne fet freperie ,
I 5 Valurent miex cil qui )à furent
De cels qui font & il fi durent ;
Quar cis fiècles eft fi changiez
Que uns leus blans a toz mengics
Les chevaliers loiaus & preus :
lo Por ce n'eft mes li fiècles preus.
ou
C'ei^t In C0mplritnte ^t SSainttdiim \
Mss. 7595, 7633, 198 N.-D. , 274 bis N.-D.
[AUTRiER, par un matin, à l'entrée de mai,
-Entrai en un jardin : por juer î alai.
Defous .i. aubefpin .i. petit m'acointai^:.
Efcrift en parkemin .i. livret i trovai;
5 Si lue dufqu'à la fin : mult durement Tamai.
1 . Cette pièce , comme on peut le voir par diverses
allusions ou citations qui y sont contenues, est évi-
demment de Tannée i285. La poésie en est nerveuse,
fébrile^ piquante, et comme le fiEiît très-bien obser-
ver M. Paulin Paris, gonflée d'amertume et cTindigna--
tion contre les désordres de la société en général et de
V Église ertvarticulien Selon lui, elle aurait pris nais-
sance à l'occasion des décimes Imposés parle pape au
clergé de France, vers 1284, pour subvenir aux tais de
la guerre d'Aragon. Il en est, en efFet, question dans
l'une des strophes de notre pièce , et la vive apostro-
phe de Rutebeuf contre Rome à ce sujet nous montre
que cet impôt, dont le premier exemple remonte à
1263, était loin d'être populaire en France, même
parmi le clergé.
2. Ms. 198 N.-D. Var. m'acostai.
De la Vie dou Monde. 3r
Le nom de fon autor ne le ilen je ne fai.
Or me suis porpenfés comment Tapellerai :
C'eft La vie dou monde; enfî le baptiffai.
Si votis plaid , efcoutez , & je le vos lirai ^ .
Sainte Églife fe plaint ; ce n'ell mie mervelle :
Cafcuns de guerroier contre li faparelle.
Si fil font endormi ; n'eft nul qui por li velle ;.
Elle efl en grant péril fe Diex ne la confelle.
Puifque juflice cloce, & drois pent & encline,
3 Et vérités cancelle, & loiautés décline,
Et carités refroidé , &, fois faut & défine ,
Jou dit qu'il n'a ou monde fondement ne racine *.
Faufe marcheandiffe eft co verte d'ufurc,
Et caflés efl mife arrière par luxure.
Chafcuns penfe du cors, & de Tâme n'a cure ;
Or fachiés que li mondes efl en grant aventure.
Onques mais ne fu ^ tant de grans préchéeors ^
Et fi ne pert al fiècle , trop efl de péchéors
Qu'ils font tôt e(bloï * auffi comme li ors
5 Et fuient en enfer les galos & les cors.
1. Ms. 274 bis, N.-D. Var. diray.
2. Le Ms. 274 bis N.-D. ajoute ce vers :
Fors Dieu croire & amer, c'ot Traie médecine
3. Ms. 274 bis N.-D. Var. ne véistes.
4. Ms. 198 N.-D. Var. avueglés.
32 De la Vie dou Monde.
Ains puis ke noflre Sires forma le premier home
Ne puis que noflre père Adans manga la pome ,
Ne fu Diex mains doutés defos la loi de Rome :
De Rome vient li max qui les vertus afome ^
3o Rome, qui déuft eftre de noftre loi 2 la fonde,
Symonie, avarice, & tos max i abonde :
Cil font plus cunchié qui doivent eflre monde
Et par malvais exemple ont honni tôt le monde.
Qui argent porte à Rome, afés tôt provende a;
35 On ne les donne mie fi com Diex commenda.
On fet bien dire à Rome: «Si voille empêtrer: d^
Et fi non voille dare, enda la voie, enda ^î »
Franche , que de francifie efl dite par droit non .
A perdu de franciiTe le los & le renon ;
40 II n'i a mais nul franc , ne prélas , ne baron ,
N'en chité, ne à ville, ne en relegion.
Au tans que li François vivoient en franciife
1. Ms. 7633. Var. De là vient touz li mauz qui les
vertus asoume.
2. Ms, 7633. Var. foi,
3. Ms. igSN.-D. Var.
Si donne il empêtra,
' Et ii ne donne rien, enda la -voie, enda.
Cet mots da, dore, rappellent ces vers burlesques
cités par Walsingham, page 456, annot. i3o bis.
Ecclefiae navis titubât, regni quia clavis
Errât. Rex, Papa facti funt unica cappa.
Hoc faciunt, do, des, Pilatus hic, alter Herodet.
De la Vie dou Monde. 33
Par els fu mainte terre garandifTe * & conquife ,
Et faifoient li roi dou tout à lor-deviffe,
.5 Car on prioit por els partout ^ en Sainte Églife.
J'oferoie bien dire devant tes cez de Rome
Que Dîex onneroit plus par la voix d'un prudome
U par une viellete, ce de bon cuer le nome^
Que par tôt For d'Efpaingne' fil ert en une fome.
)0 Juda5 Machabéus nos difl ahchienement
Que vidoîre n'eft mie en grant maffe d'argent,
N'engrant chevaucéiires, ne grant pienté de gent ,
Ânçois vient dou Signeur qui maint ou firmament.
Sainte Égtiiè la noble, qui efl fille de roi,
55 Efpofe Jéfus-Chrift, efcole de la loi,
Cil qui Tout afervie ont fait mult grant defroi ;
Chou a fitit convoitife & déÊiute de foi.
Convoitife vaut pis que ne fait un ferpens * ;
A tout honni le monde, dont je fui mult dolans :
So Se Charles fufl en France encoi« i fufi Rolans ;
N'éufTent pooir contre els Yaumons ne Agolans '.
*
I. Ms. 7633. Yak» Çonquesteet gaingnie.
a. 19& N.-D. Vas. de cuer.
3. Ms. 274 bis N.-D. Vas. de Romme.
4. Mss. 7633 et 274 bis N.*>D. Var.
Convoitife, qui vaut pis c'uns (erpans Tolani
5. Voyez, pour rexpltcatlon de ces mots, l'une des
notes de la pièce intitulée: IÀ^Di\ de Puille*
RU'IIBBUF. lU 3
34 I>E LÀ Vie dou Monde.
Ains puis que li difimes fut pris en Sainte Églife ,
Ne fift li rois de Franche riens qu'il éuft emprife ;
Damiette, ne Tunes, ne Pulle ne fu prife,
65 Ne ne prifl Aragane li rois de faint Denife *.
Or (î gart bien cafcuns : tant comme on le penra ,
Honors, joie, viélore as François n'avenra,
Et puet bien aprendre cil qui le maintenra^
Par les cofes paflees comment il avenra.
70 Quant Martin Papoftoile , c'on apele Symon
1. Ce vers a rapport à la guerre que Philippe-le-
Hardi déclara en i285 au roi d'Aragon, pour se ven-
ger deTentreprise faite en Sicile par ce prince contre
Charies d'Anjou, son oncle ^ et pour soutenir les droits
que CharJes-dc Valois, son deuxième fils, avait acquis
en 1284 sur les royaumes d* Aragon et de Valence,
ainsi que sur le comté de Barcelone, par le don que
lui en avait fiait le pape.
2. Cette strophe ne se trouve que dans les Mss«
274 bis N.-D.et 198 N.-D. ; les autres ne k contien-
nent pas. — Manfin Vapqftoile c*on apele Symon est
Simon de Brie, cardinal de Sainte-rCécile, envoyé vers
1253 comme légat en France, où il rendit au roi de
grands services en calmant, en sa qualité d'arbitre,
les querelles qui avaient lieu en'tre l'Université et
l'Ofâcial de Paris, ainsi qu'entre les différents pro-
cureurs des nations écolières. Après la^mort de Nico-
las III, il fut élu pape le 23 mars 128 1, et prit, à
cause de son ancienne dignité de trésorier de l'église
de Saint-Martin de Tours, le nom de Martin IV. Il
mourut le 25 mars deM'an i2ft5.
Quant au don du règne éP Aragon qu'il fît en 1284
De la Vie dou Monde. 35
Donna au fil le Roy le règne d'Aragon * ,
S'il li éufl donné .xxx. jours de pardon
Il li éuft miex valu que faire fi fait don >.
Oncques ne vi difime qui fii bien enploiés :
75 Ne puis que Tapoftole fufl à chouaploiiés,
Que !i difimes fuft donnés & otroiiés ,
Ne poc véoir le tierme que il fufl porpaiés.
Defous la loi de Rome n'a nule région
Qui à Rome obéiffe de cuer fe France don ,
80 Et de fobédienche a fi biel guerredon
Que on li toit Couvent fa laine & fa toifon.
Por quoi ne prent li papes dizime en Aiemaingne*
En Baiyieire , en SeifTongne , en Frife & en Sar-
[daingne^ ?
à Charles de* Valois , troisième fils de Philippe-k*
Hardi ^ au préjudice de Pierre, roi légitime de ce
' pays, pour punir ce dernier du massacre des Vêpres
siciliennes, il ne fut point heureux, et le succà ne
sanctionna pas cette injustice flagrante.
1. Ce fut le 21 février 1284 que Jean Cholet, car-
dinal à ce délégué , lut à Paris , dans un parlement
convoqué exprès, la bulle par laquelle le pape don*
nait à Charles, fils de Philippe«le- Hardi, Finvestiture
du royaume d'Aragon.
2. Rutebeuf a raison de s'exprimer ainsi , car la
guerre contre Pierre d*Aragon ne fut point heureuse.
Le roi y mourut -le 5 octobre i285; son armée fut
décimée par une cruelle épidémie, et la flotte fran*
çaise fut envoyée dans le port de Roses.
3. Ms. 198 N<>D« Var. Bourgoigne.
^
36 De la Vie dou Monde.
11 n'i a cardonal ^ , taqt haut refpée çaingne ,
85 Qu'il Talail querre là port eftre rois d'Efpaingne.
Des prélas vos dirai : mais qu'il ne vos anuit,
Diex leur a commandé veillier & jor & nuit ,
Et reflraindre leurs rains , & porter fuelle & fruit ,
Et lumières ardans ; mais ne font pas tel tuit ^.
90 Quel gent a Diex laiffîé por garder fa maifon?
Sa vigne eil défiertée , n'i labore mais hom ; •
Li fil Ély le tienent ^ à tort & fans raifon ,
Et fi r'eft fymonie plantée de faifon.
S'il efquiet une rente à Rains u à Conloingne ,
95 S'uns preudons la demande , cuidiés-vos qu'on li
[donne?
Priamides * l'emporte fans noife & fans raloigne ,
Car Diex eil fi fofrans que nus ne le refoigne.
1. Ms. 7633. Var. chardenaul.
2. Ms. 198 N.-D. VAft.mais ne V font mie tuit.
3. M8. 274 *wN.-D. Va». Le fil Hély le tient.^-Ne
s'agirait-U pas ici de Hélie ou Hély de Cortone ,
compagnon , puis successeur de saint François dans
la conduite de son ordre ? Je serais assez porté à le
croire» bien que ces mots à tort et sans raison dus-
sent paraître dans ce cas une critique des Frères-Mi-
neurs, qnç Rutebeuf vante plus haut (voyez Li Diiç
des Cordetiers) ; mais qui peut exiger d'un po6te ,
et surtout d'un poète satirique, une logique rigou-
reuse ?
4..Ms, 198 N.-.D. VAR.Symonie.
De la Vie dou Monde. ij
Quant Diex venra fa vigne véoir por vendengîcr
Et il n'i trovera cofe c'on puift mangier,
100 Des malvais fevaurra multcruement * vengier :
Il ne feront pas cuite fans plus por laidangier.
•
Des biens de Sainte Églife fe complaint Jéfusr-Chciil
Que on met en joiax & en vair & en gris ;
S'an traient leur keues Margos &Béatrix 3,
1. Ms. 198 N.-D. Yak. malement.
2. Ms. 7633. Vah.
S'en traînent les coes & Margoz & Biautrix.
Je crois que ce vers est une allusion au luxe que
pouvaient dk^Xoy^r Marguerite , reine de France, nlle
aînée de Raymond Bérenger, comte de Provence, ma-
riée en 1234 à Louis IX, morte seulement en 1295,
et Béatrix de Bourgogne , fille de Thibaut IV, comte
de Champagne, mariée à Hugues VI, duc de Bour-
gogne, en secondes noces, et morte vers le milieu de
l'an 1293. J)u moins ne vois-je pas à cette époque
d'autres princesses, portant ces deux noms, auxquelles
Tallusion de Rutebeuf puisse s'appliquer avec au*
tant de probabilité. En effet, Béatrix de Provence,
quatrième fille de Raymond Bérenger et femme de
Charles d'Anjou, était mone depuis longtemps, et
Charles de Valois, dont il est question en note de la
page 34, note 2, n'avait pas encore épousé Marguerite,
fiUe de Charles II , roi de Sicile. Leur mariage n'eut lieu
qu'en 1290, et la composition de notre/ pièce est an-
térieure à cette époque. Quant au luxe des fourrures
et des robes traînantes contre lesquelles s'élève ici
Rutebeuf, je me permettrai de citer un reproche ana-
logue formulé' contre lui par un autre, écrivain du
XIII* siècle. La comtesse du Perche, Mahaut, fille de
38 De la Vie dou Monde.
io5 Et li membre Diu font povre, nu & defpris.
Molt volentiers quéfifle une relegion
U je m^âme falvaifTe en bone ententîon,
Mais tant voi en plufeur envie , élation ,
Qu'il ne tiennent de Tordre fors Tabit & le non.
110 Qui en relegion velt faintement venir,
Trois cofes li covient & voer & tenir :
Cafté , povreté ^ , & de cuer obéir ;
Mais on i voit fovent ^ le contraire avenir.
Obédienche gronche , chaftés fe varie ;
1 1 5 Cafcuns bée à avoir, povretés eft haïe.
■ La parole David eft bien entr' oublie ^ ,
Qui dift : « Rendés-vos veus, ne les trepaflës mie. »
Chanone féculer mainnent très bone vie :
Chacuns a fon hoftel , fon leu & fa mainie ,
1 20 Et f en i a de tex qui ont grant iîgnorie ,
' Qui poi font por amis & afiés por amie.
Thibaud-le-Grànd , comte de Champagne, ayant de-
mandé un règlement de vie à Adam, abbé dePerseigne,
celui-ci lui conseilla de s'abstenir des jeux de hasard,
des jeux d'échecs et des farces des histrions, ajou-
tant que, quant aux femmes qui portent des robes
traînantes elles devraient rougir de s*habiller comme
des renards, dont la queue fait le plus bel ornement,
1. Ms. 198N.-D. Var. Chaafté & simplece.
2. Ms. 274 bis N-D. Var. Mais hom voi treftouz.
3. Ms. 198 N.-D. Var. Eft bien de Dieu entreleffiée.
De la Vie dou MoNpE. 39
En Torde des canoines qu'on diilSaint-Auguftin,
Ils viveiit à plenté , fans noife & fans huftin.
Je lo qui leur * foviègne au foir & au matin
125 Que la chars bien ^ nourie porte à Tâme venin.
En Tordre des noirs moines font à ço ^ atorné.
1. Ms. 7633. Var. De Jhésu lor. %
2. Ms. 7633. Vak. soeif.
3. Ms, 7633. Vaa. aceiz. — Les noirs moines étaient,
comme nous l'avons déjà dit, les Bénédictins. — J'ai
trouvé sur eux dans le Ms. 65, fonds de Cangé, fol. i33,
la chanson suivante, que j'attribue i Estienne de
Miaus parce qu'il est nommé dans une de celles qui
précèdent immédiatement :
Trop par eft cift mondes cruaus,
Poi i a bien , n'en qier mentir.
Chafcuns entent à fer maus,
A qoi q'on le veut confentir.
Por ce vont-il es parfon & gaas
En enfer le puant oftaus ; <
Mainte doleur i convendra fouffrir :
Adonc vendra à tort le repentir.
Cil noirs moines , qui Dex doint maus
Refont auqnes à leur pleiir ;
Trop par ont fouvent généraus
De diverfes chars, fanz mentir.
Les vins ont blans comme crillaus :
A guerfoi boivent par igi^us;
N'entendent pas fors à la char norrir
Que Ton metra en la terre porrir.
Dex! que feront cil defloiaus?
Bien lor devroit meiavenir.
Cil clergie qui n'eft pfs loiaas ,
Qui ne fe veut en bien tenir,
. II ont toz les biens corporiatts
40 De, LA Vie Dou Monde.
II foloient Diu querre mais il font reflorné ,
Ne Dius n'en trouve nul, car il font deftomé^ :
Mult de bien foloient faire , mais il en font lafifô ^.
i3o Uordre de Ciftiax^ tiengne à bone & bienféant.
Et chevauchent les cras chevaux,
Mes de leur bien ne vuelent départir
A cil que*8 puet de ceft fiède fôiir.
Dexl que feront prevoz, bediaus-?
Tel gent devroit-l'on trop hafr :
Toz jor vivent for autrui piaus ;
Ne fervent fors du mont tralr
Et enplent fouvent lor boucians
De pain, de viui de eras moriiaus.
Las l quel délit a ci à maintenir !
L'âme en aura grief fais à foutenir.
, Bex! où font ore li loiaus
Qui au péchié veulent fofr?
Li Jacobin en font de çaus ;
Li Frère Meneur, fanz mentir,
Il fevent bien qu*il font mortaus
Et que tuit morront bons & maus,
Et haut & bas tôt convendra morir :
Por ce vuelent à ceft fiècle foir. .
1. Ms. 274 his N.-D. Var. qu'il ot le bectorné.
2. Mss. 7633, 198 N.-D., 274 his N.-D. Var.
En Tordre Saint-Benoît c'on dit le Beftoumei.
3. On lit dans une chanson d'Adam U Boçus d'Ar^
ras (la dernière du Ms. 184, supp. fr.| fol. 233 ), à la
louange de la Vierge :
D'orgueil a jà traite clergie
Et Jacobins de bons morfiaus.
Frères Menuz de gloutenie.
De la Vie dou Monde. 41
Et fî croi que il foient preudome bien créant,
Mais de tant me defplaift que il font marcéant * y
Et de carité faire. deviennent recréant.
De cex de Prémonftré ^ me Convient dire voir :
i35 Orgix & convoitife les fet bien décevoir;
Il font par dehors blanc, & par dedens font noirs :
S'ils fuffent partot blanc il fefiffent lavoir.
Jacobin , Cordelier font gent de bon afaire :
Il délifent affés , mais les convient taire ,
Mes daus efpargne de Cistuus;
Moines, abbés a trait d'envie
Et chevaliers de reuberie;
Prendre nous cuide par monciaus.
1. Rutebeuf a raison dans ce reproche : il n'était pas
très-convenable que des religieux fussent en même
temps commerçants, et c'était une singulière per-
mission que celle que l'on avait donnée aux moines
de Cîteaux de £iire le négoce.
2. Les Prémontrés étaient des chanoines réguliers
institués par saint Norbert en 11 19, sous Cal-
lixte 11, durant le règne de Louîs-le-Gros, dans le
village de Prémontré, ainsi nommé parce qu'En-
guerrand de Courcy ayant eu peur d'un lion en cet
endroit, à ce que rapportent naïvement nos anciens
auteurs, s'écria. : a Saint Jean, tu me l'as de près
montré ! » Les vêtements et les scapulaires des Pré*
montrés étaient blancs; lorsqu^ls s^rtaient^ils avaient
un manteau et un*chapeau blancs; au chœur, dans l'été,
ils portaient un surplis blanc et une aumusse blanche;
dans l'hiver, un rochet avec une chape et un camail
blancs. Ceci dit assez que ces religieux n'appartenaient
point à l'ordre des moines noirs.
42 De la Vie dou Monde.
140 Car h prélat ne vellent qu'il dient nul contraire,
A cho que il ont fait n'a cho qu'ils voellent £aire.
Cordelier, Jacobin font granz affliccions ^ ,
Si dient, car il fueffrent moût tribulacions ;
Mais il ont des riche houmes les exécucions'
145 Dont il funt bien fondei & en font granz maifops.
Les blances & les griffes & les noires nonains
Sont fovent pèlerines as faintes & as Cains ;
Se Dix leur en fet gret , je ne fui mie certains :
S'eles jfuiffent bien fages eles alaifent mains.
1 5o Qant ces nonnains fe vont par le pays efbatre ,
Les unes à Paris, les autres à Monmartre,
Tel fois emmainne deux ^ qu'on en ramainne.
J . . [quatre,
Car Ton en perdoit une il les convanroit batre.
Molt mainnent bone vie Bégines & Bégin :
i55 Avec eus me rendiffe ' ennuît u le matin ^
Mais jà ne croira jà glouton delès bon vin ,
Ne geline avec coc , ne chat avec fain.
1 . Cette strophe ne se trouve que dans le Ms. 7633 ;
elle a été ajoutée en marge, à l'encre rouge (caractère
du temps) dans le Ms. 274 his N.-D.
2. Cette plaisanterie -est restée populaire, et l'on ré-
pète encore à Paris ce vieux dicton :'
Ccft Tabbaye de Montmartre ;
On y va deux, on revient quatre.
% 3. Ms. 274 bis N.-D. Va». Volentiers m'i rendisse.
De la Vie dou Monde. 43
J*ai grant pièce penfé à ces doiens ruaus * ,
Car jou trover cuidoie aucun prudome cntr'aux ,
160 Mais il n'a fi prodome dufques en Rainfcevaux ,
S'il devenoit doiens, qu'il ne devenift maux.
«
Cil qui doivent les vilTes blâmer & laidangier,
Qui font preÛre, curé, fueffrant maint grant dangier,
Et fen i a de tex qui par font fi légier
65 Quel'évefquespuet dire : « J'ai fait d'un leu bergier. ■
»
Li Barré, li Sachet, li Frère de la Pie ♦
Comment troveront-il en ceft fiècle lor vie ^ ?
Il font trop tart venu, car il efl jà compile ,
Etfeft li pains donnés, ne fi atendent mie.
I 70 Çonvoitife , qui fait maint avocas mentir
Et le droit beflorner & le tort consentir,
I. Ms. 7633. Va», curaux. — Ms. 198 N.-D. Var.
royaux. ^ Ms. 274 bis N.-IX Var. ruraux. — On
appelait ainsi les doyens qui avaient droit de visite
sur les curés de campagne dans les diocèses divisés en
doyennés.
2. Les Frères de la Pt^ étaient un ordre de cha-
noines réguliers établi par saint Louis en 1268. On
trouve vers la fin de la pièce intitulée : Les Mouftiers
de Paris :
JjtL novele ordre de la pib
Qui font en la Bretonnerie.
(Voyez Méon , Fabliaux et Contes , tome II , pag. 292 ).
— Le dernier vers de cette strophe est une allusion à
leur coutume de mendier en disant : t Du pain aux
pauvres Frères-Sachets! du pain aux Frères de la
Pie! » (Voyez page 17, note.)
44 De la Vie dou Monde.
Les tient en fa prifon , ne les lait repentir
Devant qu'ele lor face le feu d'infer fentir.
Nausavons-.ij. preudomes qui font tos les deftors,
lyS Car il tienent en caufe & les drois & les tors :
Se meitm fuft bénis & tuum fuft mors * ,
Teus chevauche à lorain qui troteroit en tors.
Soi* totes autres ordres doit-on mult honorer '
L'ordre de mariage & amer & garder :
1 80 Li feme à fon baron ne porte loiauté
Et li homs à fe feme ne amor ne bonté.
Certes c'eft grans doleurs que je ne puis trover.
En ceft fîècle cftat ù homs fe puift falver.
Or prions en la fin au Signor, qui ne ment,
1.85 Que il. tos nos péchiés nous pardoinft & ament ',
Et nous doinfl en cefl fiècle vivre fi faintement
Qu'en aions fentenilè por nous al jugement.
1. Ms. 7633. Var. Se droiz fuft soutenuz et li torz
eftoit torz.
2. Toute cette strophe manque au Ms. 198 N.-D.
et au Ms. 274 bis N.-D.
3. Ms. 7633. Var. Qui consaut touz preudommes
et touz picheurs amant.
Vrpltnt U la tHU "bon Motibt \
• Le Ms. 274 bis N.-D. ajoute, rubrique en rouge,
après VExplicit : -
Fox eft li bons qui ne fi monde
De tous les max que il habonde
Por qu'il ne chiée en mer partonde.
i
9t SSatnU Cglut *.
Ms. 7615.
iiMER m'eftuct, c'or ai matire]
) A bien rimer : por ce m'atire.
I Rimerai de Sainte Églife :
N'en puis plus fère que le dire.
5 S'en ai le cuer taint & plain d'ire
I. Cette satire, tout en n'abordant dans- le détail
que des généralités^ oâre cependant , dans son en-
semble, un sens particulier qui peut donner lieu à
une explication spéciale. Voici celle qu'on en peut,
selon nous, proposer. Les professeurs séculiers au-
raient promptement perdu leur cause (voir le Dit de
VUnhersité de Paris ^ et la Discorde de PUniversité
et des Jacobins, etc.}, sans le parti qu'on sut tirer
de l'apparition de V Évangile étemel, contre les Frè-
res-Prêcheurs, qu'on accusa de soutenir les témérités
ou les hérésies qui se rehcontrent dans cet ouvrage.
Rutebeuf surtout ne se fît pas faute d'attaquer ses
adversaires sur ce poînt-là. Ami passionné des écoles
et de l'Université, nous le voyons, dans la pièce qui
nous occupe , gourmander les prélats et le haut clergé
de leur froideur à l'égard du livre nouveau, dont il se
sert comme d'une arme contre ses ennemis et qu'il
voudrait leur voir condamner.
46 - De Sainte Église.
Quant je la vois en tel point mife.
Ha, Jhéfu-Criz ! car te ravife
Que la lumière soit efprife ,
Con a eflaint por toi despire.
10 La loi que tu nous as aprife
Eft ci vencue & entreprife
Qu'elle fe torne à defconfiréT^
Des yex dou cuer ne véons gote y
Ne que la taupe foz la mote.
1 5 Entendez me vers ne vous voir
Où fe vient chacun fe dote.
Ahi ! ahi 1 foie gent tote
Qui n'osez connoiflre le voir,
Com je dout , por eftovoir,
20 Ne face Diex for vous plovoir
Tele pluie qui là dégoûte !
Se l'en puet paradis avoir
Por brun abit, ou blanc, ou noir^
Qu'il a mult de fox en fa rote !
25 Je tien bien à fol & à nicc
Saint Pol , faint Jaques de Galice ,
Saint Bertelemieu & faint Vincent ,,
Qui furent sanz mal & fanz vice
Et prirent , fanz autre délice ,
3o Martirez por Dieu plus de cent.
Li (aint preudome qu'en mufant
j ; , . Aloient au bois porchaceant
RaeiaBSLCA leu de vice ,
De Sainte Église. 47
Cil refurent fol voirement ,
35 S'on a Dieu fî légîèrement
Por large cote & por pélice.
Vous devins & vous difcretiftre ,
3 e vous jeté fors de mon titre ;
De mon titre devez fors eftre ,
40 Quant le cinquième efvengelitre *
Voft* droit frère, mettre & meniftrc ;
De parler dou roi céleilre ,
Encor vous feroit en champ eftrè ,
Co^ autre brebiz chanpeftre ,
45 Cil qui font la novelleefpitre.
Vous elles mitres non pas meftre ;
Vous copez Dieu Toroille dcftre :
Dieux vous giete de fon regitre.
De fon regiftre il n'en puet mais ;
I .' Par ces mots, le cinquième efvengelitre, Rutebeu^
veut désigner certainement Jean de Parme, auteur vrai
ou supposé de. V Évangile étemel, dont les Joachimi
tes avaient commencé , en 1254, l'explication publi-
que à Paris. Condamné d'abord par Innocent IV, sur
la plainte des docteurs et du clergé, V Évangile étemel
le fut de nouveau en 12 56 par Alexandre IV. Notre
pièce doit avoir été écrite avant ces condamnations,
qu'elle sollicite, et, par conséquent, vers I255. C'est
du reste la date que le Roman de la Rose donne à
l'apparition du livre, qu'il regarde comme issu du
diable en ligne directe. Ce n'est pas tout à âiit l'opi-
nion de Henri Estienne, qui, dans son Apologie pour
Hérodote (tome II, page 285), lui donne pour au-
teurs les Jacobins et les Cordeliers.
48 De Sainte Église.
5o Bien puet passer & avril & mays
Et Sainte Églife puet bien brère ;
Car véritez a fet fon lais.
Ne l'ofe dire clers ne lais :
Si fen refuit en fon repère
55 Qui la vérité veut retrère.
Vous dotez de voftre doère
Si ne puet iffir dou palais ,
Car les denz muevent le trère *
Et li cuers ne f ofe avant trère •:
60 Se Diex vous het, il n'en puet mais. *
Ahi ! prélat & nervoié ,
Corn a Ten or bien emploie
Le patremoine à Crucefî !
Par les goles vous ont loié •
65 Cil quifovant ont rimoié
Dieu leflié por fon atefi :
Dou remanant vous di-je : Fi !
N'en aurez plus, je vous afi ;
Encor vous a Diex trop paie.
70 De par ma langue vous desfî :
X. Sans aucun doute, Rutebeuf, par le rapproche-
ment de ces deux expressions den^ et palais, a voulu
se livrer ici à un jeu de mots assez peu digne du
titre de la pièce où il se trouve, et qui a le malheur
de rappeler aujourd'hui ce calembourg d'une spiri-
tuelle pBTtidQ moderne {le Sourd ou l'Auberge pleine),
dans laquelle l'un des personnages dit, en parlant d'un
autre, qu'il a un palais près de Sedan {ses dénis)»
De Sainte Église. 49
Vous en yrez de fi en fi
Juqu'en enfer le roié«
Il efi bien raifon & droiture
Vouskdfliez la fainte Écriture^
75 Dont Sainte Églife efl defconfite ;
Vous tefiezla Sainte Efcriture,
Selonc Dieu menez vie ofcure ,
Et c'eft voilre vie petite :
Qui vous fiate entor vous abite.
So La profécie efi bien efcrite :
Qui Dieu aime, droit prent en cure;
La char efi en enfer afflite ,
Qui por paor aura defpite
Droiture & raison & mefure.
85 L*eve qui fanz corre tomoie
AfTez plus tofi .L home noie
Que celle qui adès decort.
Por ce vous di , fe Diex me voie ,
Tiex fet (emblent qu'à Dieu faploie
90 Que deù. Teve qui pas ne cort.
Hélas ! tant en corent à cort
Qu'à povre gent font fi le fort
Et aus riches font fefie & joie,
Et prometent à .i. mot cort
93 Saint paradis ; à coi que tort ,
Jà ne diront fe Diex Totroie.
Je ne blâme pas gent menue ,
RVTEBKUF. II. 4
5o. De Sainte Égliset. _
Si font au(i comme cochon
L'en lor fet entendre canç on * ,
loo L'en lor fet croire de veve voix
Une fî grant defcovenue
Que brebiz blanche eft tote noire.
^ Si Ton laus cefle gloire loire^,
Il n'en font une grant eiloire
I o5 Nés dou manche de la charrue ,
Por coi il n'ont aj^tre mimoire.
Dites-lor : « Ces de faint Grigoire : »
Quelque chofe foit , eft créue.
Se li Rois féift or enquefte
1 10 Sor ceus qui ce fut fi honefte
Si com il fet for ces bailliz^
C'aufîn ne trueve cler ne preftre
Qui eft enquerre de lor gefte
Dont h ciègles eft mal bailliz.
1 15 Sanz naturel lor eft failliz
Quant cil qui jurent es palliz
Ne font orendroit grant molefte
S'il n'ont bon vins 5c les blanz liz.
Se Diex les a por ce efliz,
120 Por pou perdi (aint Poz la tefte. ]
I . Je supplée par ces deux rimes en on à la lacune
du manuscrit.
1. Lçire, permise; de licere
tfrplmt U SSamtt €ilm.
X
Ci coimunce
fi Jlij tft V€tb<tit *,
®u n cotnmma
Mas. 7633, 198 N.-D.
|EIGN£UR qui ci elles venu,
Petit & grant, jone & chenu,
m vos eft trop bien avenu,
Sachiez de voir ;
5 Je ne vos.vuel pas defovoir :
I. Il existe une pièce qui porte le même titre dans
le Ms. i83o du fonds Saint-Germain , de la Biblio-
thèque nationale. Je l'ai dontïée dans ma première
édition de Rutebeùf; on la trouvera également
plus loin. Elle est en prose et très-curieuse. —
Méon^ dans son Nouveau Recueil de Fabliaux , a
imprimé celle-ci d'après le Ms^7633 seulement. Le*
grand d'Âussy '(tome lY, page 239, édition Re-
nouard) en a donné une traduction fort infidèle,
qu'il a fiiiit précéder de Tavis suivant : «De VHerberie,
ou le Dit de PHerberie, tels sont les deux titres de
deux pièces totalement diffSi'entes, que j'ai réunies
et fondues ensemble ^ parce quelle sujet en est le
52 Li Diz DE l'Erberie.
Bien le porreiz aparfouvoir,
Ainz que m'en voize.
Aféeiz-vos, ne faites noife :
méme^ ne contenant toutes deux que des propos de
charlatan dans une place publique. Elles sont intitu-
lées Herberie, du métier de ces sortes de gens qui
alors vendaient au peuple des herbes. L'une est en
prose, l'autre est moitié en pirose et moitié en vers ;
toutes deux dans.roriginal sont fort ordurières. C'é-
tait ainsi qu'alors on amusait la canaille , et bien de
hauts seigneurs n'avaient point le goût plus difficile.
Telles étaient, je ne cesserai de le répéter, les mœurs
de ce bon vieux temps qu'aujourd'hui l'on nous vante
sans cesse. »
Vient alors le travail de Legrand , qui n^est pas
même une imitation, tant il s'éloigne des originaux.
Il est suivi de ces réflexions : « Cette pièce pourrait
fort bien avoir été un de ces jeux dont il a été parlé
dans le second volume à la suite du Lai de Courtois
iTArras, une sorte de farce dramatique à deux per-
sonnages, ou à trois si Ton y faisait jouer Thomme
qui vient se plaindre du mal de dents. i»
Legrand d'Aussy parle après cela des Geus cfaven.
tare, petite pièce tirée du Ms. 7218, et il en eitemême
quelques couplets; mais, malgré son titre de Geus^
ce petit poâme n'a ^ien de dramatique. C'est totit
y simplement une parade, un boniment dans le 'genre
de ceux que les charlatans d'aujourd'hui débitent sur
les places publique^. Seulement Rutebeuf l!y récjtait-U
lui-même, ou ravaitpilix>mpo6éco'mtDe Un mod^eà
l'usage des jongleurs et?<fies trouvères de bas étage 2 je
l'ignore; mais il flto répugne de croire que l'auteur <ies
plaintes éloquentes sur la Terre-Sainte, qu'on Im.
plus loin , ait pu s'abaisser à hurler 4e pareilles
sornettes et des plaisanteries aussi grossières dans
un carrefour.
Li Diz DE l'Erberi^. 53
Si efcoutez, c'îl ne vos poize.
lo Je fui uns mires;
Si ai eflei en mainz empires :
Dou Caire m'a tenu li (ires
Plus d'un eftei ;
Lonc tanz ai avec li eftei ;
1 5 'Grant avoir i ai conqueftei.
Meir ai paiTée,
Si^m'en reving par la Morée ,
Où j*ai fait moût grant demorée,
Et par Saleme ,
20 Par Burienne & par Byterne '.
En Puille', en Calabre , Palerne ^
Ai herbes prises
Qui de granz vertu z funt emprifes :
Sus quelque mal qu'el foient mifes ,
25 Li maux c'enfuit.
Ju^u'à la rivière qui bruit
Dou flun des pierres jor et nuit
Fui pierres querre.
Preftres Jehans ' i a fait guerre :
1. Burienne, dans le Siennois^ en Italie, avec un
lac qui porte ce nom. Quant à Byterne , c'est peut-
être Viterbe.
2. Ms. igSN.-D, Var. Luserne.
3. La légende de Prestre Jehan est une des plut sin-
gulières et des plus répandues qui nous soient restées
du moyen âge. Elle remonte au XII* siècle et contient
le récit fabuleux des productions qui se trouvent dans
les royaumes de ce, prince, prêtre nestorien qui, à
cette époque, au dire de nos vieux et crédules chro-
54 Li Diz DE l'Erberie.
3o Je n'ofaî entref en la terre,
Je fui au port.
Moût riches pierres en aport
Qui font refufciter le mort.
Ce funt ferrites
35 Et dyamans & cre^erites,
Rubiz, jagonces, marguarites, ^
Grenaz, stopaces,
Et tellagons, & galofaces :
De mort ne doutera menaces
40 Cil qui les porte *,
niqueurs , aurait soumis à sa domination de vastes
contrées en Abyssinie. Ces productions sont à peu près
dans le genre de celles dont parle Rutebeuf. (Voir les
publications que j'ai faites de la Légende de saint
Brandaines et de celle de Prestre Jehan.)
I. La croyance aux diverses vertus des pierres était
fort répandue dans le moyen âge. C'est de là qu'est
venue la recherche de la pierre philosôphale. On
trouve dans l'inventaire des meubles, joyaux, etc«, du
roi Charles V, exécuté en iSyg, M s. 8356 de la Bibl.
nationale, f^ LXXII, v*, la mention de deux pierres
ejtans en ung coffre de cypraès que le roy fait porter
continuellement avecques soy, dont il porte la clef.
La première est une pierre appelée la pierre sainâe,
qui aide aux femmes à avoir enfant, laquelle est en-
châfféeen or, & y font quatre perles, fix efmeraudes^
deux hallai^ & au dos y a ung efcu de France, eftant
en ung efiuy de cuir.
Item , la pierre qui guérift de la goûte , en laquelle
eft entaillé ung Roy & lettres en ebrieu d'un cqfté
& d'autre , laquelle eft afftfe en or à flllet , & a
efcript au dos fur ledit fillet, & eft la dide pierre en
Lx Diz DE l'ërberie. 55
Foux eft ce il ce defconforte ;
N'a garde que lièvres l'en porte
Cil fe tient bien ;
Si n'a garde d'aba de chien ,
45 Ne de reching * d'azne anciien ;
Cil n'eft coars
Il n'a garde de toutes pars.
Carbonculus & garcelars 3,
Qui funt tuit ynde,
5o Herbes aport des dézers d'Ynde
Et de la terre Lincorinde ^
Qui fîet feur .Fonde ,
Elz quatre parties dou monde * ,
ung eftuy de cuyr baully pendant à ung l(V(de soye où
il a deux boutons de perles.
1. Reching , action de braire.
2. Ms. 196N.-D. Var. Charbon ne los etgarolas.
3. Dans les romans du cycle carlovingien. Je nom
de Lincorinde est donné à la fille de .
J0NA8, fier admirai du règne de Perfie,
Qui tint toute la terre jufqu!à la mer Rougie.
4. Il est évident que ce mot a les quatre parties du
monde » n*est pas sérieux pour Rutebeuf , et qu'il
croit continuer ici sa plaisanterie sur toute chose. On
ne se doutait pas de l'Amérique , du moins en France,
au XIII* siècle ; )e ne dirais pas la même chose de 11*
talie, où, grâce aux navigations génoises, la tradition,
comme le prouvent certains passages de Dante y n'a-
▼aît jamais été interrompue. Chez nous, à l'époque
où parle notre poète ^ on croyait généralement la
terre carrée, placée au milieu des mers et ne' renfer-
mant que deux parties, l'Europe et l'Asie. D'autres y
56 Lï Diï DE 1,'Erberie.
■ Si com il tient à la roonde.
55 Or m'en creeiz :
Vos ne faveiz cui vo« véeiz.;
Taifiez-vos, & fî vos féeiz.
Véiz m'erberie :
' Je To» di , par làinte Marie ,
60 Que ce n'eft mie freperie ,
Mais granz noblelce ;
i'ai l'herbe qui les v... redrefce
Et celé qui les c... eftrefce
A pou de painne ;
65 De toutf fièvre fanz quartainne
Gariz en mainz d'une femainne ,
Ce n'eft pas faute;
Et fi gariz de goûte flautre :
Jà tant n'en iert basse ne haute,
70 Toute l'abat.
Ce la vainne dou cui vos bat.
Je vos en garrai fanz débat,
Et de la dent
Gariz-je trop apertement
75 Par .i. petitet d'oignemeni.
.ajoutaient l'Afrique, sans trop savoir où lamettre.Un
manuscrit de la Bibliothèque Sainte-Geneviève ^.'BB.a,
qui remonte à Pbilippe-le-Hardi, compare llinivers î
un ceuf. La (erre est le jaune; l'eau le blanc, et l'air la
pellicule; U toal til enveloppé par le feu, qui tiaU lieu
de coque. Dans un autre ouvrage, on trouve que le
wlcil passe la nuit à éclairer tantôt le purgatoire,
tantôt la mer, etc.
Li Diz DE l'Erberie. Sy
Que vos dirai ?
Oiez,cûument jou confirai :
Dou confire ne mentirai ,
C'eft cens riote ^
80 Preneiz dou fayn de la marmote,
De la merde de la linote
Au mardi main
Et de la fuelle dou pkntam ,
Et de FeAront de la putain
85 Qui foit bien viUe « ;
Et de la pourre.de Tefirille ,
Et du ruyl ^ de la faucille ,
Et de la lainne ,
Et de l'efcorce de Tavainne
()0 Pilei premier )or de femainne ;
Si en fereiz
Un amplafire : dou juz laveiz
La dent, Tamplaflrei metereiz
Defus la joe.
95 Dormeiz .ir pou , je le vos loe ;
S'au leveir n'i a merde ou boe,
1. Riot/s, raillerie, et plus particulièrement ba-
vardage.
Li uns chante, li autres note,
Et H autres dit la hiote.
(Le Dit du. Bvffet.— Fabliaux et Contes de Barbazan.)
Il y aussi une pièce intitUlée la Riote de V monde,
qui a été publiée par M. Francisque Michel.
2. Ms. 198N.-D. Var. vielle.
3. Ruyl, rouille.
5S Li Diz DE l'Erberie.
Diex vos deftruie 1
Efcouteiz , cil ne vos ànuie , .
Ce n'eft pas jomée de truie
100 Cui poéiz faire ;
Et vos cui la pierre fait braire,
Je vos en garrai fanz contraire
Ce g'i met cure.
De foie efchaulTei , de routure ,
io5 Gariz-je tout àdèfmefure,
A quel que tort ;
Et ce voz faveîz home fourt * ,
Faites-le venir à ma cort :
Jà iert touz fainz.
1 10 Onques mais nul )or n'oy mains,
Ce Diex me gari ces .ij. mains, .
Qu'il orra jà.
Or oeiz ce que m'en charja
Ma dame, qui m'envoia fâ.
Bêle gent, je ne fuis pas de ces povres pre(«
cheurs, ne de ces povres herbiers^ qui vont par
devant ces mostiers, à ces povres chapes mau
cozues, qui portent boîtes & fâchez, & û eilen-
1. Ms. 7633. Var. tort.
2. Herbiers : le statut de la Faculté de médecine
rédigé en 1281, sous le décanatdeJean deChérolles«
défend aux herbiers de donner aucun remède alté-
rant» laxatif ou autre» si ce n'est en présence d'un
médecin, excepté les remèdes. vulgaires, tels que su-
cre rosat, eau de rose, etc.
Li Diz DE l'Erberie. 59
dent .i. tapiz ; car teiz vent, poivre & coumin
& autres efpices, qui n'a pas autant de fâchez
com il ont. Sachiez que de ceulz ne fui- je pas ;
ainz fuis à une dame qui a non madame Trote *
de Salerne , qui fait cuevre-chief de ces oreilles ,
& li forciz li pendent à chaainnes ^ d'argent par*
defus les efpaules ; & fâchiez que c^eft la plus
fage dame qui foit enz quatre parties dou monde.
Ma dame fî nos envoie en diverfes terres & en
divers païs, en Puille, en Calabre, en Tof«-
quanne, en Terre de Labour, en Alemaingne,
en Soiffoinne, en Gafcoingne, en Efpàigne, en
Brie, en Champaingne, en Borgoigne, en la
torefl d'Ardanne , por occir les belles fauvages &
por traire les oignemens, por doneir médecines
à ceux qui ont les maladies es cors. Ma dame û
me difl & me commande que, en queilque leu
que je veniife, que je déiife aucune choze fi que
cil qui fuffent entour moi i priffent boen eifam-
ple, &. por ce qu'ele me fîft jureir feur (ainz
quant je me départi de li , je vos apanrai à ^rîr
dou mal des vers fe volez oïr. — Voleiz oïr ?
Aucune genz i a qui me demandent dont les
vers viennent. Je vos fais afavoir qu'ils viennent
de diverses viandes refchauffées , & de ces vins
enfiiteiz. & boteiz. Si fe congrient es cors par cha-
leur & par humeurs ; car, fi com dient li philo-
1. Ms. 198 N.-D. Var. Crote.
2. Ms. 198 N.-D. Var. à .ij. channes.
6o Li piz DE l'Erberie.
fophe, toutes chozes en font criées, & perce,
fi viennent li ver es cors qui montent jufqu'au
cuer, & font morir d'une maladie c'en apele
mort fobitainne. Seigniez-vos ! Diex vos en gart
touz &. toutes.
Por la maladie des vers garir (â vos iex k
véeiz , à vos piez la marchiez l) la meilleur herbe
<{\ii foit elz quatre parties dou monde, ce eft
Termoize. Ces famés c'en ceignent le foir de la
Saint-Jehan , & en font chapiaux feur lor chiez ,
& dient que goûte ne avertinz ^ ne les puet panre
n'en chiez, n'en braz, n'en pié, n'en main;
mais je me merveil quant les telles ne lor brifent
et que li cors ne rompent parmi, tant a Herbe
de vertu en foi. En celé Champaigne où je fui
néiz^ Fappele^hon marreborc^ qui vaut autant
comme la meire des herbes. De celg herbe panr-
roiz troiz racines , .v. fuelles de fauge , .x. fuelles
de plaintaing. Bateiz ces chozes en .i. mortier
de cùyvre , à un peteil de fer , defgeuneiz-vos dou
jus par .il), matins: gariz fereiz de la maladie des
vers.
Ofteiz vos chaperons, tendeiz les oreilles,
regardeiz mes herbes que ma dame envoie en
ceft païs & en ceft terre ; & por ce qu'el vuet
que li povres i puift aufi bien avenir coume li
riches, ele me difl que j'en féilTe danrrée ; car
1. Avertin:^ , vertige, épilepsîe.
2. Voir pour ces mots la préfece de ce volume.
\
Li Diz DE l'Erberie. 6i
teiz a .i. denier en fa borce qui n'i a pas .v.
livres ; & me dift & me commanda que je prifle
.i. denier de la monole qui corroit el pats &. en
la contrée où je vanrroie : à Paris .i. pariii, à
Orliens .i. orlenois^, au Mans .1. manfois, à
Chartes .i. chartain, à Londres en Aingleterré
.i. eilerlin ; por dou pain , por dou vin à moi ;
por dou iàïn , por de Tavainne à mon roncin ;
car teil qui auteil fert d'auteil doit vivre.
Et je di que cil eiloit fi povres, ou honz ou
famé , qu'il n'éufl que doner, venifl avant : je ii
presterbie Tune de mes mains por Dieu & l'autre
por fa meire, ne mais que d'ui en .i. an féift
chanter une n^fTe do Saint-Efpérit , je di nou-
méement por Tarme de ma dame, qui ceft mef-
tier m'aprifl je ne faife )k trois pez que li quars
ne foit por que Tarme de fon père & de fa mère
en rémiiïîon de leur péchiez. Ces herbes vous ne
les mangereiz pas ; car il n'a si fort buef en cel(
pays, ne fi fort deilrier que ç'il en avoit aufi
groz com .i. pois for la langue qu*il ne moruft
de mal mort, tant font forts & ameîres*, & ce qui
eft .ameir à la bouche , fi eft boen au cuer. Vos
les metreiz .iij. jors dormir en boen vin blanc^;
I. Le Ms i6$ N.-D. ajoute: « A Estampe .i. es-
tampois> à Bar .i. Barrois, à Viane .i,yianois^ à Gler-
mont .i. dèrmondois, à Dyjon .i. dijonnois, à Mascon,
.i. masconois^ à Tors .i. tornois^ à Troies .i. trées-
sien, à Raiod.l. rencien/à Prouvins '.i. provenoisien,
•à Amiens .i. moncien, à Arras .i. artisien.
62 Li Diz DE l'Erberie.
fe vos n'aveiz blanc, fi preneiz vermeil * ; fi vos
n'aveiz vermeil, preneiz de la bêle yaue clère;
car teiz a un puis devant fon huix , qui n'a pas
.i. tonel de vin en fon célier. Si vos en de%eune-
reiz par .xiij. matins. Ce vos failleiz à un , pre-
neiz autre ^ ; car ce ne font pas eharaies ' ; & je
vos di par la paiflion dont Diex maudifl Corbi-
taz ^ le juif qui forja les .xxx. pièces d'argent en
la tour d'Abilent, àiij. lieues de Jhérufalem dont
Diex fil venduz, que vos fereiz gariz de diverfes
maladies & de divers mahainz, de toutes fièvres
fanz quartainne , de toutes goûtes fanz palazine^
de Tenflure dou cors, de la vainne dou cul c*ele
vos débat; car ce mes p'ères & ma mère efioient
ou péril de la mort & il me demandoient la meil»
leure herbe que je lorpéufie doneir, je lor don«»
roie cefte.
En teil menière venz-je mes herbes & mes
oignemens : qui vodra fi en preingne, qui ne
vodra fi les laift *.
1. Ms. 198 N.-D. Addition. Si vous n'aveiz ver-^
meil, preneiz châtain; se voz n'aveiz châtain^ etc. ^
2. Ms. 198 N.-D. Var. Se vous i tailliez le qumrt^
prenés le quint.
3. Ci^raie^, sortilèges.
4. Ms. 198 N.-D. Var. Gorbacas.
5. Cette dernière phrase manque au Ms. 198 N.-D^
€tpMt V^thttU mntftthntf.
Wt £xht 9tnmf
<(Dtt ci nummtxut
fi Pi3 te /retre IHenije ie ^oxUlUt \
Mss. 7218, 7633.
5
r abis ne fet pas Termite ;
^S'uns hom en hermitage abite
'Et il en a les dras veilus ,
Je ne pris mie .ij. feUus
Son abit ne fa véiléuré ,
S*il ne maine vie aufî pure
I. Legrand d'Aussy (voyez tome III, page 380^
édition Renouard) a fait de cette pièce une très-courte-
analyse , et Méon en a imjprimé le texte dans le recueih
de^Barbazan , tome III , pag^e 76. L'ayenture qui fiait
le sujet de ce fabliau a été traitée bien souvent. D'a-
près le Journal de Paris , sous Henri III elle serait
plus vraie qu'elle n'en a Tair. c En 1577, lit-on dans
cet ouvrage^ fut prise et découverte, dans le couvent
des Cordeliers de Paris, une garce fort belle defguisée
& habillée en homme, qui se fefoit appeler Antoine.
Bile fervoit, entre les autres , Frère Jacques Berfon...
& par dévotion avoit fervy bien dix ans les beaux
frères fans avoir jamais été intéreCfée en fon hon*
'^m^
64 De Frère Denise.
Comme fon abit * nous démonftre;
Mes maintes genz font bêle monflre
neur. » L'auteur ajoute qu'elle fut mise en prison et
condamnée au fouet.
Dans V Apologie pour Hérodote , il y a aussi une
jeune fille de quinze ans, réduite à demander Tau-
mône, qu'un Cordelier emmenait avec lui et dont
il faisait son compagnon. Enfin, dans les Contes de
la reine de Navarre, nouvelle 3i, dans les Cent Nou-
velles de la cour de Bourgogne , dans un conte de
La Fontaine (les Cor délier s delà Catalogne), dans
les Annales galantes de M"" de VilledieUf la pièce de
Rutebeuf se retrouve avec diverses modifications.
Enfin, Marie-Joseph Chéniar, dans sa leçon de l'Athé-
née sur les Fabliaux français (leçon dont il est ques-
tion dans notre Notice sur Rutebeuf, p. x, dit, à propos
de ce fabliau : « Rutebeuf, le plus original des auteurs
de fabliaux, mérite un article à part. Dans l'un de
ses contes, une jeune fille séduite prend l'habit de
Cordelier; mais une dame charitable et sage s'aper-
çoit du déguisement^ sauve la jeune fille et force le
moine séducteur de contribuer à l'établi ssenient de
celle qu'il a voulu perdre. La dame , en reprochant
au béat sa conduite coupable, l'appelle hypocrite et
même papelart, mot fort usité dans les Fabliaux :
ce que nous observons en passant, mais sans vouloir
en tirer de nouvelles conséquences , et seulement pour
conserver la tradition. i> '
A propos de ce fabliau, Daunou s'exprime ainsi:
tt Le déguisement de la demoiselle en Cordelier est
Tefiet des artifices du frère; c'est pour Rutebeui
une occasion d'exercer sa verve satirique contre
les hypocrites ou, comme il dit, les papelards ^ mot
dont l'usage est on ne peut plus fréquent dans les
poésies de ce siècle. »
I. Ms. 7633. Var. ces habiz.
De Frère Denise. û>
Et merveilleux fanblant qu*il vaillent :
lo II fanblent-les arbres qui £iillent
Qui furent trop bel au florir.
Bien devroient tels genz morir
A grant dolor * & à grant honte. ^
I. proverbe dift & raconte
1 5 Que tout n'eft pas^or c'om voift luire :
Por ce m'eiluet ains que- je mu ire
Fere .i. ditié ^ d'une aventure
De la plus bêle créature
Que Fen puilfe trover ne querre
20 De Paris jufqu*en Engle terre ;
Vous dirai comment il avint.
Granz gentiz homes plus de .xx.
L'avoient à famé requife*,
Mes ne voloit en nule guife
i5 Avoir ordre de mariage,
Ainz a fet de fon pucelage
Veu à Dieu & à Noftre-Dame.
La pucele fu gentil famé ;
Chevaliers ot efté fon père :
3o Mère avoit, mes n'ot fuer ne frère.
Mult fentr'amèrent, ce me sanble ,
La pucele & la mère enfanble.
Frères Meneurs laianz hantoient
Tuit cil qui par iluec paffoient.
35 Or avint c'uns en 1 hanta
1. Ms. 7633. Var. vilainnement.
2. Ms. 7633. Var. flabel,
RUTEBEUF. II.
(*>6 De Frère Denise.
Qui la damoilele enchanta :
Si vous dirai en quel manière.
La pucele li fîft proière
Que il fa mère requéift
40 Qu'en relégion la méift ,
Et il li difl : a Ma douce amie ,
Se mener voliiez la vie
Saint François , comme nous fefon^
Vous ne porriiez par refon
45 Faillir que vous nef uffiez fainte. »
Et celé, qui fu jà atainte,
Et conquife , & mate . & vaincue ;
Si toft comme ele ot entendue
La refon du Frère Meneur ,
5o Si dift : « Se Diex me doind honeur !
Si grant joie avoir ne pofroie
De nule riens comme j'auroie
Si de voftre ordre pooie eftre.
Ds bone eure me fift Diex neftre
55 Se g'i pooie eftre rendue ! »
Quant li frères ot entendue
La parole * à la damoifele ,
Se Ù a dit : « Gentil pucele ,
Se me doinft Diex f amor avoir,
60 Se de voir pooie favoir
Qu'en noftre ordre entrer voufiffiez ^
Et que fanz fauffer péuffiez
1. Ms. 7218. Var. reson.
De Frère Denise. 67
Garder voftre virginité ,
Sachiez en fine vérité
65 Qu'en noftre oindre bien vous metroie. »
Et la pucèle li otroie
Qu'el gardera fon pucelage
Treftoz les jors de fon éage.
Atant li Frères ^ la reçut ;
70 Par fa guile celé decut
Qui à barat n'i entendi :
Defus f âme li deffendi
Que riens fon confeil ne déift ,
Mes fi céelement féifl
75 Coper fes bcles treces blondes
Que jà ne le féuft li mondes ,
Et féift rère eftancéure ,
Et préift tele veftéure
Comme â tel homme covendroit,
80 Et qu'en tel guife venift droit
En .i. leu dont il ert cuflodes.
Cil , qui eftoit plus faus qu'Hérodes ,
S'en part atant & li met terme ;
Et celé a ploré mainte lerme
85» Quant de li départir le voit.
Cil qui la glofe li devoit
Fère entendre de la leçon
L'a mîfe en maie foupeçon.
Maie mort le praingne éc ocie !
90 Celé tient toute à prophéfie
I. Ms. 7633. Va». Et cil maintenant la reçut.
68 De Frère Denise.
Quanques cil 11 a fermoné.
Celé a ion cuer à Dieu doné ;
Cil refet du fien autel don
Qui bien l'en rendra guerredon :
95 Mult par eft contrère fa penfle
Au bon penffer où ele penfle ;
' Mult eft lor penflee contrère ;
Car celé penfle à li retrère ,
Et ofter de l'orgueil du monde ,
100 Et c'il, en qui pechié foronde,
Qui toz art du feu de luxure ,
A mis fa penflee & fa cure
A la pucele acompaignier
Au baing où il fe veut baignier,
io5 Où il fardra, fe Diex n'en penfle,
Que jà ne li fera deflenfe ,
Ne ne li faura contredire
Chofe que il li veuille dire.
A cevait li Frères penflant, '
no Et fes compains en trefpaflànt ,
Qui f efbahift qu'il ne parole ,
Li a dite cefte parole :
« Où penfez-vous, frère Symon? »
— « Je péris, fet-il, à à. fermon , .
1 15 Au meilleur que je penfaifle oncques.
Et cil refpont : « Or penflez donques !
Frère Symons ne puet deffenfle
Mètre en {on cuer que il ne penfle
A la pucele qui den^eure ,
1 20 Et celé défirre mult Teure
De Frère Denise. 69
Qu'ele foit çainte de la corde :
Sa leçon en fon cuer recorde
Que li Frères li a donée.
Dedenz .iij. jors f en eft emblée
125 De la mère qui la, porta,
Qui forment f en defconforta.
Mult fu à malaife la mère ,
Qu'el' ne favoit où fa fille ère ;
Grant dolor en fon cuer demaine
1 3o Trefloz les jors de la femaine ,
En plorant regirete fa fille ;
Mes celé ne done une bille ,
Ainz penfle de li efloingnier :
Ses biaus crins ot fet rooingnier :
F 35 Comme vallet fu eftancie
Et fu de bons houfiaus * chaucie ,
Et de robe à homme veftue
Qui efioit par devaht fendue :
Bien fambloit jone homme de chière ^ ;
140 Et vint en itèle manière
Là où cil li ot terme mis.
Li Frères, que li anemis
1. Ou hueses, heuses. Ce mot, qu'on trouve aussi
écrit hue:{es , heuses y koses, houcettes au diminutif,
houseauXj signifie, le plus souvent, comme ici : des
guêtres , des bottines ; d'où on à fait encore le verbe
huêser, huésier, mettre ses houses ou ses houseaux,
(Voyez le Commentaire d^Éloi Johanneau, qui suit
notre édition Des XXIII Manières de Vilains, —
Paris, Silvestre et Techener, 1834.)
2. Ms 7633. Var. Pointe devant, pointe derrière.
70 De Frère Denise.
Contraint & femont & argue ,
Ot grant joie de fa venue.
En Tordre la fift recevoir :
Bien lot fes frères décevoir.
La robe de l'ordre li done
Et li lift fère grant corone * ;
Puis la fift au mouftier venir.
1 5o Bel & bien fe fot contenir
Et en cloiftre & dedenz mouftier,
Et ele fot tout fon fautier,
Et fu bien de chanter aprife :
O 2 les autres chante en Téglife
1 55 Mult bel & mult cortoifement ;
Mult fe contient honeftement.
Or ot damoifele Denise
Quanqu'ele vout à fa devife.
Oncques fon non ne li muèrent;
i6o Frère Denise l'apelèrent 3.
Frère Denise mult amèrent
Tuit li Frère qui léenz èrent ;
Mult plus Tamoit frères Symons.
1 . Il la fit tonsurer.
2, O, ou od, cum, avec.
^i\}^ ^?' 7^^^ *i°"^® ^P^^s ^e vcFs la variante sui-
vante, qui n'est pas reproduite par Méon :
Que vos iroi#-ge dizant ?
Frère Symons fift vers li tant
Qu'il fift de li touz cçs aviaux,
Et li aprift ces geux noviaux
Si que n'uns ne fen aparfut.
Par fa contenance defut
Touz ces frères frère Denize.
De Frère Denise.
SoVent fe metoit es limons ,
IÔ5 Com cil qui n'en ert pas retrais ,
Et il fi amoit mi ex qu'ens trais :
V Mult ot en lui bon limonier.
Vie menoit de pautonier ^ ,
Et ot leffié vie d'apoftre.
1 70 A celé aprift fa patrenoftre ,
Qui volentiers la retenoit.
Parmi le païs la menoit ;
N'a voit d'autre compaignon cure :
Tant qu'il avint par aventure
175 Qu'il vindrent chiés .i. chevalier
' Qui ot bons vins en fon celier,
Qui volentiers lor en dona ;
Et la dame fabandona
A regarder frère Denise :
1 80 Sa chière & fon famblant avife ;
Aparcéue f eft la dame
Que frère Denise eftoit famé.
Savoir veut fe c'eft voirs ou fable :
Quant l'en ot fet ofter la- table
i65 La dame, qui bien fu aprife,
Prift par la main Frère Denise.
A fon feignor prift à forrire ;
En fouriant li dift : « Biaus lire ,
Alés-vous.là defors efbatre,
190 Et fefons .ij. pars de nous .iii). :
Frère Symon o vous menez,
I. Pautonier, homme de mauvaise? mœurs.
/-
De Frère Denise.
Frère Denise efl alTenea
De ma confefîion oïr. »
Lor n'ont talent d'els efjoïr :
i()5 Li Cordelier dedens Pontoife *
Voufiflent eftre ; mult lor poife
Que la dame de ce parole ;
Ne leur plut pas cette parole »
Quar paor ont d'apercevance.
200 Frère Symons vers li favance ,
Puis li dift quant de li f apreJÛTe :
« Dame , à moi vous ferez confeffe ,,
Quar cil Frères n'a pas licence
De vous enjoindre pénitence. »
20 5 Et ele refpondi : t Biausfire,
A cettui vueil mes péchiez dire
Et de confefîion parler. »
Lors l'a fet en fa chambre aler ,
* Et puis clôt l'uis & bien le ferme ;
2 jo Avoec li dant Denise enferme ,
Puis il a dit : « Ma douce amie,
Qui vous confeiUa tel folie
D'entrer en tel relégion?
Si me doinft Diex confeffibn
2 1 5 Quant Fâme du cors partira ,
Que jà pis ne vous en fera
Se vous la vérité me dites.
Si m'ait li Sains-Efpérites ,
• »
I. Les Gordeliers avaient à Pontoise un fort beain
couvent.
De Frère Denise. ' 7>
Bien vous poez.fier en moL »
220 Et celé, qui ot grant efmoi ^ ^
Au miex que pot de ce f efcufe ;
Mes la dame la lift concluiè
Par les reCons qu'el li fot rendre ,
Si que plus ne fe pot. deffendre.
225 A genillons merci li crie ,
Jointes mains li requiert & prie
Qu'ele ne li face fère honte ,
Et puis de chief en chief li conte
Que il Ta treft de chiés fa mère ,
2 3o Et fe 2 li conta qui ele ère ,
Si que riens ne li a celé.
La dame a le Frère ap^lé ,
Puis li dift devant fon feignor
Si grant honte c'onques greignor
235 Ne fil mes à nul homme dite :
f Faus papelars,^ , faus ypocrite^
Faufle vie menez & orde.
Qui vous pendroit à voftre corde
Qui eflen tant de lieuâ noée,
240 II auroit fet bone jomée. ,
Tels genz font bien le fiècle peftre
Qui par dehors famhlent bons eflre
Et par dedens font tuit porri !
La norrice qui vous norri .
1. Ms. 7218. Var". esfroi.
2. Ms. 7633. Var. puis.
3. Papelars, faux dévot.
74 De Frèrb Denise.
245 Fift mult mauvèfe norreture,
Qui fi très belle créature
Avez à fi grant honte tnife !
I. tel ordre i par faint * Denise!
N'eil mie biaus, ne bons, ne genz.
2 5o Vous deffendez aus. bones ^ genz
Et les danlTes & les caroles ^ ,
Vièles, tabors & ci tôles -*,
Et déduis ^ de ménefterez :
Or, me dites, fîre haus rez <•,
2 53 Mena faint Françoys tele vie?
Bien avez honte défervie
, Comme faus trahi tre prové,
Et vous avez mult bien trové
Qui vous rendra voftre déferte l »
260 Lors a une grant huche ouverte
Por mètre le frère dedenz ;
Et frère Symons tout adenz
Lez la dame fe crucefie ;
Et li chevaliers f umélie,
265 Qui de firanchife ot le cuer tendre ,
X Quant celi vit çn crois eftendre,
Si le liève par la main délire :
Frère, fet-il, volez- vous eftre
I. Ms. 7218. Var. sœur.
1. Ms. 7633. Var\ Jones.
3. Caroles, danse à la parole.
4. CitoleSy instruments à cordesqui existent encore.
5. Ms. 7633. Var. Et toz déduis.
^. Haus rejf, haut rasé; par allusion à sa tonsure.
De Frère Denise. jb
De ceft a^re tôt délivres ?
270 Porchaciés-nous jufqu'à .c. livres *
A marier la damoifele. 1
Quant li Frères ot la novele ,
Oncques n'ot tel joie en fa vie.
Lors .a fa fiance plevie
275 Au chevalier des deniers rendre ;
Bien les rendra fanz gage vendre :
Auques fet où il feront pris.
Atant fen part , congié a pris.
La dame , par fa grant franchife ,
280 . Retint damoifele Denise ,
Conques de riens ne Teffrota ,
Mes mult durement li proia
Qu'ek fuft treftoute féure ' ,
Que )à de nule créature
285 Ne fera fon fecré feu ,
Ne qu'ele ait à homme géu ,
Ainçois fera bien mariée ;
Choififle en toute la contrée
Celui que miex avoir voudroit ,
290 Ne mes qu'il fuft de fon endroit.
Tant fift la dame envers Denise
Qu'ele l'a en bon penffé mise :
Ne Ta fervi mie de lobes.
Une de fes plus bêles robes
295 Devant fon lit li aporta :
A fon pooir la conforta
j
1. Ms. '7633. Var. Porchaciés tost .iiij, c. livres.
jh De Frère Denis.
Com celé qui ne fe ^Eiînt çiie.
El li a dit : 't Ma douce amie ,
Cefle veflirez-vous demain. »
3oo Ele-méifme de fa main
La veft ainçois qu'ele couchait :
Ne foufri pas qu'autre i touchaft .
Quar privéement voloit fère
Et courtoifement fon afère,
3o5 Que fage dame & cortoifp ère.
Privéement-manda la mère
Denise par .i. Hen mefîage.
Mult ot grant joie en fon corage
Quant ele ot fa fille yéue,
3 1 G Qu'ele cuidoit avoir perdue ;
Af es la dame li fift acroire
Et par droite vérité croire
Qu'ele ert aux Fiiles-Dieu Fendue ,
Et qu'à une autre l*ot tolue
3 1 5 Qui .i. foir léenz Tarnena ;
Que por pou ne fen forfena.
Que vous iroie-je contant
Ne leur paroles devifant ?
' Du rioter feroit néenz ;
320 Mes tant fu Denise léenz
Que li denier furent rendu.
Après n'oi guères atçndu
Qu'el' fu â fon gré affenée :
A .i. chevalier fu donée
325 Qui l'avoit autrefoiz requife.
Or ot non madame Dépose ,
.De Frère Denise.
Et fu à niult plus grant honor
Qu'en abit de Frère Mener,
Cfpltnt )t irtce ^m\»t.
C'e«t « «eetament "bt V3int \
Mss. 7633.
ui vuet au iiôcle à honeur vivre
Et la vie de feux enfuyvre
Qui béent à avoir 'chevance,
Moût treuve au fiècle de nuifance ,
5 Qu'il at mefdizans davantage
Qui de ligier li font damage ,
1. Cette pièce, dont Legrand d'Aussy a donné une
traduction avec de fort longs commentaires^ qui n'ont
aucun rapport avec son texte (voyez tome III de ses
Fabliaux, pag. io5 et suivantes, édition de Re-
noua rd), a été imprimée par EÎarbazan. ( Voyez
t. III de Méon , pag. 70. ) On en retrouve le sujet dans
les Facéties et Mots subtils en français et en italien ,
ioK 17; dans les Novelle diMalespini, t. IT, nov. Sg ;
dans les Mille et une Nuits (histoire du cadi qui veut
faire punir un Musulman pour avoir fait des funé-
railles à son chien); dans le Dictionnaire d'anecdotes,
t. II, pag. 45 1 ; dans les Fables (tA bstémius ; dans les
Contes deSedaine; dans les Facetiœ Pogii; dans les
Facetiœ Frischlini, pag. 270; dans VArcadia in
Brenta, pag. 323; et dans les Convivales sermones,
t. I, pag. 154; enfin, Imbert Ta mise en vers fmn-
çais, t. ly pag. 264, de son Recueil de Fabliaux (Pa-
ris, 1795). Daunou a dit, tant à son sujet qu'à
celui des autres contes de notre po6te : a Les fabliaux
C'est li Testament de l'Ane. 79
Et fi eft touz plains d'envieux.
Jà n'ieft tant biaux ne gracieux ,
Se dix en font chiez lui assis ,
I o Des mefdizans i aura fix.
Et d'envieux i aura nuef.
Par derrier ne prifent .i. oés,
Et par devant U font teil fefte
Chafcuns l'encline de la tefte.
1 5 Coument n'auront de lui envie
Cil qui n'amandent de fa vie ,
Quant cil l'ont qui font de fa table ,
Qui ne li font ferm ne metable ?
Ce ne puet eftre, c'eft la voire.
20 Je le vos di por .i. prou voire
Qui avoit une bone efglife *,
Si ot toute fenténte mife
A lui chevir & ^aire avoir :
A ce ot tornei fon favoir.
25 Affeiz ot robes & deniers;
Et de bleif toz plains ces greniers,
Que li preftres favoit bien vendre ,
Et pour la vendue atendre
De Pasques à la Saint-Remi ;
3q Et fi n'éuft û boen ami
Qui en péuft riens née traire ,
S'om ne li fait à force faire.
de Rutebeuf ont trop d'originalité pour ne pas indi-
quer au moins son Testament de VAne, sa Jeune fllle
déguisée en Cordelier, et la Dame qui fit trois tours
autour le moufiier, i
^o C'est li Testament d^ l'Ane,
Un afne avoit en fa maifon ,
Mais teil afne ne vit mes hom
35 Qui vint ans entiers le fervi ;
Mais ne fai fonques teil ferf vi.
Li afne morut de viellefce
. Qui mult aida à, la richefce.
Tant tint li preftre fon cors chier
40 Conques non laiflaft acorchier
Et l'enfoy ou femetiôre ;
Ici lairai cefle matière.
L'evefque ert d'autre manière
Que covoiteux ne efchars n'iere ,
45 Mais cortoîs & bien afaitiez
Que cil fuit jà bien defhaitiez
Et véift preudome venir
N' uns ne Ppéuft el lift tenir.
Compeignie de boens creftiens
5o Eftoit fes droiz lîficiens ;
Toujours eftoit plainne fa fale :
Sa maignie n'eftoit pas maie ;
Mais quanque li fires voloit
N*uns de ces fers ne fen doloit :
55 Cil ot mueble, ce fut de dete ;
Car qui trop defpent il f endete.
Un jour grant compaignîe avoit
Li preudons qui toz biens favoit.
Si parla l'en de* ces clers riches,
60 Et des preftres avers & chiches
Qui ne font bontei ne honour
C'est li Testament de l'Ane. 8i
A evefque ne à feignour.
Cil preflres i fut emputeiz ,
Qui tant fut riches & monteiz :
65 Aufi bien fut fa vie dite
Com ci la véiflènt efcrite ,
Et 11 dona l'en plus d'avoir
Que troi n'em péuïTent avoir ;
Car hom dit trop plus de la choze
7P Que hom n'i trueve à la parcloze.
« An cor a-t-il teil choze faite ,
Dont granz monoie feroit traite ,
S'eftoit qu'il la méift avant ,
Fait cil qui vuet fervir devant , .
75 Et c'en devroit grant guerredon. »
— f Et qu'a-il fait? » dit li preudon.
— « IJ a pis fait c'un Béduyn ,
Qu'il at fon afne Bauduyn
Mis en la terre bénéoite. »
80 — f Sa vie foit la maléoite ,
Fait l'evefques ; fe ce eft voirs ,
Honiz foit-il, & ces avoirs.
Gautier, faites-le-nous femondre :
Si orrons le preftres refpondre
85 A ce que Robjers li meft feure ;
Et je dî, fe Dex me fecoure,
Se c'eft voirs , j'en aurai l'amende. * »
I . L'usage permettait, en effet, à un évêque de con-
damner un prêtre à l'amende et de le faire mettre en
prison pour un délit ecclésiastique. On aura une idée
RUTBBBUF. 11. 6
S2 C'est li Testament de i>*Ane.
— a Je vous otroi que l'en me pânde ,
Se ce n'eft voirs que j'ai contei ,
fjo Si ne vous Çft onques bontei. »
Il fut femons ; li preftres vient :
Venuz eft refpondre convient
A fon évefque de cefl quas
Dont li preftres doit eftre quas.
«)3 — f Faux , defléaux , Deu anemis ^
Où aveiz-vos voftre afne mis ?
Dift l'evelques. Moût aveiz fait
A fainte Églife grant meffait ;
Onques mais n'uns (î grant n'oy ,
1 00 Qui aveiz votre afne enfoy
Là où on met gent crefti.enne!...
Par Marie l'Egyptienne !
Cil puet eftre choze provée , .
Ne par la bone gent trovée ,
io5 Je vos ferai mètre en prifon,
Conques n'oy teil mefprifon. »
Dit li preftres : c Bîax très dolz (ire ,
Toute parole fe lait dire ;
Mais je demant jor de confeil ,
de la police de ces temps-là quand on saura que ces
amendes formaient en grande partie, avec les confis-
cations, le produit de la justice des seigneurs^ et que
ce produit était un de leurs revenus les plus considé-
rables. Philippe-Auguste comptait au nombre de ses
différents droits les forfaits et les crimes : Nostra
jura et nostram justitiam, et fore-fada quœ proprie
nostra sunt. (Legrand d'Aussy, t. III^ édit. Renouard.)
C'est li Testament de l'Ane.
1 10 Qu'il eft droîz'que je me confeil
De cefte choze , c41 vos plait ,
Non pas que je i bée en plait. »
— « Je vuel bien le confeil aiez ,
Mais ne me tieng pas apaiez
1 1 5 De cefte choze; c'ele eft voire. »
— t Sire , ce ne fait pas à croire. »
Lors fe part li vefques dou preftre,
Qui ne tient pas le fait à fefle.
Li preftres ne fefmaie mie ,
1 20 Qu'il feit bien qu'il at bone amie :
^Ceft fa borce, qui ne li faut
Por amende ne por défaut.
Queque foz dort & termes vient.
Li terme vint, & cil revient :
125 Xx. livres en une corroie
Touz fes ^ & de bonne monoie
Aporta li preftres o foi ;
N'a garde qu'il ait fain ne foi.
Quant l'efvefques le voit venir,
1 3o De parler ne fe pot tenir :
Preftres , confoil aveiz eu ,
Qui aveiz vollre fens béu ? »
— « Sires , confoil oi-ge, cens faille ;
Mais à confoil n'afiert bataille.
»35 Ne vos en devez mervillier,
I . Tout secs.
83
84 C'est li Testament de l'Ane.
Qu'à confoil doit-on concilUer.
Dire vos vueul ma confcience;
Et c'ii i afiert pénitance ,
Ou foit d'avoirs, ou foit de cors,
140 Adons û me corrigiez lors. •
L'cvefques fi de li faprouche
Que parleir i pout bouche à bouche.
Et li preftres liève la chière,
Qui lors n'out pas monoie chière.
145 Defoz fa chape tint l'argent :
Ne l'ozat montreir por la gent.
En conciliant conta fon conte :
« Sire , ci n'afiert plus lonc conte :
Mes afnes at lonc tans vefcu ;
i5o Moût avoie en li boen efcu,
Il m'at fervi, & volentiers,
Moult loiaument .xx. ans entiers ,
Se je foie de Dieu aflbux.
Chacun an gaaingnoit .xx. fols,
i55 Tant qu'il ot efpargnié .xx. livres.
Pour ce qu'il foit d'enfer délivres
Les vos laiffe en fon teflament. •
Et dift l'efvefques : t Diex l'ament ,
Et fî li pardoint ces méfiais
1 60 Et toz les péchiez qu'il at fais M •
I. Dans les Fables d* A bstémius, le dénouemtnl est
encore plus spirituel : le prêtre vient apporter à l'évê*
que une grosse somme en écus dont l'empreinte re-
présente un roi qui a des armes en main, et Pévéque
Enfi corn vos aveiz oy,
Dou riche preftre fefjoy
L'evefques; por ce qu'il mefprit
A bonitei faire li aprift.
IÛ5 RuTEBUiîs nos diS & enreigne
Qui deniers porte à fa befoîngne
Ne doit douteir mauvais lyens.
Li afnes remell crelliens :
Atant la rime vos en lais,
1 70 Qu'il paiat bien & bel fon lais.
répond qu'iV ne peut résister à tant <ehommes armés.
— La pièce de Rutebcuf est une charmante satire des
donations raiies aux églises par testament.
Vrpltttt.
CSDu ci <n(0uinen(c
1*1 Wxi ^on |let an tPUain * .
Mss. 7218, 7615, 7633.
N paradis refpéritable
Ont grant part la gent chéritable ,
Mais cil qu'en aus n'ont charité ,
Ne fens, ne bien, ne vérité,
I. Legrand d'Âussy ( t. II de ses Fabliaux, p. 352,
édit. Renouard) a donné un analyse fort raccourcie
de ce fabliau sous le titre de l'Indigestion du vilain ,
et il y a mis une note que je crois devoir repro*
duire : < J'ai changé, dit-il, le titre de ce fabliau , qui
dans Poriginal est intitulé Dou Pet au villain. J'eusse
même supprimé le conte sans hésiter s*il n'eût con-
tenu que la polissonnerie grossière qu'annonce son
titre; mais, en l'admettant, j'ai moins considéré le
genre de plaisanterie qu'il offre que l'objet môme sur
lequel roule cette plaisanterie. On a déjà vu plusieurs
exemples de la licence avec laquelle les fabliers se per-
mettaient de badiner sur le paradis et l'enfer. Aux
réflexions que mes lecteurs n'auront pas manqué de
faire à ce sujet, j'ajouterai seulement quelques faits,
qui sûrement en occasionneront de nouvelles : c'est
Dou Pet au Vilain. 87
5 Si ont failli à celé joie S
Ne ne cuit que jà nus en joie
S'il n'a en li pitié humaine.
Ce di-je por la gent vilaine
Conques n'amèrent clerc ne prefte ,
10 Si ne cuit pas que Diex lor prefte
En paradis ne leu ne place.
Onques à Jhéfu-Chrift ne place
que ces scandaleuses facéties étaient la récréation des
grands seigneurs aux fêtes de l'année les plus solen-
nelles; c'est que, tandis qu'on exterminait par le feu,
par des croisades particulières , etc. ^ certains héréti-
ques qui ne différaient qu'en quelques points de la
•croyance générale^ les poètes qui composaient ces
impiétés, les musiciens qui les chantaient, ont vécu
tranquillement et sont morts dans leur lit; c'est que
ces pièces ont paru presque toutes sous le règne du
plus dévot de nos monarques, sous un prince dont
la maxime était qu'il ne faut répondre que par un
•coup d'épée à celui qui ose médire de la loi chrétienne^
sous un prince qui fit percer d'un fer rouge la langue
d'un bourgeois de Paris convaincu de blasphème ;
qui, lorsque les Languedociens, révoltés contre l'é-
tablissement de l'Inquisition , prirent les armes, em-
ploya son autorité contre eux, etc. wMéon a également
laissé cette pièce dans son édition du recueil de Barba-
zan. (Voyez Fabliaux , t. III , pag. 67. )
I . Ms. 761 5 offre pour I3 vers précédent la variation
suivante:
Mes cil qu'en au» n'ont vérité ,
Ne bien, ne pais, ne charité.
Ms. 7633. Var.
Ne bien, ne foi, ne loiaute*.
88 Dou Pet au Vilain.
.Que vilainz ait herbregerie
Avoec le filz fainte Marie ;
1 5 Quar il n'eft refon ne droiture
(Ce trovons-nous en Efcriture) r
Paradix ne puéent avoir
Por deniers ne por autre avoir ^
Et à enfer r*Qnt-il failli ,
20 Dont li maufez font maubailli v
Si orrez par quel mefprifon
Il perdirent celé prifon.
Jadis fîi uns vilains enfers :
Appareilliez * eftoit enfers
25 Por l'âme au vilain recevoir ;
Ice vou di-je bien de voir,
Uns déables iert venuz
Par qui li droiz ert maintenuz.
Maintenant que léenz defcent,
3o .1. fac de cuir au cul li pent,
Quar li maufez cuide fanz faille
Que l'âme par le cul^fen aille.
Mes li vilains , por garifon ,
Avoit ce foir prife poifon.
35 Tant ot mangié bon buef as aus-
Et du cras humé qui fu chaus , ^
Que la pance ne fu pas mole ,
Ainz li tent com corde à ci tôle.
N'a mais doute qu'il foit périz ;
I. Ms. 7633. Var. Empareilliez,
Dou Pet au Vilain. 8(>
40 S or puet poirre , fi efl gariz.
A ceft enfort forment f efforce ,
A ceft effort met-il fa force ;
Tant f efforce , tant fefvertue ,
Tant fe tome , tant fe remue * ,
45 Cuns pet en faut qui fe deCroie ,
Li fas emplifl & cil le loie ;
Quar li maufez por pénitance
Li ot aus piez foulé la pance,
Et Ten dit bien en reprovier
5o Que trop eftraindre ïet chiier.
Tans ala cil qu'il vint à porte
Atout le pe\ qu'el fac enporte ;
En enfer gete & fac & tout ,
Et li pez en failli à bout.
5 5 Eftes-vous chaicun des maufez
Mautalentiz & efchaufez,
Et maudient Tâme à vilain.
Chapitre tindrent lendemain^
Et facordent à cel accort
60 Que jamais, nus âme n'aport
Qui de vilain fera iffue *,
Ne puet eftre qu'cle ne pue.
A ce f acordèrent jadis ,
Qu'en enfer ne en paradis
65 Ne puet vilains entrer fanz doute :
Oï avez la refon toute.
RusTEBUES ne fet entremetre
Où l'en puiffe âme à vilain mètre y
<)0 Dou Pet au Vilain.
Qu'ele a failli à ces deux raignes ;
70 Or voift chanter avec les riiines * *
' Que ç*eft li mieildres qu'il i voie ,
Ou el tiègne droite la voie ,
'Por fa pénitence alégier,
En la terre au père Audegier :
'75 Ceft en la terre de Cocuce,
Où AuDEGiERS chie en faumuce ^.
I. Grenouilles; raSaa.
2. Le fiabliau d*Audigier, qui se trouve au Ms. i83o
Saint-Germain, et qu'a donné Barbazan (voyez Fa-
bliaux de Méon , t. IV, pag. 2 17 ), est une des pièces
les plus ordurières qui nous soient restées du moyen
âge. Il paraît qu'elle a joui, au XIII« siècle, d'une
grande réputation , car, outre la mention qu'en fiait
ici Rutebeuf , Adam de la Halle , daos le Jeu de
Marion et Robin, ftiit dire à l'un de ses personnages:
•
Je fai trop bien canter de geile ;
Me volés-vous oïr conter?
BAUOONS. •
on.
OAUTHIERS.
Fais-moi donc efcouter.
{R commence.)
AuDiGiER, dift Raimberge, boufe vous di, &c.
Il en est également question dans le roman d'Aio/
et de Mirabel, sa femme. Lorsque Aiol entre dans
la^yille de Poitiers, monté sur son coursier Marche-
gai j que les privations ont rendu aussi maigre pour
le moins que celui du chevalier de la Manche, tandis
que lui-même n'est guère mieux équipé non plus que
le héros de Cervantes, les enfants courent après lui
Dou Pet au Vilain. «ji
et la foule se moque de son harnachement. C'est alors
qu'on lui dit par dérision :
Fu AuDENGiERS vo père qui tant fa ber, '
Et Raiberghb vo mère o le vis cler :
Iteus armes foloit toudis porter.
V
(Voyez fol. io3, r, ire col., Ms. LaVaI.,n»8o; et
fol. io2, V*, 2"'* col.) Un peu auparavant, il est éga-
lement question d'Audigier dans ce roman.
Le fabliau d'Audigier commence par nous raconter
la vie de Turgibus , seigneur de Cocuce et fils de
Poitruce , qui épousa Rainberge , dont il eut Audi-
gier. Les exploits grotesques de Turgibus, s'il» n'é-
taient pas entremêlés de récits dégoûtants et dont on
n'oserait citer le moindre fragment, seraient assez
curieux. Ainsi, lorsqu'il vin^en France, il fit tout de
suite éclater sa valeur en perçant ' de sa lance une
araignée. Un autre jour il traversa d'un coup de
Hèche Paile <Vun papillon , qui depuis ne put. voler
si ce rCest un peu, Q.uant à ceux d'Audigier, ils sont
de la même force. Dans une de Ses aventures, il reâte
j>endu à une haie par son éperon, et, lorsque le vent
le fait tomber à terre, il coupe à cette haie, pour en
tirer vengeance, trois ronces et un chardon, D\x reste,
voici son portrait :
11 ot pâle le vis & telle noire , '
Et ot groffes efpaules & ventre maire (major ).
11 ne n covieat'pas faire efclitoire,
Quar en toutes faifqns avoit la foire.
Audigier, selon l'auteur du fabliau, épousa Tron-
cecrevace, sœur de Maltrecie et filleule de Rainberge.
Le lendemain de ses. noces, pour récompenser les
jongleurs qui étaient accourus, il leur donna à cha-
cun trente crottes de chèvre.
Tout ceci n'est pas, comme on le voit, d'un goût
littéraire bien raffiné; il y a loin de ces compositions
à noi beaux roitians du Dou:je Pairs , aux pasionlu
naives d'Adam le Baisu et «uz Compltùntes de Ruic-
beiif; mais, malgrf leur groEsièreié, c«s Ikbliaui ne
sont pas dénués d'esprit.
tfrpiicit Imn |9tt an Vilain.
C'wt U ÏHt V3ixhtont \
Ms. 7633.
RISTOLES à AlIXANDRE
Enfeigne & fi li fait entendre
En fon livre verfié ^ ,
Enz el premier quaier lié ^ ,
1. Cette pièce^qui n'a été jusqu'ici imprimée nulle
part , me semble tout simplement une espèce d'apo-
logue que Rutebeuf adresse au roi pour Tezciter à la
générosité, car il n*y est, pour ainsi dire, question
que de l'urgence pour un prince de posséder cette qua-
lité, que le poète lui a déjà refusée ailleurs. Voyez la
pièce de Renart le Beftotîrné,
2. Verfié pour verfifié.
3. Le trouvère veut désigner ici le roman d'Alexan-
dre, par Lambert li Cort, clerc de Chasteaudun; et
il en cite les premiers vers. Quant à la teneur géné-
rale de la pièce, dirigée contre les parvenus, elle
pourrait renfermer une satire à l'adresse de Pierre de
la Brosse et des autres courtisans déjà attaqués dans
Renart le Bes/ourné. Ces allusions, aujourd'hui assez,
obscures, devaient être justes très-évidemment alors ,
car elles préparaient la catastrophe du ministre.
«)4 C'est le Dit d'Aristotle.
3 Coument il doit el fiècle vivre ,
Et RuTEBUES l'a trait dou livre.
De tes barons croi lé confoil :
t Ce te loz-je bien & confoil ,
Jà ferf de .ij. langues n'ameir
îo Qu'il porte le miel & l'ameir ;
N'effaucier home que ne doies .
Et par cet example le voies
Cuns ruifliaux acréuz de pluie
Sort plus de roit & tome en fuie
1 5 Que ne fait Tiaue qui décourt.
Aufi fel eifauciez en court
Eft plus crueuz & plus vilains
Que n'eft ne cuens ne châtelains
Qui font riche d'anceferie.
20 Si te prie , por fainte Marie ^ ,
Se tu voiz home qui le vaille ,
Garde qu'à ton bienfait ne faille ;
N'i prent jà garde à parentei :
G'om voit de teux à grant plantei
25 Qui font de bone.gent eftrait
Dont on alTeiz de mal retrait.
Jadiz ot en Egypte .i. roi
I. Por sainte Marie est une singulière expression
dans la bouche d'Aristote. Elle rappelle involontaire-
ment nos manuscrits des histoires romaines où les sol-
dats sont représentés vêtus comme au XI V« siècle, et
l'usage, qui a duré jusqu'à la Révolution, de représen-
ter au théâtre les héros grecs en habits à la française.
C'est le Dit d'Aristotle. oS
Sage, large, de grant effroi ,
Liez & joians, haitiez & baux,
3o Et ces ûz fil povres ribaux ,
Et conquifl affeiz anemis.
, Puis que nature en Tome a mis
Sens & valour & cortoifie ,
Il eft quites de vilonie.
35 Tex eft li bons com il fe feit :
I. homs fon lignage refait '
Et uns autres lou fîen depièce.
Je ne porroie croire à pièce
Que cil ne fîi droiz gentiz bpme
40 Qui faufetei & trahifon
Heit &. efchive & honeur ainme ,
Ou je ne fai pas qui fen claimme ,
Jentil ne vilain autrement.
Or n'i a plus ; je te demant
45 En don que tu ainmes preudoume ,
Car de tout bien eft-ce la fome.
Hon puet bien reigneir une pièce
Par faucetei avant c'om chièce ,
Et plus qui plus seit de barat *,
5 G Mais il covient qu'il fe barat
Li-méifmes , que qu'il i mète ;
Ne jamais n'uns ne i'entremète
De bareteir que il ne (ache
Que baraz li rendra la vache.
55 Se tu iez de quereie juge ,
96 C'est le Dit d'Aristotle.
Garde que tu fi à droit juges
Que tu n'en faces à reprandre :
Juge le droit fans l'autrui prandre.
Juges qui prent n'eft pas jugerres,
60 Ainz eft jugiez à eftre lerres.
Et fe il te covienl doneir,
Je ne ti vuel plus farmoneir :
Au doneir done en teil menière
' Que miex vaille la bêle chière
65 Que feras au doneir le don
Que li dons, car ce feit preudom ^
Qui at les bones mours al cuer ,
Les euvres monftrent par defiier :
Seule noblefce franche & fage
70 Emplit de tout bien le corage
Dou preudoume loiaul & fin.
Ses biens li moinne à boenne fin
Au mauvaiz part fa mauvifliez ,
Tout adès fait le defhaitiez
75 Quant il voit preudoume venir,
Et ce fi nos fait retenir
C'on doit connoiflre boens & maus ,
Et defevreir les boens des faus.
Murs ne arme ne puet defîendre
80 Roi qu'à doneir ne vuet entendre ;
I. On retrouve presque textuellement ces vers dans
la Complainte de Geofroy de Sargines.
C'zsT Li Dit d'Aristotls.
^ois n'at meftier de forterrefce
Qui a le cuer plain de largefce.
Hauz hom ne puet avoir nul vice
Qui tant h griet comme avarice :
A Dieu ce coumeat qu'il te gart.
Prent bien à ces chozes regart
tfipurit a iPa vzti^ttttf.
Ci tncmmtna
Wt €\faxi0t le Juif
CHui c\)xa tn la |lei l^on jfîhire *
Ms. 7633.
lO
■ui méneftreil vuet engignier
[Moût en porroitmieulz bargignier;
Car moût foventes fois avient ^
Que cil por^engignié fe tient
Qui méneilreil engignier cuide ,
Et f en trueve fa bource vuide :
Ne voi nelui cui bien en chiée.
Por ce devroit eftre eftanchiée
La vilonie c'om lor fait ,
Garfon & efcuier forfait ,
f. Cette pièce a été mise en prose par Legrand
d'Aussy (voyez t\ III, page 90 de ses Fabliaux , édii
Renouard), et le texte en a été imprimé par Bar-
bazan ( voyez t. III , page 87, édit. de Méon ). L^His-
toire littéraire de la France ^ tome XX, trouve que,
« dans son genre grossier, ce conte est irréprochable;
que le dialogue en est vif et la diction généralement
élégante. »
De Charlot le Juif.
Et teil qui ne valent .ij. ciennes.
Por ce le di qu'à Aviceinnes *
Avint, n'a pas .i, an entier,
A Guillaume le penetier 2.
1 5 Cil Guillaumes dont je vos conte,
Qui efl à monfeigneur le conte
De Poitiers , chaflbit l'autre jour ^
I. lièvre qui ert à féjour.
Mult durement fe defrouta ;
20 Li lièvres , qui les chiens douta ,
AlTeiz foi & longuement,
Et cil le chaiTa durement ;
AlTeiz corut, affeiz ala ,
AiTeiz guenchi & fà & là;
2 5 Mais en la fin, vos*di-ge bien
Qu'à force le prii^ent li chien .
99
I . Vincennes, qui fut presque toujours la résidence
d'Alphonse, comte de Poitiers et de Toulouse, frère de
saint Louis, jusqu'à son départ pour la croisade.
2. Il est probable que Guillaume est id un nom
véritable, et que celui qui le portait était réellement
panetier dm comte de Poitiers ; mais nous n'avons
aucun moyen de vérifier ce fait. Tout ce qui peut res-
sortir de notre pièce, c'est que Rutebeuf, qui était
favorisé par le frère de saint Louis, avait probable*
ment essuyé de son panetier quelque avanie ou quel-
que refus. Sans cela Teût-il fait le héros d'une his-
toire aussi ridicule que celle qu'il raconte ?
3. Ce vers et le précédent, en faisant entendre que
le comte de Poitiers existait en<-ore lorsque Rutebeuf
écrivait, placent la date de notre pièce avant 1270,
époque de la mort d'Alphonse.
100 De Charlot le Juifv
Pris fu fire coars li lièvres :
Mais li roncins en ot les fièvres ,
Et fâchiez que mais ne les tremble,
3o Efcorchiez en fu , ce me cemble.
Or pot cil fon roncin ploteir
Et mettre la pel efforeir ;
La pel , fe Diex me doint falu ,
Coûta plus qu'ele »ne valu.
35 Or laiflerons elleir la pel ,
Qu'il la garda & bien & bel
Jufqu*à ce tens que vos orroiz ,
Dont de Toir vos e(j orroiz.
' Partout eft bien choze commune ,
40 Ce feit chafcuns , ce feit chafcune ,'
(^uant .i. hom fait noces ou fefte
Où il a gens de bone gefle ,
Li meneftreil, quant il l'entendent,
Qui autre chofe ne demandent ,
45 Vont là , foit amont , foit aval ,
L'un à pié, Tautres à cheval *.
I. Tout le monde sait que c^était^ en effets la coutume
des jongleurs et des trouvères. Il ne se célèbre pas de
mariage dans nos fabliaux et nos chansons de gestes
sans que l'auteur dise immédiatement qu'il y vint
une foule de jongleurs , lesquels mangèrent bien ,
burent mieux, racontèrent une foule d'histoires , et
furent très«bien payés. Leur salaire consistait en a-
deaux, soit d'argent, soit de vêtements, et quelque-
fois des deux ensemble. Ainsi aux noces de Gauthier
d'Aupais l'auteur dit :
Il n*i ot jongleor n*éufl bone foldée,
N'éuft cote ou forcot ou grant chape forrée.
De Chahlot LE Juif. lOi
Lî couzins Guillaume en (it unes
Des noces qui furent communes ,
Où alfeiz ot de bêle gent ,
5o Dont moût 11 fu & bel & gent :
AlTeiz mangèrent , aileiz burent ;
Se ne fai-ge «combien i furent
Je méifmes, qui i eftoie.
Alfeiz firent & feue & joie.
55 Ne vi piefa fî bêle faire ,
Ne qui autant me péuil plaire.
Se Diex de ces biens me reparte ,
N'efl (i grant cors qui ne départe :
La bonne gent c'eft départie ;
60 Chafcuns fen va vers fa partie.
Li ménedreil trefluit huezei ^
S'en vinrent droit à Tefpouzei.
N'uns n'i fu de parleir laniers ^ :
c Doneiz-nos maîtres ou deniers,
65 Font-il , qu'il eft drois & raifons ;
Je ierai remarquer en même temps que cette pro-
fession exigeait une multitude de coQnaiMances et de
talents dont la réunion^ surprenante qu'elle serait
aujourd'hui chez un seul individu , doit le paraître
encore bien davantage chez des gens du XIII* siècle*
Ainsi, il ne s'agissait pas seulement pour eux de ra-
conter quelques fragments de romans; il fallait en-
core composer des fabliaux^ des Dits, des Moralités,
les mettre en musique , et s'accompagner ea même
temps de plusieurs instruments.
1. Trestuit huei^e:, tout bottés.
2 . Laniers, lent, paresseux. C'est dans ce sens qu'on
disait : un faucon lanier.
102 De Charlot le Juif.
S^ira chafcuns en fa maifon. i
Que vos iroie-je dizant ,
Ne me paroles efloignant ?
Chafcun ot maître, nèsCnALLOz *
70 Qui n*eftoit pas mult biauz valloz,
Challoz ot à maître celui
Qui li lièvres fift teil anui.
Ces lettres li furent efcrites ,
Bien faellées & biefi dites ;
j5 Ne, cûidiez pas que je vos boiz.
Challoz en eft venuzau bois,
A Guu.LAUME ces lettres baille ;
Guillaume les refut cens faille ;
GuiLLAUMEs les commauce à lire ,
80 Guillaumes li a pris à dire :
« Challôt, CHarlot, biauz dolz amis,
Vos elles ci à moi tramis
Des noces mon couzin germain ;
Mais je croi bien , par faint Germain ,
85 Que vos cuit teil choze doneir ,
Que que en doie gronfonneir,
Qui m*a coutei plus de .c. fouz,
Se je foie de Dieu affouz. »
Lors a apelei fa maignie ,
90 Qui fu fage & bien enfeignie ,
La pel d'un lièvre rova querre ,
I. Voyez une des notes de La Desputoison de Chai-
lot et du Barbier,
De Çharlot le Juif. io3
Por cui il ûi\ maint pas de terre ;
Cil Taportèrent à grant aléure ,
Et GuiLLAUMEs de rechief jure :
9 5 « Charlot, fe Diex me doint fa grâce,
Ne fe Dieux plus grant bien me face,
Tant me coûta com je te di. »
— € Hom n'en auroit pas famedi,
Fait Charlos , autant au marchié ,
loo. Et fen aveiz mains pas marchié.
Or voige-bien que marchéant
Ne font pas toz jors bien chéant. »
La pel prent que cil li tendi ;
Onques gn\ces ne Ten rendi ;
io5 Car bien faveiz, n*i ot de quoi.
Pencis la véiffiez & quoi ;
Penfîs Cen eft ifTus là fuer ;
Et Cl pence dedens fon cuer,
Se il puet , qu'il li vodra vendre ,
I lo Et li vendi bien au rendre.
Porpenceiz c'ell que il fera ,
Et comeht il li rendera.
Por li rendre la félonie ,
Fift en la pel la vilonie...
1 1 S Vos favez bien ce que vuet dire.
Arier vint & li dift : « Biau fîre ,
Se ci a riens, fî le preneiz. »
— € Or as-tu dit que bien feneiz ? »
— « Oïl, foi que doi Notre Dame »
120 — « Je cuit c'eft la coiffe ma famé.
14 De Cbarlot le Juif.
Ou fk toaiUe , ou fon chapel ;
Je ne t'ai donei que la pel. •>
Lors a boutei fe main dedens :
Eiz-vos l'efcuier qui ot gans
25 Qui furent punais & puerri,
Et de l'ouvrage maître Horri *.
Enfî Al i). fois conciliez :
Don méneArcil iii efpiez
Et dou lièvre fa. mal bailliz ,
3o Que ces chevaus l'en fii Ëiilliz.
RuTEBUEz dit, Wen m'en fourient :
K Qui baratquiert, barazli vient. »
I, Voyez, pour les deuils sur ce penonnage,
s notet de la Complainte Ratebeuf.
9e la
jPamme i|ttt fbt U$ tvoU tonx^ tnUnt
0u n tnccvmtnu
9t la ^amt qui aia* «iti* f^i^ ^^tor
ie Montm \
Mm. 7218, 7633, 7615.
ui famé voudroit décevoir,
[je li ÙLZ bien apercevoir
I Qu'avant decevroit Tanemî,
Le déable, à champ arami.
5 Cil qui Êime viaut jufticier ,
I. Cette pièce a été imprimée par Barbazan. ( V07.
rédition de ses Fabliaux , donnée par Méon, t. III ,.
page 3o. ) Daunou , dans son Discours sur Pétat
des lettres au xiix* siècle, t. XVI de VHistoire Utté--
raire de la France , a dit avec raison à propos de ce
fabliau : •
• Quelques libres que soient ces contes , on se mé-
prendrait fort si on les croyait dictés par un esprit
irréligieux. C*est de la meilleure foi du monde que
leurs auteurs associent le profane au sacré; ils mêlent
io6 De LA Damme qui fist trois tours
Chafcun jor la puet combrifier,
Et lendemain r*eil tote laine
Por refouffrir autre tel paine ;
Mes quant famé a fol débonère ,
lo Et ele a riens de lui afère, .
Ele li diil tant de bellues ,
De truffes & de fanfelues ,
Qu*ele li fet à force entendre
Que le ciel fera demain cendre :
i5 Ifli gaaingne le querele.
Je r dis por une damoifele
à leurs facéties et à leurs satires des témoignages non
équivoques de leur croyance sincère. Il y a même des
fiibliaux consacrés spécialement à la dévotion La
Sainte-Vierge y joue presque toujours le principal
rôle. »
Chénier avait dit avant Daûnou :
« Des fabliaux assez nombreux roulent sur des su-
jçts de dévotion , et dans plusieurs Notre-Dame joue
un rôle considérable. Sa protection est regardéecomme
UQ infoillible moyen de se tirer d'affaire en ce monde
et en l'autre Les écrivains composaient de bonne
foi ces pieuses nouvelles. Cest contre leur intention
qu'elles sont ridicules ; mais il faut leur rendre une
justice complète. Si leur zèle n'est pas selon la science,
il est selon la bonté; les saints, chez eux, sont cons-
tamment secourables, etc. »
Enfin , l'auteur de l'article sur Rutebeuf (t. XX de
VHisU littér, de la France ) dit, en parlant de ce
fabliau : c Que l'on compare ce joli badinage à la
grossière conclusion des Cent Nouvelles nouvelles f et
Fon verra si le premier conteur n'est pas aussi le plus
habile et le plus agréable des deux, »
Entour le Moustier. 107
Qui ert farrie à à. efcuier,
Ne fai chartrain ou berruier.
La damoifele, c'efl la voire,
20 Eftoit amie à un pro voire.
Mult Tamoit cil & ele lui ,
Et ci ne leflaft por nului
Qu'ele ne féift fon voloir ,
Cui qu'en déuft le cuer doloir.
a5 Un jor, au partir de Téglife,
Ot 11 preftres fet fon fervife : '
Ses veftemenz left à ploier ,
Et n vet la dame proier
Que le foir en un bofchet viengne :
Parler li veut d'une befoingne
Où je cuit que pou conquerroie
Se la befoingne vous nommoie.
La dame refpondi au preftre :
f Sire , vez me ci toute prefte ,
Cor eft-il poins & faifon :
Aufî n'eil pas cil en maifon. »
Or avoît en cek aventure ,
Sans plus itant de mefprefure,
Que les maiforis n'eftoient pas
40 L'une lez l'autre à quatre pas ;
Ains i avoit , dont mult lor poife ,
Le tiers d'une liue franchoife.
Chafcune ert en un efpinois
Com ces maifons de Gaflinois ;
45 Mes 11 bochez que je vous nome
io8 De la Damme qui fist trois tours
Eiloit à ce vaillant preudomme
Qu'à faint Ernoul doit la chandoile.
Le foir, qu'il ot jà mainte eiloile
Parant el ciel , û com moi famble ,
5o Li preftres de fa maifon famble,
Et fe vint el bofchet féoir
Por ce c'on ne T puisse véoir.
Mes à la dame méfavint,
Que fîre Ernous fes mariz vint
55 Toz moilliez ^ & toz engelez ;
Ne fai dont où il ert alez ;
Por ce remanoir là covint :
De fon provoire li fovint.
Si fe hafle d'appareillier ;
60 Ne le vout pas faire veillier :
Por ce n*i ot .v. * mes ne .iiij.
Après mengier petit efbattre
Le leila , bien le vos puis dire.
Sovent li a dit : « Biaus dou lire ,
65 Alez géiîr, fi ferez bien.
Veillier griève for toute rien
A homme quant il eft lalfez :
Vous avez chevauchié affez. »
D'aler géfîr tant li reprouche
70 Por pou le morcel en la bouche
Ne &it celui aler géfir,
Tant a d'efchaper grant défîr.
1. Ms. 7615. Var. Touz emplus.
2. Ms. 7633» Var. .tij. mes ne quatre.
Entour le Moustier. 109
Li bons efcuier i ala , ^
Qui fa damoifele apela ,
75 Por ce que mult la prife & aime.
— « Sire , fet-elle , il me faut traime
A une toile que je fais,
Et li m'en faut encor grant fais <
Dont )e ne me foi garde prendre,
80 Et je n'en truis nés point à vendre ;
Par Dieu , fi ne fai que j'en &ce. i
— f Au déable foit tel fîlace ,
Fet li vallés * , comme la voftre !
Foi que je doi faint Pol Tapoflre ,
85 Je voudroie qu'el fuft en Saine *. »
Atant fe couche , fi fe faine ,
Et celé fe part de la chambre.
Petit féjornèrent fi membre
Tant qu'el vint là où dl l'atent :
90 Li uns les bras à l'autre tent.
Iluec furent à grant déduit,
Tant qu'il fu près de mienuit.
Du premier fomme cilf efveille,
Mes mult li vient à grant merveille
95 Quant il ne fent lez lui fa famé.
— « Chamberière , où eft voflre dame ? »
— € Ele efl là fors, en celé vile,
Chiés fa comère, où ele file. »
f. Mss. 7615, 7633. Var« Di li efcuiers.
2. Ms. 7633. Var. Seinne.
m
iio De la Dammle qui fist. trois Tours
Quant cil oï que là fors ière ,
100 Voirs eft qu'il fift mult laide chière.
Son fercot veft , fi fe leva ,
Sa damoifele querre va.
Chiés fa comère la demande.
Ne trueve qui raifon F en rande ,
io5 Qu'ele n'i avoit efté mie.
Elz-Yous celui «n frénéfie !
Par delez cels quel bofchet furent
Ala & vint (cil ne f e. murent) ,
Et quant il fu outre paflez :
1 10 «c Sire, fet-ele, or eft alTez ;
Or covient-il que je m'en aille :
Vous orrez jà noife & bataille. »
Fait li preftres : t Ice me tue
Que vous ferez )à trop batue :
1 1 5 Onques de moi ne vous foviengne. »
— « Dantpreflres, de vous vouscoviengne, ^
Difl la damoifele en riant.
Que vous iroie con trouvant ?
Chafcuns f'en vint à fon repère.
120 Cil qui fe jut ne fe pot tère :
« Dame orde , viex pute provée ,
Vous foiez or la mal trovée l .
Difl li efcuiers. Dont \tnez ?
Bien pert que pour fol me tenez. »
125 Celé fe tut & cil f effroie :
« Voiz por le fane & por le foie ,
Por la froiffure, por la telle,.
EnTOUR LE MOUSTIER. III
Ele vient d'avec noftre preftre !. »
Iffî dit voir, & fî ne F fot;
j 3o Celé fe tut , fi ne dift mot.
Quant cil ot qu'el né fe deffent ,
Par un petit d'iror ne fent
Qu'il cuide bien en aventure
Avoir dît la vérité pure.
i35 Mautalenz l'arguë & atife :
Sa famé a par les trèces prifé ;
Por le trenchier fon coutel tret :
— € Sire, fet-ele, por Dieu. atret,.
Or covient-il que je vous die
140 (Or orrez jà trop grant voifdie);
J'amaife miex eflre en la foife.
Voirs eft que je fui de vous groffe ::
Si m'enfeigna l'en à aler
Entor le mouftier fans parler
145 lij. tors, dire trois patrenoilres
En l'onor Dieu & fes apoflres ;
Une foife au talon féiffe
Et par trois jorz i revenifle.
S'au tiers jorz ouvert le trovoie y
i5o C'efloit .i. filz qu'avoir dévoie,
Et fil eftoit-clos, c'eftoit fille.
Or ne revaut tout une bille ,
Dift la dame , quanques j'ai fet ;
• Mes, par faint Jaque, il ert refet
1 5 5 Se vous tuer m'en deviiezf »
Atant f'eft cil defavoiez.
De la voie où avoiei ière ;
111 DelaDammequi FisT TROIS Tours, ETC.
Si parla en autre manière :
a Dame, dift-il, je que favoie
1 60 Du voiage ne de la voie ^
Se je féuffe cefte chofe
Dont je à tort vous blafme & chôfe ,
Je fui cil qui mot n'en déiûe ,
Se je anuit de celt foir ilTe ! ■
i65 Atant fe turent; ûfontpés,
Que cil n'en doit parler jamès ;
De chofe que fa famé &ce ,
' N'en orra noife ne menace.
RosTEBUEF diA en cell iablel < :
1 70 Quant feme a fol , fa fon avel *.
1. M». 7O33. V*«.flabel.
1. Voyez, page 75 de mon recueil intitulé: Jûh-
gieurt et Trouvères, deux satires analogues contre les
Ifopltcit ït la ^amt i)nt fist Its ,Hi. toxt
entor U S&amiUx..
9n ^ectei^tain
et
Wt la lammt an Ciyetialier/
<EDu ci tncoumtnct
(S^onctétain et Vnnt Wamt V
Mss. 7318, 7633.
£ foit en la bénéoite heure
Que Benéoiz^, qui Dieuaeure,
Me fet fère bénéoite œvre ,
Por Benéoit, un poi m'aœvre.
5 Benoiz foit qui efcoutera
I. Cette pièce a été imprimée parMéon à la pag. i lu
de son quatrième volume de F-abliaux. Elle n'avait
point été donnée par Barbazan ; mais Legrand-d'Âussy
( t. IV, page 83 , édit. Renouard ) en avait tracé , dans
une note, l'analyse assez fidèle à la suite du joli conte
de la Sacristine y qui n'est pas sans analogie avec
celui de Rutebeuf.
1. Méon a imprimé ce mot par une petite lettre^
beneoitf comme s'il s'agissait du verbe bénir. C'est
Rutebeuf .11. 8 r
114 Du Secrestaïn
Ce que por Benéoit fera
RusTEBUES , que Diex bénéiffe.
Diex doinft que fuevre efpénéifle-
En tel manière que il face ^
lo Chofe dont il ait gré & grâce.
Cil qui bien fet bien doit avoir ; .
Mes cil qui n'a fens ne favoir
Por qoi il puiffe en bien ouvrer,
Si ne doit mie recouvrer
1 5 A avoir garifon ne rente ; ^
L'en dit : De tel marchié tel vente^
Clft fiècles n'eft mes que marchiez;
Et vous qui au marchié marchiesr,
S'au marchié eftes mal chéant
20 Vous n'eftes pas bon marcTiéant.
Li marchéanz , la marcHéande ,
Qui fagement ne marchéande^
Pert fes pas & quanqu'ele marche.
Puifque nous fons en bone marche ,
25 PenfTons de fi marchéander
C'on ne nous puifle demander
Nule riens au jor du juife ,
Quant Diex prendra de cels juflife
une erreur; Bénéoit est ici un nom pr<^re : Rute-
beuf, vers la fin de la pièce, dit qu'il tient cette his-
toire de messire Bénéoi{ , et quil n'a fait, lui, que 1»
mettre en rimes. Mais quel était ce messire Bénéot:(?
C'est ce qud nous ignorons, faute d'une désignation
plus spéciale de la part de Rutebeuf.
Et de la Famme au Chevalier. ii5
Qui auront iHi barguingnié,
3o Qu'au marchié feront engingnié.
Or, gardez que ne vous engingne
Li maufès , qu'adès vous barguingne :
N'aiez envie for nule âme :
Ceft la chofe qui deftruit l'âme.
35 Envie famble hériçon :
De toutes pars font li poiçon :
E^vie point de toutes pars ;
Pis vaut que guivre ne liépars.
Li cors où envie fembat
40 Ne fe folace ne efbat.
Toz jors eft fes viaires pales ,
Tos jors font fes paroles maies ;
Lors rift-il que fon voifîn pleure ,
Et lors li recort li deuls feure
45 Que fes voifins a bien aflez ;
Jà n'ert de mefdire laffez.
Or poez-vous favoir la vie
Que cil maine qui a envie
Envie fet home tuer
5o Et li fet bonne remuer ;
Envie fet rooingner terre ,
Envie met ou fiècle guerre ,
Envie fet mari & famé
. Haïr, envie deftruit âme,
55 Envie met defcorde as frères,
Envie fet haïr les mères , ^
j,5 Du Secrestain
Envie deftruit gentillece ,
Envie grève , envie blece ,
Envie confont charité ,
60 Envie ocift humilité.
Et por Tenvie d*un maufé < ,
. Dont maintes genz font efchaufé,
Vous vueil raconter de deus genz
Dont li miracles eft molt genz.
65 Granment n'a mie que la famé
A un chevalier, gentizdame,
Eftoit en ce païs en vie.
Sanz orgueil ère & fanz envie ,
Simple , cortoife , preus & fage.
70 N'eftoit ireufe ne fauvage ,
Mes fa bonté , fa loiauté
Paflbit cortoifie & biauté.
Dieu amoit & fa douce mère ;
N'eftoit pas aus pgiuvres amère ^.
75 Le foir , ^uand l'en doit herbregier
La povre gent , nés un bergier
Fefoit-èle fi très biau lit
Cuns rois i géuft à délit.
1. Le Ms. y633ja,]outQ ici ces deux vers ;
Ne fai que plus briement vous die.
Tuit li mal vienent par envie.
2. Le Ms. 7633 a-oute ici les deux vers qui
vent :
Ne marraftre au defconceilliez ;
N'eftoit pas fes huis verrui liiez.
sui-
ET DE LA FaMME AU ChEVALIER. II7
Plusavoit en li charité
80 (Ce vous di-je par vérité)
Qvl'û n'a demi en cels du monde ;
N'eft pas orendroit la féconde.
De tout ce me doi-je bien tère ,
Avers le très biau luminère
85 Qu*ele monftroit au famedi.
Et bien fâchiez , fus m* âme di ,
Que matines voloit oïr :
Jà ne l'en véiffiez fuir
Tant com avoit fet le fervife ;
90 Ce ne vous fai-je en quelguife
Fefoit les feftes Noftre-Dame ;
Ce ne porroit dire nule âme.
Se j'eftoie bons efci^ivains ,
Ainz feroie d'efcrire vains
95 Que J'éufTe efçrit la moitié
De Tamour & de Tamiflié
Qu'à Dieu monftroit & jor & nuit.
Encor dout-je ne vous anuit
Ce que j'ai un petit conté
1 00 De fon fens & de fa bonté*
Ses fires l'avoit forment chière
Et mult li fefôit bêle chière
De ce qu'en vérité favoit, .
Que fi grant preude famé avoit ;
io5 Mult Tamoit, & mult li plefou
Treftoz li biens qu'ele fefoit.
En la vile ot unç abeïe
ii8 Du Secrestain
Qui n'eftoit pas mult elbahie
De fervir Dieu refpéritable ,
1 10 Et (i eiloit mult charitable
La gent qui eiloit en cel leu.
Bien féuft véoir cler de leu
Qui i véift un mauves cas :
Or , ont tout atorné à gas.
1 15 Chanoine réguler efloient ;
Lors riègle honeftement gardoient.
Léenz avoit .i. foucrétain ;
Orendroit nul home ne tain
A (i preudome comme il ière.
1 20 La glorieule dame chière
Servoit de bon cuer & de fin
Si com il parut à la fin ;
Et fi vous di quen .iij . parties
Efloient fes evres parties :
125 Dormir, ou mengier, ou orer
Voloit ; ne favoit laborer.
To$ jors vous fuft devant Tautel.
Vous ne verrez jamès autel
Comme il efloit , ne fi preudome.
1 3o N'en prifoit avoir une pome ,
Ne n'avoit cure ne côrage
De ce qui efl chofe volage ,
Con voit bien avenir fovent
Qu'avoirs l'envoie avoec le vent;
1 35 Por ce n^en avoit covoitife.
Quant la chandoile efloit- efprife
Devant la Virgc débonèrc ,
^c I
Et de la -Famme au Chevalier. 119
De Tofter n'avoit-il que fère :
Tout ardoit, n'i remanoit point.
«40 Je ne di pas fil fuft à point
Que plains li chandelabres fiiil
Ou li granz chandeliers de fuft ,
Il en otail ^ufqu'à refon
Quifefoit bien à la mefon.
!i45 Par maintes foiz fi avenoit
Que la bone dame vefloit
A Téglife por Dieu proier ;
Celui trovoit qui otroier
Doit Noftre-Daœe fon dou2 raine;
1 5o James n'aura fi bon chanoine.
Ces genz molt faintement vivoient.
Li félon ênvieus qui voient
Cels qui vivent de bone vie
D'els defvoier orent envie;
1 5 5 De lor enviaus envoièrent ;
Soventes foiz i avoièrent
Tant qu'il les firent defvoier
De lor voie , & avoÀer
A une péreilleufe voi€.
160 Or, efl meftiers que Diex les voie;
Toft va (ce poez vous véoir)
Chofe qui prent à déchéoir :
Tofl fil lors pénitance frète
Qui n'eftoît pas demie fête :
i65 Anemis fi les entama
Que li amis Tamie ama ,
I2Ô Du Secrestain
Et Tamie Tami amot.
Li uns ne fet de l'autre mot ;
De plus en plus* les enchanta.
170 Quant cil chantoit Salve, sanâa K
Li parens eftoit oubliez ,
Tant eftoit fort defavoiez ;
Et quant il voloirgrâces rendre ,
•Vii. foiz li convenoit reprendre ,
1 75 Àinz que la moitié dit éuft.
Or eft meftiers Diex les aïut.
Du tout en tout a geté fuer
L'abit faint Auguftin de cuer ;
N*i a mes fe folie non.
1 80 Fors tant que chanoines a non :
De Tordre Auguftin n4 a goûte
Fors que l'abit, ce n'eft pas doute.
Or cft vaincus , or eft conclus
Noftre religieus reclus.
i85 N'a plus fol en la région
Que cil de la relégion ;
Et la dame relegieufe
R'eft d'amer fi fort curieufe
Qu'ele n'a d'autre chofe cure.
190 Or eft la dame mult obfcure,
Quar li obfcurs l'a obfcurcie
De fobfcurté & endurcie :
V
I. Ce sont les premiers rnots d'un hymne
Vierge ; Salve , sancta parens , etc
à la
Et de la Famme au Chevalier. 121
V <De maie cure l'a curie ;'
Ci a mult obfcure curie
195 Qui n'eft pas entre «har 8c cuir,
Ainz eit dedenz le cuer obfcuir
Qui eftoit clers & curiex
De fervir Dieu le gloriex.
Curer la puilTe li curières
200 Qui des obfcurs eft efcurières ;
Quar fî forment eft tormentée ,
Si vaincue &*fî enchantée
Quant ele eu ailife au mengier
Il li covient avant changier
2o5 Color .V.' fois ou .vi. ,
Por fon cuer qui «ft fî penffis ,
Que li premiers mes foit mengiez*
Or eft fesafères changiez.
Voirement dit-on , ce me famble :
210 Diex done bief, déable Tanble,*
Et li déable ont bien enblé
Ce que Diex amoit miex que blé.
Or face Diex novele amie
Qu'il fanble cefte ne 1' foit mie.
2 1 5 Toll eft aie , prenez-y garde
Ce que. noftre Sires ne garde.
Dift la dame dolente laffe :
c Cèfte dolor toute autre paife.
Lalfe 1 que porrai devenir ?
220 Comment me porrai contenir
En tel manière qu'il parçoive
4(22 Du SeCRESTAIN
Que la feue amor me déçoive? •
Dirai- je lui ? nenil , fanz doute.
Or ai-je dit que foie gloute ,
22 5 Que ^me ne doit pas proier ;
Or me puet f amor afproier
Que par moi n'en faura mes riens.
Or fui auffi com li mefricns
Qui porrift dcfouz la goutière :
23o Or amerai en tel manière. »
Ainfine la dame fe demaine :
Or vous vueil remener au moine.
Li bons moines aime la dame
Qui acroift for fa laiTe d'âme ;
235 Mes la dame n*en fet noiant.
Mult va entor li tornoiant
Quant ele eft au mouftier venue ;
Et * il féuft la convenue
Que la dame Tamafl. fi fort ,
240 Confortez fuft de grant confort.
Il n'eil en chemin ne en voie
Que li déables ne le voie :
Tout adès le tient par l'oreille ;
D'eures en autres li confeille :
245 c Va , fols chanoines , por qoi tardes
Que cefte dame ne regardes ?
Va , à li cor, & fi la proie ! •
Tant le femont & tant le proie
Que li chanoines à li vient ;
25o Par force venir li cpvient.
Et de la Famme au Chevalier. i23
Quant la dame le voit venir
De rire ne fe puet tenir ;
Ses cuers li femont bien à dire :
c Embrachiez-moi , biau très douz fîre ; »
2 55 Mes nature la tient ferrée.
Nule des denz n'a delTerrée
Fors que por rire. Quant ris ot ,
Les dens reflerre & ne dift mot.
Li preudom la prent par la main :
260 -— « Dame , vous venez chafcun main
Mult matinet à cefte églife :
Eft-ce por oïr le fervife ?
Ne puis plus ma dolor couvrir,
Ainz me covient ma bouche ouvrir ;
265 Les denz me covient deiTerrer.
Vous me fêtes fovent ferrer
Le-cuer el ventre fanz demor :
Dame , je vous aim par amor ! i
«
Dift la dame : « Vous elles nice. ^
270 Plus a en ;<rous affez de vice
Que ne cuidoie qu'il éuft.
Se fainte charité m'éuft,
Mult favez bien fervir de guile.
Elles vous por ce en la vile ,
275 Por la bonc gent engingnier?
Ha i com favez bien bar^ingnier
Voiz du papelart , du béguin !
Dès or ne pris .i. angevin
Son bien fet ne fa pénitance ;
124 Du Secrestain
280 Si m'aït Diex & fa puiflance,
Je cuidai qu'il fufl un hermites ,
Et il efl uns faus ypocrités.
Ahi ! ahi ! quel norriçon !
Il efl de piau de hériçon
285 Envelopez defouz la robe ,
Et defors fer t la gent de lobe ,
Et Ta la trahifon ou cors ,
Et fet biau fanblant par defors. i
— 4 Dafne, dame, ne vos anuit l
290 Avant foufferai jor & nuit
Dès or mès>nK)n mal & ma paine
Que vous die chofe grevaine.
Tère m'efluet, jemeterai;
Leffîer l'eftuet, jelelerai.
295 Vous aproier, n'en puis plus fère »
— « Biaus fire chiers, ne me puis tère
Tant vous aim , nus ne V porroit dire.
Or n'i a plus, biaus trèsdous fire,
Mes que le meiUor regardez
3oo Et du defcouvrir vous gardez ;
Quar fe la chofe eft defcouverte
L'en nous tendra a gent cuiverte,
Sachiez & fi n'en doutez pas.
Alons-nous-en plus que le pas
3o5 A tout quaïiques porrons avoir.
Prenons denier & autre avoir,
Si que nous vivons à honor
Là où nous ferons à féjor ;
i'— -
J
Et de la Famme au Chevalier. i25
Quar a gent qui va defgarnie
3 10 En ellrange leu eil honie. »
Diiili chanoines : < Douce amie <,
Sachiez ce ne refus-je mie ;
Quar c'eft li mieudres que g'i voie.
Or nous, meterons à la voie
3 1 5 Anquenuit ; de nuiz mouverons
Atout quanques nous porterons. »
Or eft la chofe porparlée
Et de la muete & de Talée.
La dame vint en fon oflé :
320 Contre la nuit en a oflé
Robes, deniers & de }oiaus
Les plus riches & les plus biaus :
S'ele en péuft porter la cendre
Ele Tala volentiers prendre :
325 Quar la gent qui ainfi labeure
Tient à perdu ce qui demeure,
Li chanoines eil d'autre part
Qui au tréfor fait grant eflart^ ....
Le tréfor très anotantiil
33oi Aifnli.bien com fil le nantift.
Tout .prent y tout robe^, tout pelice.;
N'i a laifïié croiz ne chaHce.
1. trouffiau fet, trouffiau mes troufle;
Le trouffiau prent ^ au col le troulfe :
335 Or, a-il le trouffiau trouffé ,
Mes fon le tnieve a eftrous fé
Qu'il fera, pris & retenuz.
126 Du Secrsstain
Il eft à la datne venuz,
Qui Tatendoit iluee acou.
340 Chafcuns met le trouifel au cou :
Or fanble qu*il vont au marchié.
Tant ont aie, tant ont marchiez
Qu'efloingnié ot li fols nais
Xv. granz liues de fon pals.
345 En la vile ont .1. oftel pris.
Encor n'ont de noient mefpris.
Ne fet pechié , ne autre chofe
Dont Diex ne fa mère les chofe ,
Ainz font aufi com fuer &. frère :
35o La douce Dame lor foit mère !
Venir me covient au couvent,
Où il n'avoit pas ce couvent.
Li couvenz dort, ne fe remue ;
Li couvenz la defconvenue
355 Ne fet pas : favoir li covient,
Quar uns convers au couvent vient
Et dift : ( Seignor , fus vous levez I
S'anuit mes lever vous devez ,
Qu'il eft biaus jors & clers & granz. r
36o Chafcuns eft de lever engranz.
Quant il ont le convers ol
Durement furent efbahi
Qu'il n'orent oï loner cloche
Ne champenelle, ne reloge.^
365 Or dient bien tuit à délivre
Que ce foir avoit cfté yvrc
Et de la Famme au Chevalier. 127
Lor foucretains , tant ot béu
Que li vins Tavoit décéu ;
Mes je cuit qu'autre chofe i a, •
370 Foi que doi Ave Maria.
Ils font à l'égUfe venu ,
Petit & grant ,. jone & chanu ;
Le foucretain ont apelé
Qui le tréfor ot trapelé.
375 Cil ne relj^ont ne que muiz : ^
Por qoi ? qu'il fen eftoit fiiiz.
Quant il furent entré el cuer,
Chafcuns voufift biens eftre fùer.
Car treftruit (i grant paor orent ;
38o Li uns des autres riens ne forent ,
Que la char lor frémift & tranble.
L'abés parole à toz enfanble :
Seignor, dift-il, nous fons lobez,
Li foucretaius nous a robez,
385 Frère, difl-il au tréforier,
Leiikftes-vous le tréfor ier
Bien fermé ? quar, i prenez garde ! »■
Et li tréforiers i regarde.
Onques ne trova au tréfor
390 Ne chalice, ne croiz, ne or.
Au couvent dift & àTabé :
c Seignor, diil-il, nous fons lobé :
N'avons ne calice , ne croiz ,
Ne tréfor qui vaille -ij. nois. »
395 Difl li abés : « Ne vous en chaille.
128 Du Secrestain "
Va f en-il l oïl bien f en aiUe.
S'il eft de droit , encor faurons
Là où il eft ; fi le r' aurons. »
Papelars fet bien ce qu^il doit,
400 Qui fi forment popel^rdoit.
De l'engin fèvent & de l'art
Li ypocrite papelart :
, De la loenge du pueple anient ;
Por ce papelart papelardent.
4o5 Ne vaut rien papelarderie ,
Puis que la papelarde rie.
James ne papelardirai ;
Ainçois des papelars dirai.
Por chofe que papelars die,
410- Ne croirai mes papelardie.
La rcînommée, qui toft cort,
Eft venue droit à la cort
Au chevalier qui fa famé ot
Defrobé , ne il n'en fet mot ,
41 5 Qu'il n'avoit pas leenz géu.
Quant il a fon oftel véu
Si robe & fi defgarni :
« Ha , Diex ! com m'avez efcharni ,
Dift li chevaliers, biaus dous fire î
420 Or ne.<;uidai qu'en nul empire
Éuft tel .famé com la moie.
De grant noient m'efjoïffoie :
Or vôi-je bien , & croi & cuit
Et de la Famme au Chevalier. 129
N'eit pas tout or quanqu*il reluit. »
425 Or fet-il & fevent li moine
Li foucretains fa famé çnmaine.
Après f en vont à grant aléure ;
Ne chevauchent pas Tambléure ,
Mes tant com chevaus puéent corre ,
43o . Qu'il cuident lor proie refcorre.
Ce jor les mena bien fortune :
Voie n'es deftorna nis une ,
Ainz ont la droite voie alée
Là où cil firent lor alée.
435 Tant ont le jor efperoné ,
Qu'avant que l'en éuft foné
Nonne, vindrent au leu, je cuit, ^^
Qui plus lor griève & plus lor cuit.
Es rues foraines fe metent,
440 Et du demander T'en tremetent
Se l'en auroit tel gent véue
Qui ont tel vis & tel véue :
Toute devifent la Êtçon.
— « Por Dieu ! favoir le nous face-on
445 S'il demeurent en cède vile,
Qui molt nous ont fervi de guile ! •
Li chevaliers lor redecuefvre
De chief en chief le fet & Tuevre.
La renommée, qui toft vole,
45o A tant portée la parole
Qu'ele eft à lor voifins venue
RUTEBEVF. II. Q
,3o ' Du Secrestain
En uae mult foraine rue ;
Quar la gent qui à ce fatorne
En deftorné lieu fe deftorne.
455 Els encufa une Béguine :
Sa langue ot non Maie voifine.
Or ont Béguin chié ou fautre :
Béguin encufent li uns l'autre ;
Béguins font volentiers domage :
460 Que c'eft li drois de béguinage ,
Mes que los en puiffent avoir ;
Béguin ne, quièrent autre avoir.
Cil f en revont à la juftife.
Li chevaliers lor redevife
-^465 Si corn ces genz ont meferré ,
Et tout Terre qu'ils ont erré,
Et l'avoir qu'aporté en orent ;
Devinrent au miex qu'il forent.
Por ce c'on les trova ou voir,
470 Si covint tout par eftovoir
Que cil liiflent lié & pris
Cjui fi durement ont mefpris.
Pris furent & rois en prifon
Por tel fet & tel mefprifon ; .
475 Et cil fen vont lor garant querre
Qui ne font pas loing de lor tetre.
Or furent pris cil & loié:
Que li maufès ot defyoié.
Par maintes foiz m'a l'en conté
Et de la' Famme au Chevalier. i3i
480 Con doit réprover fa bonté.
Li preudom fa bonté reprueve :.
La glorieufe dame nieve
Que de cel péril les délivre ,
Qu'il cuident avoir èfté yvre.
485 Dift li preudom : « Virge pucele ,
Qui de Dieu fus mère & ancele ,
Qu'en toi eus la déité,
Qu'il prift en toi humanité ,
Se ta portéure ne fuft
490 Qui fil mife en la crois de fîift * »
En enfer fuflfons fanz retor :
Ci éuft péreilleufe tor.
Dame , qui par ton douz falu
Nous a geté de la palu 2
495 D'enfer qui eft vil & obfcure,
Virge pucele , nete & pure,
Dame fer vie & réclamée ,
Par qui toute famé efl amée ,
Si com la rofe ift de l'efpine , * > .
5oo Iffis, glorieufe roïne,
De juerie qui eft poingnanz ,
Et tu es-fouez & oingnanz ; ^
Dame , je vous ai tant fervi ,
Se ce pert que j'ai defervi ,
5o5 Ci aura trop grant cruauté.
Virge plaine de léauté ,
I. Fust, bois; fiiStuvî ; d'où futaie.
2. Falu, marais; folus; d'où \qs Palus .M<^otides.
i32 Du Secrestain
Par ta pitié de ci nous ofle I
Ci a mal oflel & mal ofle. »
Dift la dame : c Virge honorée ,
5 10 Que j'ai tantes foiz aorée
Et fervie fi volentiers,
Secor-nous , c'or en efl melliers !
Virge pucele, Virge dame,
Qui es faluz de cors & d'âme,
5 1 5 Secor ton ferf , fecor ta ferve
Où ci a péreilleufe verve.
Pors de falu , voie de mer
Que toz li liècles doit amer,
Quar regarde celte forfète
520 Qui de faïde a grant foufrete.
Dame , cui la grâce eft donée
D'eftre des angles coronée
Et d'aidier toute créature ,
De celle grant prifon obfcure
525 Nous gète par ta volante
Qu'anemis nous a enchanté ;
Et fe par toi ne fons délivre ,
A grant dolor nous co vient vivre. »
Bien a oïe la complainte
53o La mère Dieu de la gent fainte.
Si comme il i a bien paru :
En la chartre à els faparu.
De la grant clarté fouveraine
Fu fi toute la chartre plaine
Et de la Famme au Chevalier. i33
535 Que la gent qui furent humain
Ne porent movdir pié ne main.
. Celé clartez qui fi refclère
Avoec tout ce fi fouef flère.
Devaiv^ els vint la glorieufe
540 Qu'à nul befoing n'efl oublieufe :
Les maufez tint enchaenez
Qui ces gens ont fi mal menez;
Tant d'amor lor commande à fère
Comme il lor ont fet de contrère.
545 Cil ne Tofèrent refufer;
Ne ne f en porent efcufer.
Chafcuns de ces deux anemis
A Tun de cels for fon col mis :
D'iluec fen tornèrent grant oirre;-
55 Lor petit pas fanble tonoirre.
Ifnel & toft vindrent à porte
Atout ce que chafcuns enporte;
Li uns met celui en fa couche
Et li autres la dame couche ,
555 Lez fon feignor fi doucement
Que cil qui dormoit durement
Ne fefveilla, ne ne dift mot,
Ne ne fot quant il fa famé ot.
Et l'avoir ont fi ordené
56o Qu'il ont aus moines or doné
Et argent que cil avoit pris
Qui fi durement ot mefpris.
Li chevaliers r*ot fon avoir
Conques ne pot apercevoir.
<ï54 Du Secrestain
565 C'on i éuft onques touchié.
Ès-vOus l'afère fi couchié
C*or n'i pert ne que cops en eve.
Dès que Diex fift Adan ne Eve
Ne fil afères fi deffez
570 Ne effaciez fi grant meffez.
Cil , qui favoit de la nuit l'eure ,
Veft fa robe & fe liève feure
Et va fes matines foner.
Qui oïft moines tençoner
575 Si fis : « Ha, ha ! hé, hé l fus, fus! »
Difl li abès : « Vois de lafus,
Biaus douz Père, ce que puet efire,
Ce foit de par le roi céleflre ! »
Tuit fe ILèvent ifnel le .pas ;
58o Apris l'ont : ne lor griève pas.
Si f'en font venu à léglife
Por commencier le Dieu fervife.
Quant le foucretain ont véu
Durement furent efméu.
585 Difl li abés : « Biaus douz amis,
Qui vous a ci iluec tramis ?
Alez en autre leu entendre ,
Qu'il n'a mes ou tréfor que prendre. »
Difl li foucretains : « Biaus dous fire,
590 Qu'efl or ca que vous volez dire ?
Pre'nez-vous garde que vous dites?
— « Je cuidai vous fuffîez hermite,
Et de la Famme au Chevalier. i35
Dift li abés, Dans glouz léchîerres,
Et vous eftes .i. mauves lerres
595 Qui nous avez emblé le noftre! »
— c Foi que je doi fains Pol Tapoftre,
Dift li foucretains , fîre chiers ,
De parler eftes trop légiers :
Se je vous ai fet vilonie ,
600 Ne fui- je en voftre baillie ?
Si me poez en prifon mètre.
Ne vous devez pas entremette
De dire chofe fe n'eft voire ,
Ne ne me devez pas mefcroire.
60 5 Alez véoir à voftre perte :
* Se vous la trovez défcouverte
Et j'ai vers vous de rien mefpns ,
Je lo bien que je sois pris, t
Au tréfor aler les rouva ;
610 Chafcuns i va : aînz n'i trova
Con i éuft meffet noiant.
f Fantofme nous va fauvoïant ^ ,
Dift li abés. Seignor, fanz faille ,
N'avoit ier ci vaillant maaille ,
61 5 Et or.n'i pert ne que devant, t
Ez-vos efbahi le couvant.
I. Ce vers et les trois qui le suivent manquent au
Ms. 7633. — Maaille, petite monnaie qui valait la
moitié d'un denier. Il y a un Dit assez spirituel qui
porte ce nom, et que^ )*ai imprimé à la page loi de
mon recueil intitulé: Jongleurs et Trouvères (Paris,
Merklein, i835). :
i36 Du Secrestain
La dame , qui aler voloit
Au mouilier fi com el foloit y
Gtta en fon dos fa chemife
620 Et puis (i a fa robe prife.
Âtant li chevaliers f efveilie ,
Quar mult li vint à grant merveille
Quant il fenti lez lui la dame :
t Qui eft ceci? — Ceft voftre famé.
625 — Ma famé ne fufles vous oncques. »
Li chevaliers fe faine adoncques,
Saut fus ; fa un tortiz ^ pris ,
Au lit f en vient d'iror efpris ;
Plus de cent croiz a fet for lui.
63o a Ne cuidai qu'il éùft nului ,
« Dillli chevaliers, avoec moi,
Et orendroit géfir i voi
' La rien que je doi plus haïr.
Or me doi-je bien efbahir,
635 Que ore aurai non fire Ernous ;
Ce feurenon ai- je par vous. »
Diil la dame : « Bien porriez
Miex dire fe vous v(îliiez.
Alez véoir à voftre chofe ;
646 Péchié fet qui de néant chofê. »
Tant l'amena , çà va , là va. :
Li chevaliers véoirs i va ;
Ne trueve qu'il ait rien perdu.
i« Tortis, flambeau, torche.
^U
Et de la Famme au Chevalier. iBj
«
Ez-le-vous fi fort efperdu
645 C*on le péuft penre à la main,
tf S'il ne me convenifl demain
A mon }or aler, fâchiez , dame ,
Ne vous mefcréifle par m'âme ;
Quar i'ai quanque perdu avoie :
65o Cell fantofme qui me defvoie. 1
Au point du jor tantoil fe liève ,
Au couvent vient & ne li griève.
« Seignor , dift-il , ma faime tain :
R'avez-vous voflre foucrétain ? »
655 — Oïl, oïl, dient li moine;
Ceil fantofme qui nous deimiine. »
— c Biau , feignor , dift-il au couvent ,
Nous avons à enqui couvent
Que nous irons à noftre jor
660 Et nous fomes ci à féjor. »
Por ce chafcuns fappareilla ,
Montent , chevauchent viennent là ,
Et truevent les deus anemis
Qui es fanblances fe font mis
665 De ceb qu*ils en orent getié
Quant Noftre Dame en ot pitié.
E^vous la gent toute efbahie
Et du fiècle & de l'abéie ,
Conques mes fi fort ne le furent ,
670 Por ce c*onques ne f aperçurent
D'avoir perdu or ne argent ;
Et û r' orent arrier la gent
i38 Du Secrestain
Qu'il avoient devant perdue.
Por ce en fu gent efperdue.
675 Confeus lor done qu'il alaiffent
A l'évefque & li demandaiffent
Quel chofe il loeroit à fère
D'un tel cas & d'un tel afère:
Tuit ont pie en eftrier mis «*
680 Et fe font à îa voie remis ;
Mes n'orent pas aie granment,
Se li Efcripture ne ment ,
Que de l'évefque oient parler.
Cèle part prennent à aler ;
€85 Viennent là : li uns li raconte
La chofe , & li évefques monte ,
Qu'il veut favoir ce qije puet eftre ;
Mult fe faine de la main deilre.
Tant ont chevauchié que là vienent
^690 Et li déable qui fe tienent
En lieu de cels que il avoient
Délivré, quant il venir voient
Le prélat molt grant paor orent,
Por ce que en vérité forent
€95 Que li prélas mult preudom iere :
Chafcuns en inclina la chière.
Li prélas entre en la prifon :
Si refgarde chafcuns prifon ,
Et quant il les a regardez
700 Si lor a dit : « Or vous gardez
-i:^
Et de la Famme au Chevalier, ijg
Que vous me dites de ce voir :
' Eft-ce por la gent décevoir
Que pris en prifon vous tenez ?
Or me dites dont vous venez. »
7o5 Cil , qui n'ofèrent au preudomme
Mentir, li ont dite la fome
De lor afère & de lor voie.
Dift li uns : « Guerroie avoie
Une dame & un foucretain ,
710 Par qoi pris en prifôn me tain ;
Quar honte lor cuidoie fère.
Onques ne les poi à moi trère ,
Ne atorner à mon feryife ;
Si m'en fui mis en mainte guife
715 Par qoi for els pooir éufle ,
Et que décevoir les péufle.
Mult cuidai bien avoir gabé
Chevalier, coirvent & abé
Quant jufques ci les fis venir,
720 Quar lors les cuidai bien tenir.
Onques n'es poi à ce mener,
Tant fort m'en léufle pener
Que péchier les péufle fêre.
Or ai perdu tout mon afère ;
725 Si m'en r'irai là dont je vain ,
Quar j'ai bien laboré en vain.
Or aint li chevaliers fa dame ,
Conques ne vi fi preude famé ;
Cil tiegnent lor chanoine chier,
73o Conques ne 1' poi fère péchier. »
140 Du SecresI'ain
Quant ces genz la parole oïrent,
Molt durement f en eljoïrent.
Li chevaliers' a molt grant joie ;
Tart li eft que fa famé voie.
735 Si Tembracera doucement ,
Quar or fet-il bien voi rement
Qu'il a preude famé fanz doute.
La gent de Tabéie toute
Refet grant joie d'autre part ;
740 D'iluec celé gent fe départ,
Molt fu bien la paine féué
Que ces gens avoient eue :
Se r fot mefires Benéoiz ,
Qui de Dieu foit tos bénéoiz ,
745 A RusTEBUEF le raconta,
Et RusTEBUEF en un conte a
Mife la chofe & la rima.
Or dift-il que l*en la rime a
Chofe où il ait fe bien non ,
750 Que vous regardez à fon non :
Rudes eft , & rudement œuvre ;
Li rudes hom fet la rude œuvre ;
Se rudes eft , rude eft bues ,
Rudes eft fa non Rudebués * :
I. Cette pièce contient plusieurs passages qui sont
singulièrement peu harmonieux : d'abord celui auquel
je mets cette note , et qui n'offre que de détestables
jeux de mots fort en usage non-seulement chez Rute-
beuf , mais encore chez les autres trouvères de cette
époque, lesquels n'ont de poésie que la rime; et
ensuite deux vers d'une remarquable cacophonie ,
Et de la Famm£ au Chevalier. 141
755 RusTEBUÉs œvre rudement,
Savez en fa i^udèce ment
Or prions au défînement
Jhéfu-Crift , le roi bonement ,
Qu'il nous doint joie parcTurable
760 Et paradis Fespéri table.
Dites Amen treftuit enfanble : *
Ci faut li diz, fi com moi fanble.
et que le lecteur aura sans doute remarqués plus
haut; les voici :
Anemis fi les entama
Qae LI Auis l'amie aua,
Et l'amie l'ami amôt.
Une autre chose remarquable dans cette pièce ^ c*est
le rôle qu'y joue la Sainfe Vierge par suite du culte
spécial qu'on avait eu pour la mère de Dieu au XII«
siècle, etqui régnait encore, quoiquenioins vif, au XIII«,
tout ce qui pouvait faire éclater la puissance de Marie
était admis sans exception regar et dé comme un éloge.
CrpUcit ^u SSttxtsimx et ^t la /amme
£' 3ittt-Mavia làwttktnf
Ms. 7218.
TOUTES genz qui ont fa voir
Fet RusTEBUEs bien afavoir
Et les femont :
Gels qui ont les cuers purs & mont
5 Doivent tuit déguerpir le mont
Et débouter ;
Car trop covient à redouter
Les ordures à raconter
Que chafcuns conte.
10 Ceft vérités que je vous conte :
Chanoine , clerc, & roi , & conte
Sont trop aver ;
N'ont cure des âmes fauver,
Mes les cors baignier & laver
I, Ce genre de pièce est très fréquent chez les
.poètes du moyen âge; il y a dans le seul Ms. 7218 :
L'Ave-Mariaen français, La Patenostre Qn français,
Le Credo de VUserier, etc. M. Paris ajoute à cette
remarque que sous le règoe^ de Louis XIV nous
trouvons encore le De Frofundis et le Confiteor de.
Ma^^arin.
L'Ave-Maria Rustebeuf. 143.
1 5 Et bien norrir ;
Car il ne cuident pas morir
Ne dedenz la terre porrir ;
Mes fi feront ,
Que jà garde ne fi prendront ,
20 Que tel mors el engloutiront
Qui leur nuira,
Que la lafîe d'âme cuira
En enfer, où jà ne 1' lera
Eftez n'y vers.
25 Trop par font les morfiaus divers
Dont la char^nenjuent les vers
Eten. pert l'âme.
I. Salu de la douce Dame , *
Por ce qu'ele nous gart de blafme ,
3o Vueil commencier ; *
Quar en digne lieu & en chier,
Doit chafcun mètre fanz tencier
Cu«r & penflee.
• -
Ave^ roïne. coronée ,
35 Com de bone eure tu fus née ,,
Qui Dieu portas l
Theophilus reconfortas ^
Quant fa chartre li raportas
.Que l'anemis ,
40 Qui de mal fère eft entremis ,
I . Voyez plus loin Le Miracle de Théophile. Ce
passage de VAve-Maria en est une analyse fort
exacte.
144 L'AvE-MaRIA RuSTfeBEUF.
Guida avoir lacié & mis
En fa prifon.
Maria^ fi com nous lifon ,
Tu lui envoias garifon
45 De fon malage
Qui déguerpi Dieu & f ymage j
Et fi lift au déable homage
Par fa folor ;
Et puis li fifl à fa dolor
5o Du vermeil fane de fa color
Tel chartre efcrire
Qui devifa tout fon màrtire ,
Et puis après li eftuet dire ,
Par eftavoir :
5 5 Par ceft efcrit fet asavoir
Théophilus ot , por avoir,
Dieu renoié. »
Tant l'ot deables defvoié ,
Que il efloit toz marvoié
60 Par despérance ;
Et quant li vint en remembrante
De vous, Dame plefant & franche ,
Sanz demorer
Devant vous s*en ala orer ;
65 De cuer commença à plorer ^
Et larmoier.
Vous l'en rendiftes tel loier
Quant de cuer l'oïftes proier
Que vous alafles ,
I
*
• I
L'Ave-Maria Rutkbeuf. 145
70 D'enfer fà chartre raportaftes ,
De Tanemi le délivraftes
Et de fa route * .
Gracia pîena elles toute ; «
Qui ce ne croit il ne voit goûte ,
75 Et le compère.
Dominus, li fauvères père
Fift de vous fa fille & fa mère ;
Tant vous ama
Dame des angles vous clama ;
~ So En vous f encloft , ainz n*entama
Vo dignité;
N'en perdiftes virginité.
Tecum , par fa digne pité ,
Vout toz jors eftre
85 Lafus en la gloire céleltre ;
Donez-le-nous ainfînques eftre
Lez fon cofté.
Benedicta tu, qui ofté
Nous as de'l dolereus ofté
90 Qui tant eft'ors,
Qu'il n'eft en ceft (îècle tréfors
I. Route, rote, troupe, compagnie; exemple : « Si
\irent venir une rote de demoiselles jusqu'à quatre.»
(Roman de Perceval. )
RUTEBEUF. II. 10
146 L'âye-Maria Rustebeuf.
Qui nous péull fère rellors
De la grant perte
Par quoi Adam fift la déferte.
95 Prie à ton Fil qui nous en terde
Et nous eflève
De l'ordure qu'aporta Eve
Quant de la pome oita la fève;
Par qoi tes Fis,
100 Si com je fui certains & fis,
Souffri mort & fu crucefis
Au vendredi ;
C'eft véritez que je vous di ;
Et au tiers jor (plus n'atendi)
io5 Refufcita;
La Magdèlene viflta ,
De toz fes péchiez l'acuita ,
Et la fifl faine :
De paradis eft la fontaine.
no In mulieribîis , & plaine
De feignorie :
Fols eft qui en toi ne fe fie.
Tu hez orgueil & félonie
Seur toute chofe;
I f 5 Tu es li lis où Diex repofe ;
Tu es rofîer qui porte rofe
Blanche & vermeille;
-«► Tu as en ton faint chief l'oreille
Qui les defconfeilliez confeille
1 20 Et met à voie ;
L'Ave-Maria Rustebeuf. 147
m
Tu as de fokz & de joie
Tant que raconter n'en porroie
La tierce part.
Fols eft cil qui penlfe autre part
125 Et plus eil fols qui fe départ
De voftre accorde;
Quar honeite miféricorde
Et pacience à vous f acorde
Et abandone.
i3o Hé! bénoite foît la corone
De Jéfu-Chrift qui environe
Le voftre chief 1
Et benedicUis de rechief ,
Fructus qui fouffri grant mefchief
i35 Et grant méfaife
Por nous geter de la fornaise
D'enfer, qui tant par eft pufnaife
Laide & obfcure.
Hé ! douce Virge ncte & pure !
140 Toutes famés, por ta figure,
Doit Ten amer !
Douce te doit l'en bien clamer, '
Quar en toi fi n'a point d'amer
N'autre durté ;
145 Chacié en as toute obfcurté
Par la grâce , par la purté
Ventris tut.
Tuit f en font déable foi ;
i L'Ave-Maria Rustebeuf.
N'ofeni parler, car amui '
o Sont leur folas.
Quant tu tenis & acolas
Ton cher ¥ih , tu les afolas
Et maumêis.
Hé! biaus Père qui me féis,
5 Si com c'eft voirs que tu déîs,
• Je fui t'ancèle; *
Toi, dépri-je, Virge pucèle.
Prie à ton Fil qu'il nous apÈle
Au jugement,
o Quant il fera fi aigrement
Tout le monde communément
Trambler com fueille,
Qu'en fa pitié nous acueille!
Difons ameit : qu'ainfi le vueille !
. Amui, mueti, de ntuttis.
^rpiint VAvt-Maxia Huetebutf.
0U
Une €l)an5mi >e Mo^ixe-^amt \
Mss. 7615, 7633. ■
HANSON m'eftuet chànteir de la meillour
Qui onques fuft ne qui jamais ^era ;
Li fiens douz chanz garit toute dolour
Bien iert gariz cui ele garia.
5 Mainte arme a garie,
Huimais ne dot mie
Que n'aie boen jour,
Car fa grant dofour
N'eft n'uns qui vous die.
10 Moût a en li cortoizie & valour,
Bien & bontei & charitei i a ;
Con folz li cri merci de ma folbur :
I. Il est évident, par le rhythme même de cette
pièce, que son titre .est très-exact et qu'elle est une
véritable chanson.
i5o C!est de Nostre-Dame.
Foloié ai, fonques n'uns foloia.
Si pleur ma folie
1 5 Et ma foie vie ,
Et mon fol fenz plour,
Et ma foie errour
Où trop m'entr'oblie.
Quand fondoulz non reclaimment péchéour
20 Et il dient fon Ave-Maria,
N'ont puis doute du maufei trichéour,
Qui moût doute le bien que Marie a,
Car qui fe marie
En~ telle Marie,
25 Boen mariage a :
Marions-nos là ;
Si aurions faïe.
Moût Tama cil qui de fî haute tour <
Com li ciel funt defcendi juque fà.
3o Mère & fille porta fon créatour,
Qui de noiant li & autres cria.
Qui de cuer f efcrie
Et merci li crie
Merci trovera :
35 Jà n'uns n'i faudra
Qui de cuer la prie.
Si comme hom voit le foleil toute )or
I. Cette strophe n'est pas dans le manuscrit 7615.
C'est de Nostrb-Damr.
Qu'en la verrière entre & ïft & feo v
Ne l'enpire , tant i flère à féjor,
4a Aufi vos di que onques n'empira
La vierge Marie*.
Vierge fu norrie,
Viei^e Dieu porta,
" Vierge l'aleta,
Vierge fti là vie.
I sujet auisi d4
Hfrplirit la iûtaracn Vustr^'jiân».
0u et cncoumenci ^
fi Wii >ej0 pxopxktti} Mo^txt-^tmt * .
Mss. 7218, 7615, 7633, Bib. royale^ Y in-Jhl., 10,
Bib. S. -Geneviève, et B. L. 175, Bibl. de TArsenal.
lOÏNE de pitié, Marie,
En qui déiteiz.pure & clère*
I A mortalité! fe marie,
'Tu iez & vierge & fille & mère.
5 Vierge , eiffantaz le fruit de vie ;
1. En tête du deuxième volume de Mystères iné-
dits du X K« siècle^ j'ai cité, en l'empruntant au manus-
crit in~folio, 10, de la bibliothèque- Sainte-Geneviève
que je reproduisais, mais sans me rappeler qu'elle fût
de Rutebeuf , la première strophe de cette pièce. Je, ne
m'en suis aperçu que plus tard. Il faut que les pièces
de Rutebeuf aient joui jusqu'au XV* siècle d'une grande
célébrité pour que celle-ci, qui n'a rien de remar-
quable, se trouve ainsi dans un manuscrit de 1450
environ^ et presque sans modifications aux leçons
contemporaines du poète, si ce n'est relativement à
l'orthographe.
A cette note de ma première édition de Rutebeuf,.
Les .IX. Joies Nostre-Dame. i53-
Fille, ton fil, mère, ton peire;
Moût as de nonsen prophécie :
Si n'i a non qui n'ait miftère.
Tu iez fuers , efpouze & amie c
10 Au Roi qui toz jors fu & ère ;
je suis obligé d'ajouter celle->ci que j'emprunte au tra-
vail que M. Paulin Paris a publié depuis djins YHis-
toire littéraire de la France, sur le poète qui nous
occupe. Le spirituel académicien s'exprime ainsi' :
t L'auteur d'un opuscule inédit, intitulé : Les Règles
de la seconde rhétorique , dont nous devons la com-
munication à notre savant confrère, M. Montmer-
qué, attribue cette pièce à Guillaume de Saint-Aiiiour ;
mais cet auteur anonyme appartient à la fin du XV*
siècle, et son témoignage ne peut balancer celui des
manuscrits coiitemporains. Guillaume de Saint- Amour,
qui inspira beaucoup de vers à Rutebeuf , ne paraît
pas en avoir composé lui-même; cependant, les
expressions du rhéteur paraissent se rapporter fort
exactement au célèbre professeur des écoles du parvis
de Notre-Dame, a Maifire Guillaume de Saint-Amour,
lequel au parvis de Paris, fift déftruire hérifie, ypo-
crifie et papelardie , la mère de faulx semblant, en
après en l'honneur de Notre-Dame, mift les figures
de la Bible et tes appliqua à la Vierge Marie et en
fift un diz.de vers, croifel, qui se commence ainsi :
(suivent les premiers vers des IX joies N.-D.)»
Je ne connaissais pas le Ms. de l'Arsenal lors de ma
première édition de Rutebeuf; ipais en le voyant,
j'aurais pensé comme M. Paris. Jamais ce grave
théologien, Guillaume de Saint-Amour, n'a fait de
vers, et l'auteur de la Seconde rhétorique se trompe
évidemment.
i54 Les .ix. Joies
Tu iez vierge lèche & fiorie, ~
Doulz remèdes de mort amère ;
Tu iez Hefter qui f umelie ,
Tu iez Judit qui biau fè père : .
i5 Admon^ en pert fafeignerie
Et Olofernes le compère.
Tu iez & cielz, & terre & onde
Par diverfes fénéfiances :
Cielz , qui donc lumière au monde ;
20 Terre , qui dones foutenance ;
Onde , qui les ordures monde.
Tu iez pors de noftre efpérance,
Matière de noftre faconde ,
Argumens de noftre créance.
•
a 5 De toi, pucelei>ure & monde,
Porte cloze , arche d'aliance ,
Qui n'iez première ne féconde ,
Deigna naître par fa poiïïance
Cil qui noz anemis vergonde ,
3o Li jaians de double fuftanee :
Il fil la pierre & tu la fonde
Qui de Golie prift venjance.
Dame de fens enluminée,
Tu as le trayteur tray ;
1 as fouz tes plantes triblée
!• Admon, Aman.
Nostre-Dame. i55
La telle dou ferpent hay.
Tu iez com efchiele ordenée
Qui le pooir as envay
De la beile deffîgurée
40 Par cui 11 monde dechay.
Tu yez Rachel la defirrée ,
Tu yez la droite Sarray * ,
Tu iez la toifon arouzée,
Tu yez li bouchons Synay 2.
45 Dou Saint-Efpir fuz enfeintée ,
En toi vint-il & ombray ,
Tant que tu fus chambre clamée
Au roy de gloire Adonay.
De toi, fanz ta char entameir,
5o Nafqui li bers"^ de haut parage
Por le mal ferpent effreneir
Qui nos tenoit en grief fervage ,
Qui venoit les armes tenteir
Et n'en voloit panre autre gage ^,
55 Por les chétives affameir
Eu fa chartre antive et ombrage '.
1. Sara.
2. Le buisson du Sinal.
3. Baron, seigneur.
4. Ms. Y, 10, fonds Saint-Germain» Vas.
Qai venoit les âmes tempter
Et il meftoit tout fôn ufage
Pour les chétives enfermer, &c.
5. Antique et cachée.— Au lieu de Vépithète antive,
le Ms. 7218 met obscure.
i56 Les .ix. Joies
Dame , toi doit-hon réclameir
En tempefte & en grant orage :
Tu iez eftoile de la meir,
60 Tu iez à nos neiz & rivage *.
Toi doi-hon fervir & ameir :
Tu iez flors ^ de l'umain linage ,
Tu iez li colons fenz ameir
Qui porte au cheitiz lor melTage.
i)S Seule fanz peir, à cui fancline
Li noblois dou haut confiiloire ,
Bien fe tient à ferme racine ,
Jamais ne charra ta mémoire.
Tu yez fins de noftre ruyne ,
70 Que mort eftions, c'eû la voire ;
Solaux qui le monde enlumine ,
Lune fanz lueur tranfîtoire.
Tu iez fale , chambre & cortine ,
Liz & trônes au Roi de gloire ;
y 5 Thrones de jame^ pure & fine,
D'or efmerei * de blanc yvoire;
Recovriers de noflre-failîne,
Maifons de pais, tors de victoire ^
Plantains ^^ olive , fleurs d'épine ,
1. Ms. 7218. Var. Tu es ancre, nef et rivage.
2. Ms. fonds Saint-Germain. Va», port,
3. Jame, pierre précieuse; gemma.
4. D'or épuré.
5. Ms. 7218. Var. Aiglentier.
V 4
Nostre-Dame. 157
8q Cyprès & palme de juftoire.
Tu iez la verge de fumée
D'aromat remis en ardure ,
Qui par le défert iez montée
El ciel feur toute créature;
85 Vigne de noble fruit chargée
Sanz humaine cultivéure ,
Violete non violée,
Cortilz ^ touz enceinz à cloiture.
A faint Jehan fii démontrée
90 L'eucellance de ta figure
De .XII. étoiles coronée. ;
Li foleux eft ta couverture :
' La tine , fouz tes piez pozée ,
Se" nos fénéfie à droiture
95 Que for nos ferez eflaucée
Et feur fortune & feur nature.
Tu iez chatiaux , roche hautainne
Qui ne crienz oft ne forvenue ;
Tu iez li puis & la fontainne
100 Dont noftre vie eft foutenue,
Li firmamenz de cui alainne
Verdure eft en terre efpandue ,
Aube qui le jor nos amainne ,
Turtre qui ces amors ne mue ^ !
ir Cortil:(, jardin^ verger.
2. Turtre, tourterelle. -
i58 Les .ix. Joies
io5 Tu iez roïne fouverainne
De diverfes coleurs veftue ;
Tu iez eftoile promerainne ,
La meilleurs, la plus chier tenue,
En cui la déiteiz fouvrainne
1 10 Por nos fauveir a recondue
Sa lumière , & fon rai demainne ,
Si com li folaux en la nue.
Citeiz cloze à tours macizes ,
Li maulz qui les maulz acravente ,
j 1 5 Qui recéuz eft en tes lices
Pou li chaut c'il pluet ou c'il vente.
Tu iez la raanfons des vices ,
Li repos après la tormente ,
Li purgatoires des malices ,
120 Li confors de l'arme dolente.
Tu as des vertuz les promifces ,
C'eft tes droiz , c'eft ta propre rente ;
Tu iez l'aigles & li fénifces;*.
Qui dou foleil 2 reprent jovente ,
1 2 5 Larriz de fleurs , celle d'efpices 3 ,
Baumes , kanele , encens & mente ,
1. Phénix.
2. Mb. 7218. Var. Qui de son bec.
3. Mot à mot : Lande de fleurs, chambre d'épices.
« Tant chevaulcha par plains , par bois , par carrés,..*
qu'il vint en une grande valée. v
( Roman de Gérard de Nevbrs.)
Nostre-Dame iSg
Noftre paradix de délices ,
Noftre efpérance, noftre atente.
Dame de la haute citei
i3o A cui tuit portent révérance ,
Tuit eftienz déferitei
Par une général fentence :
Tu en as le mont aquitei ;
Tu iez faluz de noftre eflënce
j35 Balaîz de noftre vanitei ,
Cribles de uoftre concience,
Temples de fainte Trinitei ,
Terre empreignie fanz femance ,
Et lumière de véritei , .
140 Et aumaires de fapience ,
Et yfopes d^umilitei ,
Et li cèdres de fapience * ,
Et li lyx de virginitei ,
Et la roze de paciance.
145 Maudite fu famé & blâmée ,
Qui n'ot fruit anciennement;
Mais ainz n'en fuz efpoantée,
Ainz Yoas à Dieu qui ne ment
Que ta virginiteiz gardée
i5o Li feroit pardurablement :
Ce fu la première voée ;
I. Ms. 72 18. Var. Et li ceptres de providence.— Ms.
fonds Saint-Germain. Var. Et le fleuve de providence.
i6o Les .ix.- Joies
Moût te vint de grant hardement.
Tantoft te fu grâce donée
De gardeir ton ven purement ;
1 5 5 Ton cuer, ton cors & ta pencée
Saifit Diex à foi voirement
En ce que tu fuz faluée
Vout Diex montrer apertement
Tu iez Eva la beftornée
ibo Et de voiz & d'entendement.
«
Ne porroie en nule menière
De tesnons, conbien que penfaffe,
Tant dire que plus n'i affière
Se toute ma vie i ufafTe ;
i65 Mais de tes joies , Dame chière;
Ne lairoie que ne contalTe.
Li faluz , ce fu la première ,
Dame , lors t'apelas baaffe <.
Ne fus orguilleùze ne fière ,
170 Ainz fumelias tôt à mafle.
Por ce vint la haute lumière
En toi qu'ele te vit (î baffe.
Lors fus auffî com la verrière ^
Par où li raiz dou foleil paffe :
175 Elle n'eft pas por ce mainz entière,
Qu'il ne la perce , ne ne quaffe.
1. Baasse, servante,
2. Cette <:oh[iparaison de la virginité de la mère de
Nostre-Dame. i6i
La preînière fa de tes joies ,
Quant ton créatour tu concéuz ;
La féconde fu totes voies ^
180 Quant par Élyzabeth feus
Que le fil Dieu en^amteroies",
La tierce quant enfant éuz :
. Sanz péchié concéuz l'avoies
Et fanz doleur de li géuz.
18S A la quarte te merveîlloies
<2uant tu véiz & tu feus
Que li troi roi fi longues voies
Li vindrent offrir lor tréuz.
Au Temple quant ton fil offroies
190 Ta quinte joie recéuz
Quant par faint Syméon favoies
Jésus avec le soleil, qui passe sans la briser au tra-
vers d'une verrière , est fréquente chez les poètes du
moyen âge. On la trouve d'abord à la tin de la Chati'
son de Nostre-Dame f page 49, de mon premier vo-
lume des Mystères inédits , où Tauteur fait dire à
saint Paul que le Dieu qu'il prêche est
Le créateur de tout le monde
Qui d'une vierge pure & monde
Comme soleil parmy voirrière
Pafle & adàs demeure entière
Naquit fans peine en Bethléem.
I. Ms. 7218. Var.
Droiz eft que tes loenges oies :
Quant tu ton cbier fil concéus^ .j
La féconde fti de tes joies ,-.oUt ou-^
RUTIBEUF. IL II
i62 Les .ix. Joies
Que tes filz ert Homo Deus.\
La feite.puis que fuz affî£e
O Faignel, par compaffîoo,
195 Qui por nos avoit farme mife,
Quant reyefqui comme lyons
Et tu o Lui en-iteil guife. .
La feptime TAfémilion ,
Quant la chars qu'il ot en toi prize *
200 Fit el trône devifion.
L'uitime , par iteil devife ,
Quant par fa fainte Anoncion
Dqu Saint-£(perit fut empriCe ;
La nuevime l'afQmpGôns ^ ,
2o5 Quant eti arme & en cors affife
Fus for toute créacion.
Dame cui toz li mondes prife ,
Partes .ifx. joies te prions :
Aïde nos par ta franchife ,
210 Et par ta fainte noncion ,
I. Le Mg. 7218 place ici ces deux vers :
Quant eii> âme & en cors affife
Fas feur toute' créacion.
a. Le Ma. 7218 termine ainsi cette stance :
Dame qui toz li fiècles prife,
Par ces .ix. joies te prion
Humblement par ta graot franchife
Quç' jMnis fiions rémlâion.
Nostbe-Dame.
Qu'au daerrain jour du juife
O les -iK. ordres manfîon
Nos doinfl en celé haute égltze,
Dame , par
«rpiicit.
Mn WM >e Vicf^Ut'9amt,
Ms. 7615.
|E la très glorieufe Dame
JQuî efl faluz de cors & d'ame
I Dirai , que tère ne m'en pui ;
Mes l'en porroit avant .i. pui
5 Efpuifier c'on poïft retrère
Combien la dame e&. débonaire.
Por ce (i la devons requerre
Qu'avant qu'elle chaîfl for terre
Mift Diex eu li humilité ,
10 Pitiez, doufors & charitez,
Tant que ne fai où je commance :
Befoignex fui par l'abondance ,
L'abondance de fa loance .
Remue mon corage & change,
1 5 Si qu'efprouver ne me porroie ,
Tant parlaiOfe je voudroie.
Tant a en li de bien à dire
Que trop eft belle la matire :
Se j'eftoie bons efcrivens
.-. 4
Un Dist de NbsTRE-DAME. i65
20 Ainz feroie d'efcrire vaâns
Que je vous éuffe cpnté
La tierce part de fa bonté
Ne la quarte ne redéUine.
Se fet chacuns par lui-siéirm^,
2 5 Qui orroit comment ellç pjxHQ
Celi qui de fon cors- fift proie
Por nous tous d'enfer d^praer,
Conques ne veft le cous defptaer,
Ainz fu por nos prae» & pris
3o Dou feu de charité efpri» ;
Et tôt ce li ramantoit-ellp ;
La très douce Virge dél|oaaijr«, :
c Biaus iilz, tu fais famé & borne.,
Quant il orent mors en la^pome,
35 II furent mort par le. pechi^ :
Dou maufez efl toz entechiez ;
En enfer il dui défendirent'
Et tuit cil qui d'eus iffireobt.
Biaux chiers fis , il femprifi' pitiez
40 Et tant lor montras dfamities
Que por aus decendis>ès ciaus :
Li deflandres fu bons.&biax.
De ta fille féis ta mère ;
Tiex fu la volante dou père;
45 De la crèche te fit-on coche;
Sans orguel eil qui là fe ooi^be.
Porter te covint en Egypte.;
La demorance i fu petite,
Car après toi ne vefqui gaires
i66 Un Dist de Nostre-Dame.
5o Tes anemis, li deputaires
Hérodes, qui fîil decoler
Les inocens & afoler,
Et defmembrer par chacuns membre ,
Si com TEfcriture remembre.
55 Après ce revenis arrière :
Jui refirent belle chière ,
Car tu lor montroies ou Temple
Maint bel mot & maint bel example :
Moût lor plot canques tu déis
60 Juqu'à ce tens que tu féis
Ladre venir de mort à vie ;
Lors orent-il sor toi envie ,
. Lors fus d'aus huiez & haïz ,
Lors fus enginiez & tratz
65 Par les tiens & à aus bailliez.
Lors fus penez & travillez,
. Et lors fus liez à Teflache ;
N'efl nus qui ne le croie & fâche.
Là fus batuz & deplaiez , '
70 Là fus de la mort efmaiez,
Là te covint porter la croiz,
Où tu crias à haute voiz
Au Juis que tu foif avoies ;
La foif efloit que tu favoies
75 Tes amis mors & à malaife
En la dolor d'enfer punaife.
L'âme dou cors fu en Enfer
Et brifa la porte d'enfer ;
Tes amis treffis de léans ;
Un Dist de Nostre-Dame, 167
80 Aine ne remeil clerc ne lai anz.
Li cors remefl en la croiz mis :
Jofeph , qui tant fu tes aniis ,
A Pilate te demanda ;
Li demanders moût Tamanda.
85 a Lors fu ou fépucre pofez.
De ce fu hardiz & ofez
Pilate, qu'à toi garde mifl,
Car de folie fentremiil.
Au tiers jors fi[;refufcitez :
[ 90 Lors fu & cors & déitez
Enfamhle fans corricion ,
Lors montas à TAfcencion. .
t Au jor de Pentecoufle droit,
Droit à celle hore &c à cel androit
95 Que li apoftres èrent af!îs
A la table chacuns pencis,
Lors envoias-tu à la table
La toe grâce efperitable
Dou Saint-Efpérit emflamée ,
100 Que tant fu joïe & amée.
Lors fus chacuns d'aus ci. hardiz,
Et par paroles & par diz,
Çautant pris a mort comme vie :
N'orent fors de famor envie.
io5 Biaxchiers fiz, por Tumain lignage ,
Jeter de honte & de domage
Féifl tote cefle bonté ,
i68 Un Dist de NosTRE-DA?iE.
Et plus afTez que n'ai conté.
^'or laîfToies fi efgaré
110 Ce que fi chîer as comparé ,
Ci auroit trop grand mefprifon:
S* or les lefToies en prifon
Entrer don tu les as odé ,
Car ci auroit trop mal hofté ,
1 1 5 Trop grant duel & trop grant martire ^
Biau filz , bîau père , bîau doz fire. i
Ainfi recorde tote jor
La doce Dame fans fëjor :
Jà ne fina de recorder ;
1 20 Car bien nous voudroit racorder
A li , don nos nos defcordons
De fa corde & de fes cordons.
Or nous acordons à facorde.
La Dame de miféricorde
125 Et li prions que nous acort
Par fa pitié au dine acort
Son chier fil, le dine cor Dé ^ :
Lors fi ferons bien racordé ^.
I Le dine cor Dé, le dign« corps de Dieu.
2. Voyez y pour des cacophonies semblables et sur
le même mot, les strophes deuxième et cinquième
de ht pièce intitulée : Les Di:; des Cordeliers.
Crpltdt U Moùtxt'^amt.
•-î-fw
£a Voit >e flaraït^^
^n et encoumrncr
jTa Il0te li'Kmtlttef \
MS8. 7218, 7632, 7633.
[i marz , tout droit en cel termine
'Que defouz terre ift la vermine
Où ele a tout Fyver efté ,
'Si Peljoït contre Tefté ;
Cil arbre fe cuevrent de fueille
I. Legrand d'Âussy a donné l'analyse de cette
pièce dans son recueil de Fabliaux. Voyez tome II,
page 226 , édition Renouard. Voyez aussi , pour le
même sujet , une autre Voie de Paradis , ms. 72 18 ,—
et pour des pièces pareilles sur Tenfer, page 384 de
mon deuxième volume des Mystères inédits, Le
Songe d? Enfer y ainsi que page 43 de mes Jongleurs
et Trouvères, la pièce intitulée : Le Salut d'Enfer,
Elles prouvent que la fabulation mise en œuvre par
Dante dans son immortel poème était fréquente à
l*époque où il vivait. J'ajoute que Daunou, dans
son Discours sur l'état des lettres au XIII* siècle , a
dit, à propos de ce genre de pièces : « Plusieurs per-
170 La Voie de Paradis.
Et de flor la terre f orgueille,
Si fe cuevre de flors dîverfes ,
D'indes, de jaunes & de perfes ;
Li preudon, quant voit le jor né,
10 Rêva arer en fon jomé ;
Après arer fon jomé famé.
Qui lors femeroit fi que f âme
Moiffonnafl femence devine,
Je di por voir, non pas devine ,
1 5 Que buer feroit nez de fa mère,
Quar tel moiffon n'efl pas amère.
Au point du jor c'on entre en oevre
sonnages du temps se rencontrent dans le chemin
d'enfer de Raoul de Houdan ; la plupart sont des bour-
geois dont les noms, restés obscurs, ne rappellent au-
jourd'hui aucun souvenir; mais on^emarque^aumilieu
de cette liste et dans la demeure de Filouterie, Jeaxi
le Bossu cTArras, Tun des trouvères de ce siècle. La
Voie de Paradis , par Rutebeuf, a aussi un caractère
satirique, mais il n'y a pas de personnalités; c'est une
description générale des vices ou péchés capitaux. »
M. Paris trouve que La Voie de Paradis « doit
beaucoup à la première partie du Roman de la Rose^
composé, suivant toutes les apparences, plus de vingt
ans auparavant (c'est-à-dire vers le milieu du règne
de saint Louis). »
Selon le même érudit, a Rutebeuf a fût preuve, dans
La Voie de Paradis, d*ua incontestable talent; seu-
lement, vers la fin, son .malheureux goût pour les
pointes et les antithèses reprend sur lui de l'empire ,-
et le fiiit renoncer à la correction élégante et ncile
qui distingue l'œuvre de Guillaume de Lorris. »
3.
La Voie de Paradis. 171
RusTEBUEF , qui rudement oevre,
Quar rudes efl, ce eft la fomme, '
20 Fu auffi com du premier fomme.
Or fâchiez que guères ne penfTe
Où fera prife fa defpenfle.
En dormant A. fonge fonja :
Or entendez dont qu'il fdnja,
2 5 Que pas du fonge ne bordon.
En fonjant, efcharpe & bordon
Prift RusTKBUES, ifiî fefmuet:
Or chemine, fi ne fe muet.
Quant la gent de moi deffambla ,
3o Vers paradis , ce me fambla ,
' Âtornai mon pèlerinage.
Des odes que j'oi au paiTage
Vous vueil conter & de tna voie ;
N'a guères que riens n'en favoie :
35 J'entrai en une voie eflroite ;
Moult i trovai de gent deftroite
Qui à aler fi atomoient;
Mes trop en vi qui retomoient ,
Por la voie qui efloit maie»
40 Tant vous di n'i a pas grant aie ,
Mes mendre que je ne créuiTe.
Ainz que guères aie éuffe
Trovai .i. chemin à feneftre :
Je vous déiffe de fon eflre
45 Se je n'éuffe tant afère ;
Mes la gent qui du mien repère
172 La Voie de Paradis.
Va celui fi grant aléure
Com palefroiz va Tambléure.
Li chemins efi biaus & plefanz ,
5o Délitables & aaifanz :
Chafcuns i a à fa devife;
Quanques foihaite ne devife ;
Tant efl plefanz chafcuns le va ,
Mes de fort eure fe leva
5 5 Qui le va fe il n'en repère.
Li chemins va à .i. repère
Où trop a dolor & deftrece ;
Larges efl , mes toz jors eftrece.
Li pèlerin ne font pas fage :
60 PafTer lor efluet i. pafTage
Dont jà nus ne refortira.
Or fâchiez qu'au refortir a
Une gent maie & féloneffe
Qui por loier ne por promefTe
65 N'en leffent .i. feul efchaper
Puis qu'il le puilfent atraper.
Gel chemin nevoilpas tenir,
Trop me fuft tart à revenir.
Le chemin ting à délire main ;
70 Je , qui n'ai pas non d'eftre main
Levez , jui la première nuit ,
Por ce que mes contes n'anuit,
A la cité de Pénitance :
Moult oi cel foir povre pitance»
— -^ *!?-.« À
La Voie de Paradis. 173
75 Quant je fui entrez en la vile ,
Ne cuidiez pas que ce foit guile,
Uns preudom qui venir me vit ,
Que Diex confeut fe encor vit ,
Et fil eft mors Diex en ait Pâme,
^o Me priit par la main , & ùl famé
Me dift : « Pèlerins , bien veigniez. »
Léenz trovai bien enfeigniez
La mefnie de la mefon ,
Et plains de fens & de refon.
S5 Quant je fui en Toflel, mon oile
Mon bordon & m'efcharpe m'oile
Il méifmes , fanz autre querre ;
Puis me demande de ma terre
Et du chemin qu'aie avoie.
90 Je l'en dis ce que j'en fa voie
Tant l'en dis-je , bien m'en fouvient :
€ Se tel voie aler me covient
Com j'ai la première jomée,
Je crierai la retornée. »
95 Li preudom me dift : « Biaus amis,
Cil fîres Diex , qui vous a mis
El cuer de fère ceft voiage ,
Vous aidera au mal paflage.
Aidiez cels que vous troverez ,
100 Confeilliez cels que vous verrez
Qui requerront voftre confeil ,
Ce vous lo-ge bien & confeil. »
Encor me dift icil preudon
174 i-A Voie de Paradis.
Se je fefoie mon preu don
io5 Orroie-je le Dieufervile ;
Quar trop petit en apetife
La jomée don a à fere.
Je le vî dou2 & débonère,
Si m'abelirent fes paroles ,
1 10 Qui ne furent vai|[ies ne voles.
Quant il m'ot tout ce commandé ,
Je li ai après demandé
Qu'il me difl par amiftié
Son non. c J'ai non, difl-il, Pitié, i
1 1 5 — < Pitié ? dis-je , c'en trop biau non. >
— f Voire, fet-il; mès.lerenon
Eft petiz *, toz jors amenuife.
Ne truis nului qui ne me nuife ;
Dame Avarice & dame Envie
1 20 Se duelent moult quant fui. en vie ,
Et Vaine-Gloire me r*amort ,
Que ne déiîrre que ma mort';
Et ma famé a non Charité.
Or vous ai dit la vérité ,
125 Mais de ce fommes mal bailli ,
Que fovent fommes affailli
D'Orgueil , le gendre Félonie ,
Qui nous fet trop grant vilonie.
Cil nous aifaut & nuit & jor :
i3o Li fiens aflaus efl fanz féjor.
c De cels que je vous ai conté ,
Où il n'a amor ne bonté ,
La Voie de Paradis. lyS
Vous gardez , je le vous commant. »
— « Ha Diex ! oiles, & je commant?
i35 Ainz neles yi ne ne connui.
Si me porront bien faire anui :
Jà ne fauroi qui ce fera. - *
Ha Diex l &. i{\xï m'enfeignera
Comment je les efchiverai? *■
140 — f Oiles, je vous enfeignerai
Lor connoififance & lor mefon ;
S'il a en vous feas ne refon ,
Que moult bien les efchiverez.
Or efcoutez comment irez
145 Jufque la mefon de Con&iTe,
Qui la voie eft À. poi engrelTe ,
Et feft aiTez mal à tenir
Ainçois c'on i puift avenir.
a Quant vous cheminerez demain ,
1 5o Si verrez à feneftre main
Une mefon moult orguilleufe ;
Bêle eft, mes ele eil péreilleufe,
Qu'ele chiet par i. pou devant.
Moult eft bien fet« par devant ,
i55 AfTez miex que n'eft par derrière,
Et fa efcrit en la mesière :
« Céenz eft à Orguex li cointes ,
« Qu'à toz péchiez eft bien aointes. »
Cil granz fires dont je vous conte
160 A moult fouvent & duel & honte
Par fa manière qui eft foie ,
176 La Voie de Paradis.
Et par fa diverfe parole ,
Où il n*a ne fens ne favoir,
Et f en porte cors & avoir.
i65 Sa mefon que je vous devife '
A-il par fon beubant aflife
Sor .i. turet* enmi la voie,
Por ce que chafcuns miex la voie.
Moult a oiles en fon oilel ,
1 70 Qu'il a oftez d'autrui oftel
Qui fefoient autrui ouvraingne ^ ,
Qui auroient [honte & vergoingne
Qui de ce lor feroit reproche ;
Mes li termes vient & aprpche
175 Que Fortune , qui met & ofte ^ ,
Les ollera de chiés tel oile^.
« Sire Orguex lor promet Tavoir,
Mes n'ont pas pièges de l'avoir.
Si vous dirai que il en feit
1 80 Par parole non pas par fet :
Il fet du clerc archediacre
Et du grant-doien fouz-diacre ;
Du lài fet provoft ou bailli ,
Mes ien la fin font mal bailli ,
1. Turet, quelquefois turon\ butte, élévation.
2. Ms. 7633. Var. besoigne.
3. Ms. 7633. Var. m'est à hoste.
4. Le Ms. 7633 ajoute ici ces deux vers :
Et oeaix que li fîècles aroe
Âroera defouz fa roe.
La Voie de Paradis. 177
i85 Que vous véez avenir puis
Qu'il chiéent en û parfont puis,
Par Dieu le père efperitable ,
Por du pain curent une eitable.
<c Icele gent que je vous nomme
190 Que Orguex eifauce & aÛbmme ,
Sont veilus d'un cendal vermeil
Qui deftaint contre le foieil ;
Chapelez ont de flor vermeille
Qui trop eil bêle à grant merveille
195 Quant ele eft frefchement cueillie ;
Mes quant ii chauz l'a acueiUie
Toil eft morte , matie & mate :
Tel marchié prent qui tel Fachate.
a Defouz Orgueil, .i, poi aval ,
200 A l'avaler d'un petit val,^
A Avarifce fon manoir,
Et fi font tuit fi homme noir ,
Non pas très noir, mes maigie & pâle,
Por lor dame qui eil trop maie.
2o5 Aufi les tient comme en prifon ,
Mes de ce fet grant mefprifon
Qu'à nului nule bonté n'offre.
Enmi fa fale fus .i. coffre
Efl affîfe mate & penfîve ;
210 Miex famble elbe morte que vive ;
Jà ne fera fa borfe ouverte ,
Et fi eft fa mefon couverte
RuTEBEur. II. la
17^^ La Voie de Paradis,
D'une grant pierre d'aymant ;
Li mur entor font à cimant :
2 1 5 Moult eft bien fermez li porpris.
Cil fe doit bien tenir por pris
Qui vient en icele porprife ,
Quar al porpris a tel porprife
Qu'ele n'eft fête que por prendre.
220 Grant efpace li fift porprendre
Cil qui n'i fift c*une huiflerie,
Qui à l'ifïïr eft briferie.
Si fouef clôt , û fouef oevre.
C'on ne voit guôres de tel oevre.
2 25 « Après Avarifce la dame
Efta une vilaine famé
Et ireufe : fa à non Ire ,
Or vous vueil fa manière dire :
Ire, qui eft tnale & vilaine,
23o Ne fet pas tant defcharpir laine
Comme ele fet de cheveus rompre ;
Tout ront quanqu'ele puet arompre ;
Tout a corouz , tant o dolor
Qui tant li fet muer color,
2*35 Que toz jors font fes denz ferrées,
Qui jà ne feront deflerrées
Se n'eft por félonie dire ;
Car tels eft la manière d'Ire,
Que ne li left les denz eftraindre
240 Et foufpirer & parfont plaindre ,
Et coroucier à lui-méifme ,
La Voie de Paradis. 179
Et 'ce toz jors li regaîûne ;
Jà ne qnerroit por nule cho£e.
Tel manière a que toz jors chofe :
245 Fols eft qui en chiés li ira.
Tele manière en Ire a
Qu'ele fe veult à chafcun prendre
De ce vous vueil je bien aprendre.
Par cefte refon entendez ,
2 DO Vous qui la voie demandez
•Pot aler a Confeffîan ,
Que nus ne doit en fa mef^a
Nul hom receter ne enbatre,
S'il ne veult tencier ou combatre.
233 Or oiez de fon habitacle, . .
Où Diex ne fet point d^ miracle.
<( Du fondement de la mefon
Vous di, que tel ne vit mes hom.
I. mur i a de félonie *
260 Tout deftempré à vilonie ;
Li fueil font de défefpérance
Et li pommel de mefchéance ;
Li torchéis eft de haïne.
I. Ces vers rappellent le passage suivant du Fablel
dou Dieud'Amows, pièce que j'ai publiée^ en 1834,
chez Techener : '
De rotruenges efloit tos fais li pons ;
Toutes les plankes de dis & de canchons,
Dtt fons de harpe les eflaces del fons ,
Et les falijes de dous lais de Breton^ ;
Li folTés ert de foupirs en plaignant , &c. ^
i8o La Voie de Paradis.
D'autre chofe que de faîne *
265 Fu celé mefon enpalée ,
Quar Tenduire fu engelée.
Si en a efté coroucie
Quant fa hiefon eil depecîe.
De tristece eft Fempaléure :
270 Passez outre grant aléure ,
Quar ce ne vous porroit aidier ;
Qui n'aime rancune & plaidier,
Je ne lo pas que fi eiloife ,
Quar preudom n'a cure de noife.
275 Por ce que tu ne t'i arrives,
Li braz , les laz & les (olives
Et les chevilles & li tré
Sont, par faint Blanchart de Vitré ,
D'un fiift; fa non Dures-noveles ;
280 Et de ce refont les aÛeles ^ ;
Li chevron font d'autre mefrien ,
Mes tel merrien ne vaut mes rien,
Quar il eft de méfavanture :
S'en eft la mefon plus obfcure.
285 Là ne vont que li forsené
Qui ne font pas bien aûené.
« El fons d'une ôbfcure valée
Dont la clarfez fen eft alée,
S'eft Envie repofée & mife.
1. Fraternité.
2. Ms. 7633. Var. astelas (ais).
La Voie de Paradis. i8i
290 Devifer vous vueil fa devife :
Ne fai f onc nus la devifa ,
Mes bien iai que pâle vis a ,
Car el lit où ele fe couche
N'a-il ne chaelit ne couche,
295 Ainz giil en fiens & en ordure ;
Moult a duré '& encor dure :
N'i a feneftre ne verrière *
Qui rende clarté ne lumière,
Ainz eft la mefon fi obfcure
3oo C'on ni verra jà foleil luire.
Ovides raconte en fon livre ,
Quant il parole de fon vivre ,
Qu'il dift char de ferpent menjue
Dont merveille eft qu'il ne fe tue ;
3o5 Mes RusTEBUES à ce refpont
Qui la char du ferpent efpont
Ceft li venins qu'ele maintient :
Ez vous la char qu'en fa main tient?
Moult a grant obfcurté laienz;
3 10 J'à n'enterront clerc ne lai enz
Qui jamès nul jor aient joie.
Ne cmdiez pas qu'ele f efjoie
S'ele ne fet qu'autres fe dueille :
Lorsf efjoït & lors f orgueille
3 1 5 Que ele ot là dure novele ;
Mes lors li tome la roele ,
I. Dans le Ms. 7633 , après ce vers on lit celui-ci :
Ne par devant ne par derrière
i8i La Voie de Paradis.
Et lors li'font li dé changié
Et geu & rrs bien eftrangié
Quant ele fet autrui' léefce *,
320 Deuls Tcfjoh, joie la blefce.
t Mouk éft f entrée viex & fale ;
Si eft fa nreîon & fa fale
Et fa yalép & orde & vils.
AprèMés ichofes or devis
325 De cehtjuifî fort fe defvoient
Quant la mefon Envie voient ,
Que il vuelent véoir Envie ,
Qui ne muert pas, ainz eft en vie.
Quant il aprochent du repère
33o Dont nuis en fanté ne repère,
Lors (î lor trouble la véue ,
Et la joie qu'il ont eue
Perdent-il au pafler la porte.
Or favéz que chafcuns en porte * :
335 « Li cors où Envie fembat
Ne fe folace ne efbat ;
Toz jors^lt fes viaires pâles ,
Toz joi*s font fes paroles maies.
Lors rift-il que fon voifin pleure,
340 Et lors li recort di deuls feure
Quant fon vdifîn a bien affez :
I . Les vingt-quatre vers qui suivent manquent au
manuscrit 7633.
La Voie de Paradis. i83
Jà n'ert fes viaires laffez.
Or poez-vous favoir la vie
Que cil maine qui a Envie.
Envie fet homme tuer ,
345 Et fi fet bonnes remuer ,
Envie fet rooingner terre,
Envie met ou (îècle guerre ,
Envie fet mari & famé
Haïr , Envie deflruit âme ,
35o Envie met defcorde es frères ,
Envie fet haïr les mères.
Envie deftruit gentillece ,
Envie griève , Envie blece ,
Envie confont charité
355 Et fi deftruit humilité.
Ne fai que plus briefment vous die :
Tuit li mal vlenent par Envie.
€ Accide^, qui fa tefte cuevre,
36o Qu'ele n'a cure de fère œvre
Qu'à Dieu plaife n'a faint qu'il ait ,
Por ce que trop li feroit lait
Qui li verroit bon œvre fère ,
Lez Envie a mis fon repère.
365 Or efcoutez de. la mauvaife ,
Qui jamès n'aura bien ne aife :
Si vous conterai de fa vie
Dont nul preudomme n'ont envie.
j. Âccide, froideur, paresse.
184 La Voie de Paradis.
< Âccide, la taate Parece,
370 Qui trop pou en eftant fe drece
Poi ou noient puis qu'il coviegne
Qu'ele face bone befoingne ,
Voudroit bien que clerc & provoire
Fuffent « marchié. ou à foire ,
375 Si c'on ne féift jà fervife
En chapele ne en églife ;
Quar qui voudra de li Joïr
Ne fa bêle parole oïr
Ne parolt de faint ne de iamte,
38o Qu'ele eft de tel corroie çainte ,
S'ele va droit , maintenant cloche
Que ele ot clocheter la cloche ;
Lors voudroit bien que li batiaus
Et li coivres & li métaus
385 FujOTent encor tuit à refondre.
La riens qui plus la puet confondre »
Qui plus li anuie & li griève ,
C'est ce quant delez li fe liève
Aucuns por aler au mouftier,
390 Et dift : t Vous i fuftes moult ier :
Qu*alez-vous querre (i fou vent?
Leffîez i aler le couvent
De Pruilli * ou d'a,utre abéie. »
Iffi remaint toute efbahie :
395 Encor a-ele tel manière ^
Que jà ne fera bêle chière
I. Ms. 7633.VAR. Puili.
/
I
La Voie de Paradis. i83.
Por qu'ele voie les denz muevre ,
Tant fort redoute la bone œvre.
Que vousiroie |e aloingnant^
400 Ne meis paroles porloîngnant ?
Quanques Diex aime 11 anuie
Et 11 eft plus amer cfue suie.
f Gloutonie , la, fuer Outrage ,
Qui n'efl ne cortoife ne fage ,
4o5 Qui n'aime refon ne mefure ,
Refet fovent le mortier bruire,
Et chics JFIafart le tavernier.
Et fi fu en la taverne ier
Autant com il a hui eilé :
410 Ce ne faut yver ne elle.
Quant ele fe liève au matin ,;
Jà en rômanz ne en latin
Ne quiert oïr que boule & fefte,
Dufoir li refet mal la tefte,
41 5 Or éft tout au recommancierl
Affez aime miex Monpancier ^
Que Marfeille ne Carlion ^.
1. Mb. 7633. Var. délaiant.
2. Probablement Montpellier.
3. Le" Ms. 7633 dit : « que Lyons; t mais^ à la
rigueur, on pourrait laisser Carlion : cette ville est
célèbre chez les auteurs du moyen âge. Ainsi Ton voit
dans le lai de VEspinef par Marie de France :
Les eflores en trai avant
Ki encore font à Caruon ,
Ens le moHftier Saint-A^ron.
Walter Scott, dans une note de Sir Tristrem, édit.
-•*.
i86 La Voie de Paradis.
Por ce vous di-je quar li hon
Qui efl fes kex a aiTez paine :
420 Xiiij, foiz en la femaine
Demande bien Ton efcovoir.
Mes il covient chiés li plovoir
' Se tant avieift que aus chans plueve,
Que fa mefons n'eft mie nueve
425 Âinz eft par les paroiz ouverte
EJ par defeure defcouverte.
Or fâchiez que mauves meftre a ;
James plus mauves ne neflra.
Si herberge ele mainte gent ,
43o Et leu qu*el n'a ne bel ne gent ;
Bediaus &l bailliz &. borgois ,
Qui .iij. femaines por .i. mois
LeiTent aler â pou de conte ;
Por ce que de Tourer ont honte
de 18 19, i^age 3oo, parle de cette ville ^ qui, selon
quelques auteurs , passe pour la première où
le roi Arthur ait établi la Table^ronde, et M. Fran-
cisque Michel, tome II de son Tristan^ page 182, a
écrit les lignes suivantes : Cuerlion, Carleon (upon
Usk), ville du pays de Galles, nommée dans Les
Triades copime l'une des trois principales résidences
du roi Arthur, et appelée Urbs legionum, par Geof-
froy de Monmouth.
Li bons reis Arzurs teneit
A Karliiim, cum l'en difeit ,
A une fefte, qui mont coufte
A UB jour de Pentecoufte.
(Le Lai du Corn, Ms. de la Bibl. Bodiéienne, n* 1687.)
La Voie de Paradis. 187
435 Sont en cel recet receté ;
Tant i font qu'il font endété
Et créance lor eft faillie.
Lors efl la dame mal baillie ,
Quar fes oftes il covient perdre ;
440 Si ne fen fet à cui aerdre ,
Âus chanoines des granz églifes.
Por ce que grans eft li fervifes
Si fen defcombrent en contant.
Que vous diroie ? il font tant
445 Que clerc , que chanoine , que lai ;
Trop i feroie grant délai.
Luxure , qui les fols defrobe ,
Qu'au fol ne left chape ne robe * ,
Qui mainte gent a jà honie ,
45o Eft bien voifine Gloutonie ;
Ne faut fors avaler le val.
Tels entre chiés li à cheval
Qui fen revient nuz & defchaus.
Trop eft vilains fes fenefchaus :
435 Tout prent, tout robe, tout pelice :
Ne left peliçon ne pelice ;
Des maus qu'el' fet ne fai le nombre ;
La fomme en eft en une eflbmbre ,
En une reculée obfcure.
460 Onques nus preudon n'en ot cure
I. Les quarante vers qui suivent manquent au
manuscrit 7633.
i88 La Voie de Paradis.
D'entrer laians pori'obfcurté,
Qu'il n'i a point de féurté.
Nus n'i va ne riant ne haut ,
Tant foit ne garçon ne ribaut,
465 Qui corouciez ne i'en reviegne ;
Et cefle refon nous enfeigne
Que nus hon ne fi doit enbatre
Por folacier ne por efbatre.
Cil dient qui i ont efté
470 Que la mefon eft en eflé
Tel' que de glay glagié à point,
Jons ne mentallre n'i a point ,
Ainz ell la glagéure eflraiige ;
Si a non Folie & Lo&nge.
475 La d^me eft moult plaine d'orgueil ;
Li portiers a non Bel-Acueil :
Bel-Acueil , qui garde la porte ;
Connoift bien celui qui aporte ;
A celui met les bras au col,
480 Quar bien fet afoler le fol.
Cil qui i va à borfe vuide
Efl bien fols fe trover i cuide
Biau geu , biau ris ne bêle chière :
De vuide main vuîde proière ,
485 Quar vous oez dire à la gent :
« A l'uis , à l'uis qui n'a argent. »
Luxure , qui eft fi grant dame ,
Qui bien deftruit le cors & l'âme,
Prent bien le loier de fon ofte;
La Voie de Paradis. 189
490 Le cors deflruit , la rîchece ode ,
Et quant ele a li tout ofté ,
S'ofte rofte de fon ofté.
En toz mauves esforz f esforce ,
L'âme ocift & fen tret la force.
495 Après tout ce fiert fi el maigre ,
Les iex trouble, la voiz fait aigre.
Ci a feloneffe efpoufée :
Sa chamberière a non Rdufée ,
Et fes chambellenz Faus-f i-fie *.
5oo Or ne fai que ce fénéfie ,
Quar tant de gent la vont véoir
Qu'à granz paines ont où féoir : '
Li .i. fen vont, li autre vienent,
Li revenant por fol fe tienent.
5o5 « Biaus'douz oftes, ce dift Pitié,
Bien vous devroie avoii gitié
D'aler aus leus que je vous nomme,
Cor véez-vous , ce èft la fomme ,
Que nus n'i vit en fon aage :
5 10 Si left-ont l'âme de paiage.
De l'autre voie vous devife ,
Qui trop eft bêle à grant devife
Et trop plefant qui en a cure ;
Et feft affez la plus obfcure ,
5 1 5 La droite voie , le droit chemin
Aufïî plain com .i. parchemin
.1. Ms. 7633. Var. Fouz-i'i-fie.
i^o. La Voie de Paradis.
Por aler à confefle droit.
Or vous vueil-je dire orendroit
Les deftroiz qui font dufque là :
520 Si lais la voie pfi^r delà.
A délire main , vert oriant ,
Verrez une mefon riant ,
Ceft à dire de bon afère.
Humilitez la débonère
52 5 Efta léenz, n'en doutez mie.
Raconter vous vueil de fa vie :
Ne cuidiez pas que je vous mante ^
Ne por ce qu'ele foit ma tante
Vous en die ce que j'en fai ,
55o Conques por ce ne 1' me penflai»
Dame Humilitez la cortoife ,
Qui n'eft vilaine ne bufoife * ,
Mes douce , débonère & franche ,
A veftu une cote blanche
535 Qui n'eftpas de blanc de Nicole,
Ainçois vous di à brief parole
Que li drasa non Bon-Éur.
Nus n'eft eh chiés li afféur,
Quar Dans Orguex li outrageus
540 N'i a pas pris la guerre à geus :
Soventes foiz affaut li livre ;
Or oiez comment fe délivre
Et efcoutez en quel manière :
lé Ms. 763?. Var. borjoise.
La Voie de Paradis. 191
S'ele rift & fet bêle chière ,
545' Et fet famblant riens ne li griève ,
Ce qu'Orguex contre li fe liève.
Lors acore de duel & d'ire.
Orguex fi qu'il ne puet mot dire.
A tant f en part , ne parle puis *,
55o Maz & confus ferme fon huis :
Lors qui veut &voir pais , fi l'a ;
Qui ne veut , (i va par delà,
Or vous dirai de fon oftel ,
Onques nus riches hon n'ot tel.
555 Li fondemenz efi de concorde ;
La dame de Miféricorde
1 eftoit quant ele acorda
Le defcort qu' Adans defcorda ,
. Et qui nous a toz acordé
56o A l'acort au digne cors Dé,
Qui a , fi com nous recordons ,
En fa corde les .iij« cordons.
C'eft la Trinité toute entière :
Cil fainz arbres & celé ente ière
365 Enchiés Humilité la fage
Quant Diex priil en li herbrégage.
Lors porta l'ente fleur & fruit
Qui puis leifa enfer deflruit.
Li fueil i font de plifcience ;
370 Sages hom & de grant fcience
Fu cil qui ouvra tel ouvraingne.
La mefon fiet en une plaingne :
Si font les paroiz d'amillié.
192 La Voie be Paradis.
N'i eila pas de la moitié
575 Tant gent com il i foloit eftre ,
Âinz vont le chemin à feneftre;
Poft & chevron & tref enfamble ,
Si com je. cuit & il me famble ,
Sont d'un ouvrangne moult johve
5 80 Si apele on le fuft oUve ;
For ce le fift , je vous afie ,
Que pais &. amor fénefie.
La couverture atout les lates ,
Et li chevron & les chanlates
585 Sont fêtes de bone-aventurc :
S'en eil la mefon plus féure.
En la mefon a .vi. verrières,
lij. par devant &. .ii). derrières ;
Les .ij. en font, fe Diez me gart,
590 D'un œvre, fa non Douz-Regart.
Les .ij. méifmes* font de grâce
Plus luifanz que cyllaus ne glace ;
Les .ij. autres , fi com je croi ,
Sont de Léauté & de Foi^ .
595 Mes ces .ij. font pieça brifij^s
Et fendues &. esfrifiées.
Moult par fuit bêle la mefon
Se il i reperail mes hon.
Mes tel gent i ont-repairié
600 Qui fe font mis en autre airié.
(( Biaus ofle , Larguées , ma nièce ,
I. Ms. 7633 Var, autres.
La Voie DE Paradis. 193
Qui a langui (i longue pièce
. Que je croi bien qu'ele foit morte ^ ,
Verrez à l'entrer de la porte; v
6o5 S'ele puet parler ne véoir,
Si vous fera lez li féoir ;
Quar plus volentiers fé gaimante ,
Sachiez , qu'ele ne riil ne chante.
N'a en Toftel homme ne fsime
610 Qui gart ne Toilel ne la dame^
Fort Gentillece & Cortoifîe ;
Et cil ont mes fi corte vie
Que ne gart Teure que tout mUire.
Qui orroît une befte muire
61 5 S'en auroit-il au cuer méfaife.
Biaus douz olle, ne vous defplaife,
Alez - i , fe;'s réconfortez ,
Quar trop eft li lieus amt>rtez*
Prenez en gré fe pou avez ;
620 Se cefl proverbe ne favez
Je vueil que Vaprenezk mi :
L'en doit penre chiés fon ami
Poi.ou auques, ce (fon i trueve;
Qu'amis eft, au befcùng le trueve.
<625 Mainte gent f en font départi
Qui du leur i ont départi
u L'auteur aurait pu ici affirmer au lieu de croire
seulement, car, selon les poètes du XIII* siècle, l'a-
varice régnait fort à cette époque.
On trouve à ce sujet, dans mon Recueil ^des Fa-
iliaux, une pièce assez remarquable intitulée : De la
^ort Largesce.
RuTiBKUF. n. i3
ig4 La Voie de Paradis.
Çà en arrière une partie.
Or eft la chofe mal partie ,
Quar la mort, qui les biens départ ^
63o Les a départiz d'autre part.
« Hoftes, jà ne vous quier celer,
Làfe foloient ofteler
Empereor & roi & conte
Et cil autre dont Ten Vous conte
635 Qui d'amors ont chançon chanté
Mes Âvarifce a enchanté
Si les chenuz & les ferranz
Et toz les bachelers erranz,
Et chanoines & moines noirs
640 Que toz eft gaftés li manoirs.
L'en foloit por amors amer ,
L'en foloit tréfors entamer,
L'en foloit doner & prometre :
Or ne fen veut nus entremetre.
64S Voirs eft qu' Amors ne vaut mes riens
Amors eft mes de viez mefrien ,
Amors eft mes à mains amère ,
Se la borfe n'eft dame & mère*
Amors eftoit fa chambellaine,
65o Qui n'eftoit foie ne vilaine ,
Larguefce muert & Amors change ,
L'une eft mes trop à l'autre eftrange,.
Quar l'en dit & bien l'ai apris :
c Tant as, tant vaus . & tant te pris. »
655 Débonèretez , qui jadis
La Voie de Paradis. 195
Avoit les oftes .x. & .x.
Et .xix. & .xix.,
N'eft prifîé vaillant .i^ oef ;
Quar bien a .Ix. & .x. anz,
660 Se RusTEBUKS eft voir difanz,
Qu'aie prift à Envie guerre ,
Qui or efl dame de la terre.
Envie, qui plus ot mefnie,
A la querele defrefnie.
665 Si a régné dès lors el règne
Et régnera & encor règne :
James à régner ne fîn'ra ;
Mes fe jamais en la fin r'a
Débonèreté en prifon ,
670 Sans mesfez & fanz mefprifon
Croi je que tenir la voudra :
Ce ne fai je fêle pourra.
Franchife me difl l'autre jor ,
Qui en mefon ert à féjor ,
675 Que Débonèreté n'avoit
Recet, ne homme ne favpit
Qui fe meOaft de fon afère '
Ne"qui point amaft fon repère.
Or a tel honte qu'il ne f ofe
680 Monstrer aus genz por nule chofe ;
Quar, bien favez, c'eft la coufhime
Qu'au-defouz eft chafcuns le plume.
Biaus douz oftes , ce dift Pitiez ,
Gardez onques ne defpifiez
685 Voftre oftelfe quant la verrez ,
496 L'A VcMB DE Paradis.
Mes d'une cbofe m« osées »
Que tels fet fefte & m lri|imt
Qui ne fct^sfqu'à jFiwllî:pi9ilU
€ Oftel-trfwercK.ponrTe'&jgftftej,
690 Qu'il n'a léonc m {gmmmtf^t^*
Bien fai q«e pioii (kurmiuM :
Savez portqoi vomus atipôisie^,
Quar qui a c^Knpaigtnie>ifirif6 ^
Bien fai de vmr que pffùt^pnfe
695 L'aife qu'il a iaiu>cQn|K^gMe ;
Nequedentaiib n'eft «^ loie. -
OHes , dites-U dep^r jsoî
Ne fefmait ne qne ]t mtefaioi,
Quar j« fti bimi^que tpftiMi4ra :
700 Jà nulle rinn necdw^ .vaudra
Fors que l'anipr de JW&i-Cfift :
Ce trovi9iis.D«ms \fwnim «(km- »
Dift Pitiez : « ChanC»s« 1»» £|ii»«,
Qui a efté.fi vaiUant dame,
705 £11 bien près v,oifiiie celui
Qui tant a ai^xeràfi toi,
Qui a non 1>é>bM^i;eté ,
Qui /chièremeot a adMé
Le&eaviaus aux eaviens
710 Et les, maufi aus i^itUcioi»»*
Noftiê oAel verrez M ^cwue;,
Mes mainte ^at f^nràéùicomtfi :
Qu'au fbir i vient , f^en va au 1119JQ ;
La VorE de Paradis. 137
François font «leveaii'RicMiiBifi^
715 Et li ricbr hoimne «ver &ehid&e.
Cil font preuiomme ^ foM itdie;
A cels rast mi Ibs %na «tts>«ol$ :
Li povnsr lKMn< eft li d!roiv Mk.
Et bien finrhiercn irrité'
720 Que fe il aifcne Charité
L'en dira : « Ceft'por (àt iblie
Et pcr^k'gnmt méîknoolitf
Qui li efteurtnée en kteAe; •^
Ice me fet perdre lu fefte
72 5 Et le lofa» que g'î «vote.
Nus n'i veut mes tenir la vmp,
Fors li moine* de Saiïit'-Vlotor* ,
Quar )e vous dî nus ne vit or
Si preude-'gent, c/eft ians dbtrtaace.
73o Ne font ps9 ior DieoB' d» tffr panée
Comme li autre' mdina' Ibac
A oui tca> biens déchiecdi font.
Ce font cil qoî Poflei maindeocnt,.
Ce fout cil qui en kv maia^fienent
I. M. Paulin Piiri^ ineduit d(< Of rfliwc>;0ùi Rute-
beuf fait des compliments aux moines éeiâahit- Vic-
tor, qu'il pourrait bien s'être retiré, vers la fin de
ses jours, dans leur maison^ d'autant plus que, se-
lon lui, le ton gétiéral à^La.Vak'd€ Pm^ ué^ semble
révéler, dan» açn. auteur» « un' mofnr pla^ gÊfiHfi
écrivain du siècle. » J« n'ai ni à blâmer ni à louer
cette conjectpre, mais j^ dois faire observer que ce
n'est qu'une opinion purement personnelle que rien
de positif ne vient appuyer.v
r
198 La Voie de Paradis.
735 Charité & Miféricorde ,
Si com lor oevre me recorde.
Encor raconté li efcriz
Que Charitez c'eft Jhéfu-Criz ,
Bor ce dient maintes & maint
740 Que cil qui en Charité maint
Il maint en Dieu & Diez en lui.
Charitez n'efpargne zlului ,
Por fe (i me merveil moult fort
C'on ne 11 fet autre, confort :
745 Nus n'i va iriez n*a mal aife
Que la mefon tant ne li pkife
Que toute rancune là pert :
Ce poez véoir en apert.
Por ce lo que vous^i ailliez,
750 Que ce voiis eftes traveilliez,
Léonz repofer vous porrez
Et tant eftre com vous voudrez.
Nous voudrions, por vous efbatre,
Por .i, jor vous i fufïiez .iiij.
765 Tant vous verrions volentiers ;
Et bien fâchiez que li fentîers
I fut moult plus batuz jadis
De cels c'or fpnt en paradis.
Prouefce , qui des ciex abonde ,
760 Qui n'cft pas en fervir le monde,
Mes en cel Seignor honorer
Que toz li mons doitaorer,
A dè$ or mes meitier d'aïde ;
> *
La Voie ds Paradis. 199
Quar je vous di que dame Accide,
765 Qu'à toz preudommes.doit puir ,
L'en cuide bien fère fuir.
Moult i a ia des fiens laûez :
L'uns eft bleeiez, l'autre quafles;
Li autres par fa lécherie
770 Efl entrez en Tenfermerie
Por le cors ef batre & déduire ; .
Li autre doutent la froidure ;
A l'autre trop forment renuit
Ce que il veilla l'autre nuit ;
775 Si doute du cors enmaigrir.
* Itels genz fi font enaigrir
Le chant de Dieu & les chançons;
Il aiment miex les efchançons
Et les kex * et les bouteilliers
780 Que les chanters ne les veilliers.
• Je ne vous ofte de la riègle
^ Ne cels d'ordre ne cels du fîècle ;
Tuit ont à bien fère leflîé ,
Et f en fuient col efleflié
785 Tant que la mort lor toit les cors.
Or n'a la dame nul fecors ,
Et ele fî voudroit veillier,
Et jeûner & traveillier,
Et efcouter le Dieu fervife ;
790 Mes orendroit nus ne f avife
t. Qiiex, queux, cuisinier.
200' La Voib de Pauadis.
A fère ce qu'ele eocnmande ,
Quar nus enrefs li ne famande,.
Fors une gent qui eu venue
Qui dient qu'il Tont retenue ;
795 Et Cxi font de fesenfachié^ ,
Et dient que il ont ÙLCtlé
Lof ordre des fez aus apoftres.
Por lor meffex & por les noftres
Dient il bien tout fanz doutance
800 Que il font autel pénitance
Com Diex & fi apoftre firent;
Ce ne iài je fe il empirent
Et fifl feront fi com maint autre
Qui ibloient géfir en ptautre ;
8o5 Or demandent à briez paroks
I^s bons vins& les coûtes moks^
Et ont en leu d' Umîlité
Pris Oii^ueil & Iniquité»
f Abftinence , la fuer Relbn ,
810 Efl prefque feule en lia mefoa
Qui tant eft délitable & bek ;
Si n'eft pas en ordre ruele,
Ainz la porrez yéoir à plain»
Or n'i font mes li dois £ plaia
81 5 De gent comme il foloient eflre :
Or vous vueil dire de fon eftre :
Toz les .vij. jors de la femaine
I. Les Frères-Sacs ou Sachets^ établis par saint
Louis ea 126 £. ( Yoir^Lg Dit des Ordres àe Paris:^
La Vcfîfi DE Paradis. 2<w
Eft vendrediz ou quaranti^iïe
Léenz, cevdUd'iîKr'afevoîr';
820 Et fe n'i piiet! oiv po^is^mir*
Tel chofe tf FM tn WfSkfemUi
Por <$«'éh l'ètt^qu'âfifez'el^ergtie
De biteti' li pfcmdém qui ntiVm^
Qui AbllinIsfneiK VÉlpéist;
B25 Je di qa'tHlà bli^ft t^lf,
Quar ne tu puÂsr-Ie ieii»^ÂA>cf
Mefeii' # bêlé n»^ isMitt' :
MefonfU, ôr eil meibfiete ;'
Goniirrer^* eti fb- chàrpciMi«rs ;
83o Bien fu fes eueirs fins i& entitw^
A la mefonfbnder^ f^pt.
Moult eft li leus de bel afère
Et moult î dure grant tennîne
Cil qui léenz fà vie fîne^
835 I Li preadowme, li ancien
Ont lëenz .i. ^llcien
Qui tanrpareff de franche onne
Qu'il garift fen2 véoir orinc ;
C'eft Die* , qui flfîque fèttoute ,
840 Qui mouît aime la gent fanr dbutè *
Qui repèrent crHiés Aisfttnant)» ,
Quar a20ttl^eii.iû.hele fem^ace.
« Chaffée la nete , la pure ,
Qui fanz^péchîé & iian^ ordure
I. ConfirrerSj prHwVÎQW.
4
ài«l..7»i8^«.7<>33t
sQ^A9TetiRs Al auctnrkes
S^aGordettt quB* c'eft ivéfritfer
I Qvî efV oileu9, de tégier pèche ,
Et al fàme trafaiA' ft trtchie
5 Qui fânz orayrer fil vie fine ,
i. Legrand d'AiH^ «r donné. U9 extrait de cette
pièce^ qui date de 1270 environ et du vivant encore
de Louis IX, dans le tome V des Notices des ma-
nuscrits, page 404. Pkrmi' Its réflexions qui précè-
dent son extrait, ili oti a dtcigé ooiiXTBi saiBitt Louis
quelques-unes qui.nouS' oAt paru lort inljostr^, mais
qui n^étaient peut-être que sévères, à. l'époque où
Legrand d'Aussy écrivait (an VII de la. Rî^pu5Iique ).
Toutefdis nous ne crdyonspafl'qu^on'paiése*, ft* moins
d*étre aveuglé par fes^itdep^rtrv. SDVteohrtAijour-
d'hui que Louis IK^JhI Pu» dessouverains le$,fkis mé^
diocres et même Vun des plus funestes qu'ait eus la
France, PçutF-étre ce prince, eut-il tort, de -«outeoir
aussi vivement quiil le fhr tes ordres* rdi^ux, au
La BatiAille de$ Viçps^ ^tc. ao3
Quar tel vie n'jefi oûe jQae ,
Por ce me viijeil â oevr^e mètre
Si corn je m'en.fai eatremeuie :
C'eft à rimer * ime,«iattre
I o Au leu d'0ttvi;er, à ^ aaa'atiw ,
Quar autre QMvminj^ne «e îCai ftre.^ ;
Or entendez à moaafàre :
Si Qrrezde .1]. ordres. laime$
Que Diex a ^léus^ea .maintes
1 5 Qu'aus vices te ù^M. comhatii,»
Si que vice ibot^batu
Et les vertuz 6)nt^aiucie$ ;
S'orrez c(HOO)eat.els.(Qat haucies ;
EtQommootvilce.iQnt viaincu.
20 Humilité par Xop relcu
A Orgueil a la^torre oii^^-i
détriment 4«s fipfpontioi^t'Mifk .ét^bHos» li^ties que
l'Université^ p«r eze^oplej mais Ae cdLiù Aute (en
admettant qu^il y en ait une à cela) aux assertions
de Legrand d'Aussy, il nous «etnble que la distance
est grande. La piétéiexcnCme ideisàint Louis ëtait re-
levée par d'émin«Q^es -^.uolités, ^t si .nfMU» voyons
aisément en quoi soo r^gAe a été ^glpiûeux ^ur la
France , nous n'apercevons point avec autant de faci-
lité bn quoi il lui a été funeste.
La Batailledes MieeSiOantr^ies fVw1$is^t9X , comme
beaucoup d'autres pièces de RuHsbeul» UO^ satire
contre les Jaçpbias «t Ifls Corddiejs.
1. Ms. 7633. Var. ouvrier.
2. Rutebeuf nous dh, -en efiet, -dans^k pièce inti-
tulée: Le Mariage Rutebeuf, qu'i7 n'est pas ouvriers
des maimu
2o6 La Bataille des Vices
Qui tant eftoit fes anemis.
Larguece i a mis Avârifce ,
Et Débonèretez .i. vifce
2 5 Con apele Ire la vilaine ;
Et Envie , qui partout raine ,
R'eft vaincue par Charité.
De ce dirai la vérité :
Çeft or ce que poi de gent cuide.
3o Proefce r'a vaincue Accide ,*
Et Abflinence Gloutonie
Qui mainte gent avoit honîe
Et mainte richece gallée.
S' orrez comment dame Chaflée ,
35 Qui tant eft fine & nete & pure,
A vaincue dame Luxure.
N'a pas bien ,lx. & x. anz, •
Se RusTEBuÉs eft voir difanz * ,
Que ces .ij. faintes ordres vinrent
40 Qui les fez aus apoftres tindrent ,
Par préefchier, par laborer,
Par Dieu fervir & aorer.
Menor& Frère Prêchéeur,
Qui des âmes font pefchéeur ,
45 Vindrent par volenté devine.
Se di por voir, non pas devine,
S'il ne ftiflent encor venu
Maint grant mal fuffentlavenu
Qui font remez & qui remaingnent
X. 7633. Var. Se bonë gent funt voir dizans.
Contre les Vertus. 207
5o Par les granz biens que il enfeignent.
Por prefchier humilité
Qui eft voie de vérité ,
Por l'eflaucier & por Tenlivre ,
Si comme il truevent en lor livre ,
55 Vindrent ces faintes genz en terre :
Diex les envoia por nousquerre.
Quant il vindrent premièrement
Si vindrent allez humblement :
Du pain quiftrent, tel fu la riègle ,
60 Por ofler les péchiez du (iècle.
S'il vindi^nt chiés povre provoire ,
Tel bien comme il ot , c'eil la voire»
Priftrent en bone paciance
El non de fainte Pénitance ^ :
65 Humilitez efloit petite
Qu'il avoient por aus eflite :
Or efl Humilitez greignor
Que li frère font or feignor
Des rois , des prélas & des contes.
70 Par foi , fi feroit or granz hontes
S'il n'avoient autre viande
Que FEfcripture ne demande ^,
Et ele n'i met riens ne olle
Que ce c'on trueve en chiés fon ofte ',
1. Wayez, dans Z^ Dit des Règles, ur.e critique
semblable.
2. Ms. 7633. Var. commande.
3. Allusion à ces paroles de Jésus-Christ : c Prenez
ce que vous trouverez* »
L
.^08 • La Eataili-ç de* Vices
C'Orguex a^mt JU necréo^ ; ' 'x:
Orguex fen vai, IHeKle^Qiavftfit.,
Et HmaSIitgz 'vient lansunt.;
Et -or îeft ibiftn dffoi^ ^âc ftefaa»
Et bîAiis p«lAt$ ^ beU» ftie»,
Maugné ^laùtc» , ks iaogiMs ;0[«lo& ,
Et lfi,Ri7ST«s«ffiF:lx>]ftt:prM»terfi| :
Qui 4'm\is blafiflicr 6x omftiiittmTS
^:85 Ne vaut 'û mkxc'IUmilifié ' .
Et la /Sainte X^iviaité ^ ^
Soit léue emtûsA pafeis«
C'on lift d^aunafafis ilcifk.laia ^
Et de Paroir an meillor toi *
^o Conques encor hfîtfk 4K£n3à »
Que ce don ieoanift la terre
Où li fol imot iiilie jqufinriie;
Conftantmoble ^^ fb ottamme?
» »
1, Divinité* — Voyez Tezplicatîan de ce mot; â* fa
-fin du Dif des Jacobins.
2. Legrand d'Aussf a miê fcl- cette ftéte : c C«n§^
tantinople, prise par -les «liatîns e& '1304^ avait été
reprise, en i26i,jpar Michel.PaléQlogue*Cee mots^
recouvrement de Cpnstantinqple annoncent donc qfde
c'est postérieurement à l'annAe 126 1 que 'ftutel?eiïf
composa sa satire. D'un autre côté, comme il écrivait
flOMB saillit Louis ec que ce priaoe mourut en' 1270,
il s'ensuit qu'elle parut en 1270, et que, pàt Mmsé-
quent, il se trompe qtiftnd il dit qu^l y Mfmxt ^us de
fixante €t dix om^ ^que les deosK ovdrss étaient iïistf'
tués. L'un est de l'an 121 5 et l'asitse de 'i9i6Ln Par
CoNTR« LES Vertus. 209
Se Sainte Yglife efcommenîe,
^5 Li Frère puéent bien aflaudre,
S'efcommeniez a que faudre.
Por miex Humilité defifendre ,
le.fiùt» le raisonnement de Legrand d'Aussy-eat
juste^ et le vers .de Rutebeuf n'est pas. exact; mais
Legrand d'Aussy avait , pour s'assurer de quelle épo»
que datait \a Bataille des Vices, un moyen bien plus
simple que de chercher chicane â propos de quelques
années à notre poète, car dire qu'il a composé sa
pièce avant 1270^ parce qu'il écrivait sous saint
Louis et que ce prince mourut avant cette époque,
n'est pas un raisonnement fort concluant, .attendu
que notre poôte vécut et écrivit bien au-delà de l'é-
poque précitée. li allait tout simplement, pour ren-
dre cette preuve logique, parcourir la fin de la pièce,
où il est dit que xnaître Chrétien était mort quand
Rutebeuf écrivit sa Bataille. Or Chrétien mourut de
1269a 1270, ce qui précise la date d'une façon inat-
taquable. Mais Legrand d'Aussy (et ce n'est pas un im-
mense tort) ignorait ce que c'était que maiïte Chrétien,
Nous avouons bien nafvement que nous ne le saurions
peut-être pas davantage si notre projet de donner
une édition de Ruteb^f ne nous avait fait étudier
les querelles théc^ogiqueS du XllU siècle. Mais ce que
je pardonnerai moins volontiers au spirituel traducteur
de nos fabliaux, c'est d'avoir mis à la fin de son
analyse la note suivante : • A la suite de la satire de
Rutebeuf, le copiste du manuscrit en a par erreur
inséré une autre qu'il confond avec la première,
quoiqu'elle en soit distincte. Dans celle-ci les Jaco-
bins, à la vérité, sont maltraités comme dans l'au-
tre; mais il s'agit de leur querelle avec l'Université
et avec Guillaume de Saint-Amour, ce fameux cham>
pion qui combattit contre eux avec tant de cott->
RuTBBEUP. II. 14
aïo La Bataille des Vices
S'Orgue?c fe voloit à li i^ndre ,
Ont fondé ,ij . palais li Frère , ^
loo Que foi que doi l'âme mon père ^
S' de avoit léenz à mengicr ^
Ne fire Orgueil ne ion dangier
Nç priferoit vaillant .i. oef ^
Deçà .viLj. mois, non- deçà. ix.
io3 Ainz atendroit bien dès le Bégr
C'on li venift lever le fiége . 1
, . Or parlent, auçmi mefdifo^t
- Qui par le pals vont difant
Que fe Diex avoit le roi pris ^■
I lô Par qui il ont honor &. pri§,
\ Mult feroit la chofe changie ^
Et lor feignorie efbangie ;• «
Et tels lorfet orhèle chièré ' '
,Qui pou auroit lor amor chière ,
rage et si peu 'de succès^ Ce sujet, bien qu'anal^g^ae t
n^ft liea de commun avec ia. Batâkille des Vices Con-.
tre . Us Vertus. Évidemment . JUsgvand d-hvUsy. se
trompe : tout le dernier a^in^ de potre pito en foit
certaipem^nt partie intégrante et n'a point été ajouté
par Iç copiste. Il est iiaém^ tout simple qqe Rutebeuf ,
qui vient ^ la fin de Talinéa précédent ^e parler de
Chrétien, parle au commencement de €^b*ci de
Guillaume de Sainte Amour, collègue du. premier»
et q^i souffrit pour la même cause des per8éctttkm&
énçpre plus grandes,
.ri, Ms.7633, VAR.-oef»
^^f, Q^ pas^^e et celui de la page suivante, où saint
Lpuis est «n(Hnmé comme étant vivant, prouvent
clairement que cette pi^ce a 4técompoaiëè avant 1270.
GONTRB LES VeK/TUS. XI»
1 1 5 Et tets k» bi tenUnt cTtvior
Qui oele fet^foca par «misDc.
Et je refpont à lor pcroiesv
Et di qfufekfant Taincs* Ai -nàm. :
Se lî Roîs^ fe$ enu ams . faumsTus
1 20 Ëtii de fcs bieasrlor aumofrie:
. Bt il on. pc£Kncnc y il font ^ma v
Quar il isBrieT6Qtpas>OQiDbien«
Ne com longnos oe poacduœL
Li fages hom fe:doic lanonsr
123 ^garnir porcaieoie dfa^âiot :
i%r c& YCHts. di. ,. fe Diex m&iîam ,,
Qu'il n'en font détiens àhktfmer.
Se Ten loc £et &mbUnt: dhisur
Il en fevent aucunes chafe :
1 3o Por ce ont il & bieoi lortoact «èofa:^.
Et por cdifontii ce. qu^il ibsti
L'en dit nMuvàs. ûmdemeoii fiNUt ;, '
Por ce font, il lor fondement.
En terre fi parfiindéinent ,»
1 3 3 Quar fil eiWûit demain diétt&
Et li rois Loys fuft feus ^
lî fepenffent bien tout Fatère
Que il auroient mult à fère
Aiiu. qu!iX éuflent porchacié
ii4a> Tel ioéii éomme'. iltont bisffîé' :
I I. Ce passage prouve que La Bataille des Vïces litfi
éciite:9v««it lit mort de- saint Louis , probablârmttit
I peu ém. temps atoxit' son départ pour Tunis , &t pewtt-
être même qu*il était devant cette place. . >
212 La Bataille des Vices
Le bien praingne l'en quant l'en puet,
Con ne le prent pas quant l'en vuet.
Humiliiez eft (1 grant dame
Qu'ele ne crient home ne famé , ;, ,
145 Et li frère qui la maintienent
Tout le roiaume en lor main tienent;
Les fecrez encerchent & quièrent ^ ,
Partout fembatent & fe fièrent :
S'on les lefl entrer es mefons
1 3o II i a .il j. bônes refons :
L'une efl qu'il portent bone bouche,
Et chafcuns doit douter reprouche*,
L'autre c'oh ne fe doit amordre
A vilener nute gent d'ordre ; *
1 55 La tierce fi efl por Tabit ,
Où l'en cuide que Diex abit ,
Et fi fet il , je n'en dont mie
Ou ma penfTée efl m'anémie.
Par ces refons & par mainte autre
160 Font-il aler lance for £siutfe ^
Larguece defor Âvarifce ;
1. Ce passage, qu*on peut rapprocher de plusieurs
autres de Rutebeuf qui contiennent les mêmes repro*
ches, est très-important; il confirme la vérité des
paroles de Guillaume de Saint*Amour lorsqu'il ap*
pelle les Dominicains ^eudo^prœdicatorety otiosos,
pénétrantes domos, thaîamorum regalium suHnlra-
toreSf etc,
2. Voir p<mr cette expression îance sor fÊidrt,
une des notes de la septième strophe du DH M J^
Contre les Vertus. 2i3
' Quar treftoute la char hérice
Au mauves qui les voit venir :
Tart li eft qu'il pu*fle tenir
i65 Chofe qui lor foit bone & bêle ;
Quar il fevent mainte novele.
Si lor fet cil joie & fefte
Por ce qu'il fe doute d'enqùefte ,
Et font tel tenir à preudomme
170 Qui ne foit pas la loi de Ronime. «
Âinfi font large de Taver ,
De tel qu'il devroient laver
Le don qu'il reçoivent de lui.
Li frère ne doutent nului ,
175 Ce puet l'ea bien jurer & dire.
De Débonèrèté & Ire
Orrez le poingneis mortel ;
Mes en l'eilor i ot mort tel ,
Dont domages fu de fa mort.
180 La mort, qui à mordre Tamort
Qui n'efpargne ne blanc né noir,
Mena celui â fon manoir.
Si n'eftoit pas mult anciens ,
Et ot non meftre Crestiens ^
i85^ Meftre eftoit de divinité « ;
' lé Crestiens ou Chrétien , chanoine de Beauvmis^
l'un des collègues de Guillaume de Saint-Amour, et
qilf^^a à Rome avec lui pour la défense du livre des
'fi^Us, mort vers 1270.
2. J'ai dit plus haut qu'on appelait ainsi la théo-
logie.
214 L^ Bataille des Vices
Pou vtfteirmès devin it<é.
Débonèret«t Stètme Ite,
Qui iovent a'meftfer d« mïvt^
Vindreiit , lor gem; toutes -^eKigîes ,
190 L'une des açiiti>es''eftrtttigies ,
Por ite>oit iMnr48t por dréit pendre.
Li mW Jtcdbîn i ^iurent
Por oïr di^t fi comme il dtitenr,
1 95 Et GuiLLAVME de Sftrnt^Amor ^ ;
Quar H «vbîetit fet JsâMmcfc
De (es feitiMms , de Tes parole».
Si mVxft avis ^ue ^sqâ^ftolês ^
Bani icel meftre Gvtlulvu^^
200 D'autruî terre & d^autne tolanmè.
S'il a partout tel avantage* ,
1. AlexanKbe IV fut élu pape en. va54 et mourut
en 1261.
2. L'Univenité fit des quêtes pour subvenir aux
frais de voyage de Guitlaume de Sàiflt-Aniour et de
ses compagnons, <)ui étaient Eudes de Déual, Nico-
las de Bar-su^-Aube et Chrcttiena; aats. le produit
n*en fut probablement pas aaifisaaC:, pnisgiie, plus
tard, Guillaume fut autorisé à retirer, sur les biens
de l'Université, les avances faites, par lui pour ce
pcwAt, tet à nnpnater, m liypothâ(|iMmt de ses
l>iena, k Mmane .de :3!0». livres taumoià^
3m lOn retrouve (£uiie mani&it très^eiaûlè lea mêmes
arguments dans la complainte^ GuiUattwte de Saint.
4. Henri Estîenne, dans son Apologie pour Héro-
Contre iES Vertus. 21S
Baron î ont honte & domage ,
Qu'ainfî n'ont il rien en lor terre
Qui la vérité veut enquerre. *
^o5 Or dient mtilt de bone gent ,
Oui il ne fu ne bel ne gent
Qu'il fuft baniz^ c*on li M tort;
Mes ce fâchent & droit & tort
C'on puet bien trop dire trop de voir ;
210 Bien le poez apercevoir
.Par ceftui qui en fu banis.
Et fî ne fu mie fenis
Li plais, ainz dura par^ grant pièce *;
dote, dit, en parlant de Guillaume de Saint-Amour^
livre I*'^ chapitre XXX:: a II faut noter queceluyquî,
-environ Pan 1260 ne fut que banni , s'il euft été trois
cents ans après, il n'euiî pas eflé quitte à û bon
marché : mais çn Teuil ^Eiit éifputer contre les bour-
rées et les fagots^ auffi bien qu'on a fait à une infinité
d^autres depuis cinquante ans. § Ce n*en fut pas
moins une chose curieuse et que Rutebeuf relève en
plus d'un endroit, que de voir le pape s'arroger le
droit, lui souverain étranger, .^e bannir (comme il le
fit), du royaume de France y des gens qui n'étaient
pas ses sujets. Guillaume de Nangis fait remarquer, en
outre, que le Livre des Périls fut brûlé à i^guani :
a fioH propter haresiam quam continebat^ su quia
montra prœfatos réligiosos ieditionem et scandala
-concitabat, »
1. Ms. 7633. Var. puis.
2. Rutebeuf a parfaitement raison : le souvenir de
cette querelle dura longtems, et Guillaume laissa
après lui une réputation d'éloquence , de courage et
•de fermeté qui lui survécut de beaucoup. Nous en
r
$
V
21.6 La Bataille des Vices, etc»
Quar la cort, qui fet & depièce, .
21 5 N'ut Guillaume de Saiat-Amor, - .
Et par prière & par cremor.
Cil de cort ne fevent qu'il font ,
Quar il font ce qu'autres desfont ^,
Et fi desfent ce qu'ajitres fet ;
220 Ainfi n'auront il }amès fet.
trouvons une preuve dans le Roman de la Rose
« Qai de mendiance vuet vivre
Faire lepuet non autrement,
Se cil de Saint^Amovr folment.
Qui defputer favoit & lire. ,
Et preefchier oefte matire
A Paris arec les devins .... »
Ailleurs, ^ean de Mung dit encore :
« Et je ne men tiroie mie
Se je dévoie perdre la vie
Ou eftre bannis du royaulme
A tort cutn me/ire Guillaume
De Sahtt'Amour qu'Ypocrific
Fift eOilier par grant envie. » '
I. Ms. 7633, Var.
• Cil de cort font bien ce qu'il font, ...
Car il défont ce qu'autre font
*î.
«rpltât
la BfltttUU ïw lêictf cfintvt Im Utrtig:
fa iTedUn» )«1pf>(icmt< et ^'VmUiUi,
<ta ri mtemuaut
•> •• •
Mb». 7615, 7633.
u temps que les cornoîUes braient,
[Qui por la froidure f efmaient
iQui for les cors lor vient errant ,
Qu'eles vont ces noiz enterrant
5 Et f en garniffent por l'iver,
I. Le sens de cette pièce est très-obscur, et d'au*
tant plus difficile à découvrir que Rutebeuf, sans
doute par suite de quelque mésaventure, le dissimule
expfès. Cependant la fin du po€me nous en donne la
clef. Il s'agît évidemment de l'élection, faîte en 1271,
après trois ans de vacance du siège pontifical de Thi*
baud, archidiacre de Liège, sous le nom de Gr^
goire X^ pour succéder à Clément IV. Le poôte n*ose
pas i'expliquer trop clairement; mais toute èa fabu-
lation, dans laquelle on trouve une énergique pein-
ture des abus de la cour de Rome, tend à nous ap-
prendre enfin l'élection du nouveau pape, qu'il dési-
gne galamment sous le nom de Courtois. Pour qu'on
ii8 La L^ecti ôît* .fi*Y:p:ociwsiE
Qu'en terre ibnt'Gstfé 11 T£r
Qtti fcn Hïtrent por l'èflei ^
Si y ont par le chaut eftei ,
Et la froidure f achemine * ,
10 En fe tens & en ce termine
Où Je béu à grant plentei
Bntm tin que lîictRt A\ne>it ^Aàtifèi
La vigne &.fÎQiUei le via^^
Ce foir me jeta fi fovin
1 5 Que ip'iendémi en efl& ^ad ;
Mes éfperîz ne dormi pas ,
Ainfois ch^abna jtouterauit.
Or efcouteiz , ne vos anuit,
Si orroiz qu'il m'avint en fonge
20 Qui puis ne Tu mie mentonge, '
Ce foîr ne fui point efperi^
Ainz cheniina jnes efperiz
Par mainz leu èi par mainz j^ays.
En une grant citei.layz3
«« .t'y trompe (pè&„ il a h^v^ acâsi de i nouft. dire «i^e
l^éiftctioA .fttÎM^^.il .fiepflAs^ imsiédiateineDt ks moHts
4e MoHgieUt c'^est-^à^^dise ks AlpMk* 'Oofiime on les
.désigna soav{eot.daAftJV9fi vieux jxxBan^^dfit^te : ce
^\» prDuw.%u% s'j^t bÂen d'une. <^cak»Âite à la
>ۉtir deJEiome. v
M. Eiit«beuf;a«ri|iontceâd xrhsHèj£fc%^Gmc J^élection
.du>^c4)e ;aouv39au «eut Ueu au mw» ^de-A^tembre,
v.'«#t;nàr^ii» lea Automne^ Batsoa dpnt y. iiit U des-
cription.
, 2, Une f^rax^t «itei %-f , (fogx-BrdkQj^mnp*
Et D'4Jil:iLiTE.I. 249
25 Mt fismhla.que .je mfaceftoie.,
Car tn^ ionoient iafleiz leftote ,
Et c'efk>itgnuitifMièâe.«pTà6.ixo«i0.
Uns pfeudons vînt : û mtabaiuloiie
Son hofteil imr moi hafacvg^er.
3o Qui ne cenbhùt^tiiÂe'foerBicr^
Ainzitt OQvlois êi déboasârfes :
£1 païs n'a àt («il ^eaxjgtïaâaùs ,
Et (i vosidi tsneftotiiiRis^lle
Qu'il n!eftoic mi£*ée k vik
35 Ne:ii-i avi>k£ooor«âd
C'tsne paitiLe de J-fiftct * :
>G1 m'enmcflHL/en ii.maifoa ;
Et (I vos di fC^OA^fufiBBBAis^hom
LaiTeiz ne fîi fi bien venuz :
40 Mor^fui^meiz (kohier tesul!,
Etixonorétt par le prendoume ;
. . £t U m*enquill : « Çammjent .vous nouxne
La < gem >de ^vsoftve ico&iifiuiae <? ;»
— a Sire , fâchiez bien, iians dou tance ,
45 Que hom m'apelle Rufebdef,
Qui éll drs de rude âc de buef. »
— - f RuTËBûBF, biatt «^ dotilziami«,
P.ùifqiie 'Dieux laians vous a mis
Moult fui Jiez de yoflf e .v.enui^
ào Mak&tfe paitok AvûQs vtemie. ^
As 'T^uft^oedi est tKàB^iact.Thiëaiid n^élait. pas Ro-
main; ilianrait Aéidnmolae aie <Lyim« (psis mrchi-
diaonecke Liè^Ci et il ne résidait ùnê k iv&lle létcff-
xielleque depuis api i v mm (dix . mois quand il iit ^u.
220 La Lections d'Ypocrisie
De vos, c'onques osais ne vousvéifines,
Et de voz dis & de voz rimes
Que chacuns déuft conjoïr * ;
Mais ii coars ne*s daingne oTr
55 Pour ce que trop y a de voir.
Par ce poeiz aparfouvoîr
Et par les rimes que vous dites
Qui plus doute Dieu qu*ypocrites ;^ '
Car qui plus ypocrites doute
60 En redoutant vos dis efcoute
Se n'eft en fecreit ou en chambre ;
Et par ce me fouvient & membre
De ceulz qu'à Dieu vindrent de nuiz
Qui redoutoient les anuiz
I. On voit ici que notre poète avait de lui une
certaine opinion, puisqu'il prétend que l'on connais-
sait ses rimes et ses dis jusqu'à Rome. Il a, du reste,
lAanifesté cette opinion en d'autres endroits de ses
œuvres y témoin Le Mariage Rutebeuf^ où il dit :
« L*en fe faine pann! la ville
« De mes merveilles.
« On les doit bien conter aux veilles, etc..»
Je serais, du reste, assex porté à croire que ses en-
nemis même avaient contribué à la lui inspirer.
Ainsi le pape Alexandre IV voulut faire brûler à Pa-
ris, non-seulement le livre des Périls des derniers
temps, mais 'encore a qnelques autres libelles fameux
en iftfamie et détractation des Frères^PrécheUrs ^
ainsi que des rhythmes et chansons. • Il est probable
que certaines pièces de Rutebeuf se trouvèrent a^rr.
prises dans la proscription. Cela put^ à coup sûr,
donner quelque orgueil à notre poète.
Et d'Umilitei. 221
65 De ceulz qui en croix mis Tavoient
Que félons & crueulz favoient ;
Et fi r'a il une autre gent
A cui il n'eil ne biau ne gent
Qu'il lesoent; fes oent il.
70 Cil funt boen qui funt doble oftil ;
Celx refemble U beiaguz * :
De .ij. pars trenche & eitaguz;
Et cil vueient fervir à riègle
Et 3rpocrifie & le ûècle.
75 Si r'a de teilz cui il ne chaut .
S'ypocrite ont ne froit ne chaut,
Ne c'il .ont ne corroz ne ire ;
Cil vos efcoutent bien à dire
La véritei trefloute plainne
80 Qu'il plaidoient de tefte (ainne. >
Ne feroit ci pas li redéimes ^
Des paroles que nos déîmes
Conteiz à petit 4e féjour ;
Ainfinc envoîames le ^ur,
85 Tant qu'il fut tanz de table mètre ,
Car bien fen favoit entremetre
Mes hoftes de parleir à moi
Sans enquerre ne ce ne quoi.
Les mains lavâmes por foupeir :
' 90 Mes bons hofles ne fift fopeir,
t. Ce nom s'est conservé jusqu'à nous : la besaigué
est Un instrument dont se servent les charpentiers.
1. Redéime, dixième du dixième.
'2.%'Ji LA'LeCTIOMS D'YPaCRISIE
Et me fift iiioiir àfa coAk :
Hom puetfaîenûdllir àteilihote;
Et delez moifafiiftik mdra,
Qui xi'eAxnt'viUéne n'amère.
95 NeTos vaeLâiiieloiigiM'i<A>le :
Bien fûnïes fervil à la» tsbk.
Affeiz béôfne» de. ii»i»)âaivs* :
Après mangrer ler.Kitinsi^lavlhMs;
S'alâmes eibacvéttlpraeL
1 00 J'enquis au pneudoiiitt UÀd
Coument xi eUbiti apclëw\
Que ceft no» m me foft ocleic ;
Et il me.dift :* » Jfai non Cortois ^
Mais ne ma prifent ,'u namois-
I o5 La gens: de' cefte régioo ;
Ainz fui en grant confufion ,
Que chaonn d*euk ne monftre ao doi ,
Si que ae iai quefatm dk».
Ma mère t'a noirGortoifiei
1 10 Qui bien eft ipats^eniciMt^teifie,
Et ma famé a non BtlèMChîèise ,
Que forvenane avoienrohièoev
Et li eftrange & li ptà^^i
Quant iLoftoient avivei ;.
1 1 5 Mais cift l-odftnBmr au'<Teinr
Tantoft qiifiUla porentt tenir; .
Qui Bele-Cbière vUet avoir,
H Vachate.de C)ïi,avojr. .
Il li'ainmeot joie a« déd^jti;
•Et Q'UMU«irfijb^ 223^.
1 20 Qui lor dooee j û ha% dédbit ,
Et le;s^fo]Met^}c»id0ponift^ ;.
N'inu poyres-ns'i pafeelaporte
Qui ne puet dofMÎr ÛMiz^potEiictre.
Qui n'a aifetz. k main où mctoB.
1 2 5 N'atende paSiqWiL iai& : cfanose:
Doncfaions li;iicifigat àil» paccl^S.
Ainz f en. cwiait.'&mfQar.paUr,
Que dov vesic ûa fois naizu
« En:G«Aenle:a:ime.cost.;
1 3o Nui kw teil droitoreiw ooartr ^
Corne de: court à lé court cL^ ,.
Car tuielt droit ioantaccninn^
Et droitune^adès i acouite :
Se petite/ ière , or eft pio» couîDe >
i35 Et toijors^Tnais acourtirav
Ce fâché cil qu'à court ira ;
Et teiz fa droiture i achate
Qui n'èw porte chaton ne chafe ;
Si l'a chièrement achaté
140 De fon cors & de Ton cheté,
Et avoir dtoit quant il là vint r
Mais au venir H méfavint ,
Car fa droiture ert en (bn- coffre^ :
Si fu piUierenroi' di cofift^.
145 Sachiez de la court de laienz .
I. Ms. 761 3». Vaiu, cooloFtie.
2> M^ 7613, Nelui por droiture. nU.coct.
3. Ms. 7615. Var, acp&ci.
224 ^^ Lections d*Ypocrisie
Que il n*i a derc ne lai enz,
Se vos volei2 ne plus ne mains ,
Qu'avant ne vos regart au mains
Se vos aveiz vos averoiz ;
1 5o Se vos n'aveiz vos i feroiz
Autant com l'oe feur la glace , ■
Fors tant que vos aureiz efpace
De vos moqueir & éfchamir.
De ce vos vuel je bien garnir,
i55 Car la terre eft de teil menière
Que touz povres ùàt laide chière.
Mains ruungent & vuident borces^
Et faillent qtiant elz font rebourees,
Ne ne vuelent nelui enteddre
160 Cil n'i puéent runger & prendre,
Car de reungier^ mains eu dite
La citeiz qui n'eft pas petite ;
Teiz i va riches & rians
Qui f en vient povres mendianz.
i65 Laiens vendent, je vos afi,
Le patrimoinne au Cruceû
A boens deniers fés ^ &contans.
Si lor eft à pou dou contanz
Et de la perde que cil ait
1 70 Qui puis en a & honte & lait,
I. Il y a ici en note^ de la main de Fauchet, sur la
marge du manuscrit 7613 : Roma-rodans manû.TàMt
ceci, en elfet, est une allusion des plus sévères à la
cour de Rome, et s'accorde très*bien avec le tibleau
que nous en tracent les hiatonens.
* Et d'Ùmilitei. 225
Qui Tachate ainz qu'il foit délivres;
RuTEBUEz dit que cil efl yvres.
Quant il achatè chat en fac ;
S'^vient puis que hon dit : efchac
175 De folie , matei en Tangle,
Que hoii n'a cure de fa j angle.
• ^ ,
€ Avarifce éft de la cort dame , ,
A cui il funt de cors & d'âme ,
Et ele en doit par droit dame eflre ,
180 Qu'il funt eftrait de fon anceftre,
Et ele efl dou mieulz de la vile ;
Ne cuidiez pas que ce foit guile ,
Car ele en efl niée & eftraite ,
Et Covoitifè laTeur faite,
i85 Qui efl fa couzine germainne ;
Par ces .ij. fe conduit & mainne
Toute la cours entièrement. .
Cel compéire trop chièrement
Sainte Églize pan mainte fois ;
190 Et fi em empire la foiz .
Car teiz i va boens Creftiens
Qui fen vient fauz Farifiens.
Quant il m'ot afïèîz racontei
De ces gehx qui sunt fanz bontei ,
19.5' Je démandai qui eft li fîres,
Ce c'eft roiauteiz ou empires ;
* Et il me réfpont fanz defroi :
€ N'i a empéreor ne roi ,
KUTEBEUF. II. l3
%z$ La LectitOns d'Yp^^crisie
Ne feîgneur, qu'il eft tvefpafîeîz;
200 Mais atentlans h a aifeiz
Qui béent à la feignorie : ■'■'i^
Vaine-Gloire, & Hipocrisiev
Et Avarifce & Covoitize
Guident bien avoir Ja juflife ,
2o5 Car la terre remaint fans hoir y
Si la cuide chacuns savoir. ^' ?
c D'autre part eil Humiliteiz ,.
Et Bone-Foiz & Chariteiz,
Et Loiauteiz y cil font à deftre ^
2 lo Qui déuifent eftre li meftre \
Ex cil les Yuelent maStroier
Qui ne ce yuelent otroier ; :
A faire feigneur fe n'eft d'eux,.
Si feroit damages &. deulz ;
2 1 5 Cil f afemblent alTeiz fouvent
Et en chapitre & en couvant ;
AiTeîz dient , mais Jl font pou
Ni à faînt Père ne à làint Pou :
C'eft ce auques de lor afère,
220 Mais orendroit n'en ont que Êiire. »
Je vox lay(nr de lor couvainne
Et enquerre la maître vainne
De lor afaire & de lor eftre ,
Li queiz d'eulz porroit fyts eftre ',;
225 Et vi qu'à cette veftéure
N'auroie pain n'endofiTéure* '-L
Viii. aunes d'un camelin pris ,,
J
Et A^Uiicift^'ririi. adi9^
Brunet & g^ox^ ^'w ponnsprisi,
Dont pas ne fuit à graoti efao^v
23o S'en fis âiire cote^fosDOt .
Et une houee graûl & lar^e
Forrée d'une nomâorgè
Lî forcoz'^ à noio^panne r
Lors ou-ge bien<tnnreit htii
235 Car bien ibsi Mreder jornate v
Si que je refiemUoie benamtf
Celui qui jn'dj^aodeilt diDiors,
Mais autre astotMwmt oa
Ypocrifie me mfot,.
240 Qui trop dufenufitfe défîttv
Car ces fecreis.âc» cat 9hà99s^
Por ce que je ait et» notantes f
Sou touz.&qttaaaqu-eteffieflftit:. ^
Sor ce que vsQ&.onoiztnlQib
245 Ele vont Êdre fon voloir,
Cui qu'en doie-ti cuMrs>dobiv; .
Il ne lor cbâut» naib jqu'ikierrpiiii^,
Qui qu'en ait poios» nstméfaita.
Vins & viandiK$ Tue^.a^rait^v
2 5o S'om les puet tcovetr) pMcr atraitr
Juqu'à refoule' Mftrkâfc^
Et non d'anifttrrelâgiaai;^ .
£t de toutes vertazi atoeth:
S'a en li tant.fid écamctr
255 Qu'il n'efl n'unsifeom qindfimeste^
Qui jamais puiil avoicfa:grice». «
228 La Lections d'Ypocrisib
Ceft li glafons qui ne puét fondre T.
Chacv^ii )or la vodroit confondre
Ce chacun jor pooit revivre.
260 Ours ne lyons , ferpent ne vuyvre
N'ont tant de cruautei encemble
Com ele feule, n^ me cemble.
Ce vous iaveiz raifon entendre,
Ceft li charbons defoz^ la cendre,
265 Qui eft plus chauz que cil qui âame.
Après il vaetque hq^s ne famé
Ne foit oïz ne- entendue,
Ce il ne c'eil à li renduz.
Puis qu*il eft armëiz de* ces armes \
270 Et il puet Ten ploreir ,iji lannes ,
Ou faire cemblant dbu ploreir.. .
Il n'i a fors de l'aorelr :
Guerroier puet Dieu âcle^mondey
Que n'ims n'eft tdz qui li" refponde.
275 Teil avenitage oîit>ypocrite, '
Quam il ont la parole dites
-Que.il: vueient eftrè Cféùs
Et ce c'onquesne fii véu^
Vellent*it.tefmoignier à-vqir. <•
280 Qui porroit teil èuravoir : ^
Conde lui loeir &.pri(îer,.
Il l'en feroii.boen defguifier
Et veftir robe fenz coïeur^
Où \\ n'a iroit , n'autre âoleur ,
285 Large robe, folersforreiz; .
Et d'Umilitei. 229
Et quant il efl bien afeutreiz ,
Si doute autant froit comme chaut,
Ne de povre home né li chaut,
Qu'il cuide avoir Dieu baudément
290 Ou cors tenir tôt chaudement.
'{'ant a Ypocrifie ovrei
Que grant partie a recovrei
En. celé terre dont je vin;
Grant defcretiilre , grant devin
295 Sont à la cour de sa maignie:
Bien eft la choze defreignie ,
Qu'ele avoit à éle(^ion
La greigneur congrégation ,
Et di por voir, non pas devine ,
3oo Se la choze alaft par crutine ,
Qu'ele en portaft la feignerie
Ne n'eftoit pas efpoérie.
Mais Dieux regarda au damage
Qui venift à Tumaîn linage
3o5 S'Ypocrifie à ce venift
Et fe fi grant choze tenift.
Que vous iroie aloignant
Ne mes paroles perloignant ?
Li uns ne pot Tautre foffrir ;
3io Si le priftrent à en tr' offrir.
L'uns à Tautre Cortois mon ofte *.
I. Ceci nous peint bien la discorde qui régnait en-
oSd La Lectiohs d'Ypocrisib, xtc, ' )
Chacuns-te vuet, a'ansAC l'en ofte : ^'
iMKSfifii-Cortoùieâéux, —^
Et jeJoidc )we -effiiiéis.
3iS Sîjnlrfnù&aiiibele pas.
Et riDiitoftpaHeizies pas
Et les mons de Mongieu foDz nots.
Ce ne vos me^-je p>s ^i noi
Qu'il nli Éatt malt de ^paroles
3io Ainz ({ne iCoisoisiult «poftoles.
tre les cardiiMvnc,'paisquenepoa«aiit l'entendre poui
Vé\tctioa, ni£iNC'4pci» iroii aas écouUs depuis la
mort de Clément IV, et n'étant pas d'accord sur le
choix du BUCCCEieur à donner à ce pape, ils furent
obligés deremettre leur pouvoir aui mains dewx d'en-
tre eux. Canx-^ ne s'entendirent guère davantage;
mais, pour ne pas £ure de jaloux, ils finirent, de
guerre lasse, por proclamer Gr^oire X, tnen qn^l
ne fût pas cardinal .
t^ùit i'I^fmcciatc.
€i cammmtt
St Mimi!U )( '^iiiopW*,
Ms. 7218.
^Hil ahi! t>iex, rois de gloire,
JTant vous ai eu en mémoire ,
|Tout ai ddné & defpendu.
Et tout ai aus povres tendu ;
^ Ne m'eft remez vaillant à. fac.
T. Cette pièce a été analysée d'une tnanière
bien incomplète par jLegrand d'Aussy (voyez tome II
de ses Fabliaux, édition Renouard, pages 180 et
suivantes)'; mais, jusqu'à ma première édition , le
texte n^en avait pas été publié. Il le méritait cependant »
car ir constitue l'un de nos premiers essais drama-
tiques.
Voici le^fond du sujet : Théophile qxxî vivait^ d'a-
près BoUandus , vers Tan 5S8, fut, à ce qu'il paraît,
YÎdame {vice dominus; Paul IMacre, dit œcûnomus) ,
de l'église d'Adana en Cilicie. Il acquit^ dans cette
charge, une telle considération, qu'à la mort de son
évoque on voulut PéKre à sa place ; mais soit humi-
lité/ soit défiance de lui-même, il refusa et un autre
fut nommé. A peine ce nouveau supérieur fut-il
232 Le Miracle de Théophile.
Bien m'a dit li évefqiie : « Efchac, »
El m'a rendu maté en l'angle :
Sanz avoir m'a leffié tout fangle.
Or m'eftuet-il morir de fein ,
10 Se je n'envoi ma robe au pain!
promu à Tépiscopat , queThéophile tomba en disgfice
auprès de lui, et se vit retirer ses fonctions. Irrfté:de
rinjustice qu'il éprouvait, Tex-vidame se laissa ^âler
à de mauvaises pensées. Par Tentremise d'un Juif,qtti
avait, disait-on, des relations avec Satan, il rèma
Jésus-Christ et fit un pacte avec le mauvais esprit ,.
à condition que celui-ci l'enrichirait et lui ferait f«R-
dre ses honneurs ; mais à peine eut-il signé celte
convention, qu*il eut horreur de son crime. U se mit
alors à implorer la Sainte -Vierge, pour laquette il
avait toujours eu une grande dévotion, et la pria délai
faire rendre le contrat. Marie, la douce mèreDUHy
comme disent nos anciens poètes, se souvint de son set"
viteur; elle consentit à ce qu'il lui demandait shhttlto-
blement avec tant de repentir, et força le démon ^
rendre à Théophile le pacte qu'ils avaient conclu
ensemble.
Telle est la légende que Rutebeufariméeet^drama»
tisée, et qui a joui durant tout le nçioyen âge de la
plus grande popularité. Écrite d'abord en gr«c par
Eutychien, puis par Siméon le Metaphraste, elle fat
traduite en prose latine par Paul Diacre, niise «a
vers par la fameuse abbesse de GanderaheiKn^Ros*<
witha, au X® siècle, et sur la fin du XI% pàr-on
'écrivain que' les BoUandisles ont cru être Marbode:^
, évéque de Rennes.
Les mentions qui en furent faites par les écrivains
sacrés, tels que saint Damien, saint Bernard], saint
Bonaventure, etc., sont innombrables. Enfin, nos
trouvères ne restèrent point en arrière de la poésk
.Le MiRACLE DE THÉOP'H'iDE. . 233
Etma„ùiefmierqu€!ferai ' . ' '. r^
Ne fai fe Diex les ptefefteira. , -/■]
Diex ! loil ; ^u'en arUrà fer$ l iu^\l
En autre lieu les covi'çat trtr^»,: ' /
1 5 Où jyi me fet l'oreiUe forde. ; i c '^ c .
iâthie; ils célébrèrent à l'envi en la langue d'oi^, comme
les troubadours en langue d'oc, l*hfsfoire de Théophile.
Gauthier deCoinsi-en composa un poérfrea^sez con-
sidérable; le Reclus du Maliens eà paHaîAans son
Miserere; VsLuteur dfi^ Vins d'Ouan, celui. dp la^com-
plflinte d'Engûerrand, évêque de Cambrai; Villon
kii<-même, la citèrent dans leurs poésies. Les arts s*en
emparèrent également. Le^- ymagiers la' taillèrent
dans le bois et sur: l'ivoire des dyptiques; les sculp-
te^jârs sur le marbre et la pierre des cathédrales ,
çojOime à Notre-Dame de Paris où elle est retracée
deux fois. Enfin; en ibSg, un Miracle dé Théophile
fut ioué au Mans sur là place deS' Jacobins. Était-ce
une nourelle comj^Qsitibnr Était-ce i'œiiyre'^de Rute-
bœof, rajeunie et. retouchée? r- Je Tignoref .
, Voici ce que dit' àe ce Miracle. Qe lui laisse le nom
donné par Tauteiir lui-même) VHistoire littéraire de
la- France y volume XX* : « Ce qui donne à l'ouvrage
de Rutebeuf un' prix véritable^ c'est sa forme dra-
matique , car il fut composé pour être . représenté
devant une assemblée nombreuse^ n offre le principal
éHment des pièces de théâtre au moyen-âge, c'est-à-
dire rintervention du del et de l'enfet^dans les des-
tinées d'une créature hUmaine% San^.dou^e le Miracle
de Théophile n'est pas le premier qùvrage draniati-
quede notre littérature; mais il doit compter parmi
les plus anciens d*une date incontestable, puisque
Tauteur était contemporain d'Adam de La Halle, à
<\}g\ Ton doit les Jeux de la Feuillée et de Robin et
a34 Lk Miracle de Théophile.
Qu'il n'a cure de ma faïorde
Et je li referai la moe. t .
Honiz (bit qui de lui fe loe !
N'eii riens c'en por avoir né fece :
20 Ne pris liens Dieu ne fa manacé.
Irai-je me noier ou pendre?
" Je ne m'en puis pas à Dieu prendre»
.Ç'on ne puet a lui avenir. ^
Ha !' qui or le porroit tenir -
aS Et bien batre à la i-etornéé,
Mult auroît fèt bone jornée ; .
Mes il l'eil en û haut leu mis
Por efchiver fes anèmis , .
Con n'i puet trère ne lancier '•
3a Se or pooie à lui lancier,
Etxonvbatre, & efcremiry
. . La chsii H fcroie frémir l
Or eft lafus eîi fon fôlaz ; : ' '
Laz chétis ! & je fui es laz
35 De povreté & de foufrète. c
Oreilbien ma viele frète ,
Or dira l'en que je rafote :
. De ce fera mes la r^ote* , .
Je rfaferai nului véoir :
40 Entre gent ne devrai féoir,
Queretiriftî.monlterrdîtaudoi.
. r Or ne fai-je que fère doi ;
Or m'a bien Diex fervi de guile* .
' . * ■ . . . '
I. Cette plaisanterie n'est-elle pas charmante i
Lb Miracle de Théophils. 233
ici vient Tuiov(mvBs
45 A Salatin , qui parloit
Au diable quant il vo/oif. j
Qu*es-ce? qu'avez-vous, Théophile?
Por le grant Dél quel mautalent.
Vous .a fet eftre fi dolent ?
5o Vous foUîez iî joiant eftre 1
THéoPHiLES parole.
C'on m'apeloit feignor & meftre
De ceft païs , ce fez-tu bien : .
Or ne me laiffe-on nule rien ! -
S'en fui plus dolenz, Salatin,
55 Quar en françois ne en latin
Ne finài oncques de proier
Celui c'or me veut afproier,
Et qui me fet leffîer fi monde
Qu'il ne m'eft remez riens el monde.
60 Or n'eft nule chofe fi fière
Ne de fi diveife manière
Que volentiers ne la féîffe ,
Par tel qu'à m'onor reveniffe.
Li perdres m'eft honte & domages.
Ici parole salatins.
65 Biaus fire , vous dites que fages , ,
Quar qui a apris la richèce ,
Mult i a dolor & deftrèce
235 X-E Miracle de Théophile.
Quant Ten chiet,en autrui dangier
Por fon boîvre. & por fon.mengier ;
70 Trop i coVieiat gros mos oïr.
THÉOPHILES.
C'éft ce qui me fet efbahir ,
Salatin-, biaus très douz amis :
Quant en autrui dangier fui mis
Par pou que li cuers ne m'en criève,
SALATINS.
75 Je fai or bien que mult vous griève
Et mult en eftes entrepris ;
Comme hom qui eft de si grant pris
Mult en eftes mas & penffîs.
THÉOPHILES.
Salatin frère, or eft enfis :
80 Se-tu riens pooies favoir .
Por qoi je péufle r'avoir
M'ônor , ma baillie & ma grâce ,
Il n eft chofe que je n'en face.
SALATINS.
Voudriiez-vous Dieu renoier,
85 Celui que tant folez. proier,
Toz fes fainz & toutes fes fainies?
Et fi devenifïïez mains jointes
Hom à celui qui ce feroit
'\\
Lb Miracle db TfiéopnVLE.^ 237
Qui voftré 'honor votis reiidérok ;
90 Et plus honorez ferîiez,
S'a lui fervir demôriiez ,
Conques jof li^ péuftes eftrè.
Créje^moi , leffiez voftrfe meftre.
Qu'en avez-voùs entalente ?
TlféOf^HlLÇS) .
95 J'en ai trop bone voleritë :
Tout ton plefîr ferôi briefment.
IV-
SAtAi'ï'l^S:
t
Alez-vous-en féurement ;
MaiMgtêz: qu'il: eil puifient avoir
Vous ferai voftre hon<>r x'avoir.
100 Revenez demain aum^tin*.
t
TMJÊOPHILES.,
Volentîers , frère SalatinI ,
Cil Diex que tù croiz & aeures
Te gart', fen ce propos demeure^!
Or/e de/part Théophiles de Saîatin, $ si penffe
que trop a grant cHofe en Dieu rettoier & difi.
• Ha y lazV qae pormi devenir ?
I. U faut remarquer les différents rhythmes du
Jfiràcte '<ie ' 7%éopM7e , d'abord parce qu'ils sont
réeilem^t agréables à l'oreille et à la lectUre; ensuite'
23S Lb MiRACLB DB THéOPHILS»
I o5 Biea.ine doi li €ors ckfieùîr ^ t <
Quant il m'elhiet à ce venir.
Que ferai, las!
Se je reni faiat Nieholas,
Et faist Jehan, & faînt Thomas^
no Et Noftre<-Dame ? • ^
Que fera ma chétive d'âme ?
Ele fera arfe en la flame
D'enfer le noir :
Là la çonvendra remanoir.
ii5 Ci aura trop hideus manoir,
Ce n'eft pas Êible ,
En celé flambe perdurable
N'i a nule gent amiable,-
Ainçois font mal qu*il font déabk\
120 C'eft lor nature; ^ i
Et lor mefons r'eft û obfcure
C'on n'i verra jà foleil luire ,
Ain2 ell uns puis tôt plains d'ordure.
Là irai gié!
123 Bien me feront li dé cbangié , -
Quant por ce que j'aurai mengié
* M'aura Diex iili eftrangié '^ <<
De (a mefon ;
. Et ci a\ira bone re(on :
parce qu'ils 80i|t]devcnj48 1 pu à p«« prjb» le rhythme
des Mystères aux siècles suivants. Qr, on ne -peut
disconvenir qpe ce vers de huit pieds ne 4pnile iu
dialogue une très<grande vivacité incorniue à raleuo-
ddn classique.
Le MlRAÇJL^ i>£ .Th&<>PR!LE. %i^
i3o Si efbahiz ne fu mes liom ^ ^j . .
Com j.e rii^î , voir.
Or dit qu'il me fera r'avoif
Et ma richèoe tu .moa avoiç ; ^ . : ^
Jà nus n'en porra ri^ns &voir :
i35 Je le ferai.
Diez. i^'a. graré, je l' grèverai ;
James jor ne le fervirai : ,
Je li ennui.
Riches ferai fe povres ifut :
140 Se il me het je barrai lui. ,
Preingne fes erres^
Ou il face movoir fes guerres :
Tout a en main & ciel & Utrres;
Je li claim cuite
145 Se Salatins tout ce m'acuite
Qu'il m'a promis.
Ici parole Salatins au déabté 6 difi : /'
Uns Crelliens f eft for molmis
Et je m'en fui mult entremis ,
Quar tuii'es pas mes anemis ;
i5o Os-tu, Sathanz?
Demain vendra £e tu Fatans.
Je li ai promis .iiij. tans :
Aten-le don ,
Qu'il a efté mult grant preudon :
'r55 por ce il a plus riche don,
Met-li ta richèce à bandon.
Ne m*os tu pas?
.»rj
ti4Ô* XîE Miracle de Théophile.
Je te ferai Iplus que le pas
Venif, je cuit,*
160 Et fî vendras encore anûit S '
Car ta demorée me nuit-;
(yiaibéé. ^
Cl conjure Sàlatins le iéabie .
Bagahi a, Lacà, Baehahé ,
Lamac , Cahi , Achabahé ,
i65 Karrelyos,
Lamac, Lamec, Bachalyos,
Cabahagi, Sabalyos,
Baryolas',
Lagozatha . Cabyolas ,
170 Samahac & Famyolas,
Hârrahya.
Or vient. H Déables qui ^ conjuré & dift :
• .* ' . " ■•-•••
Tu as bien dit ce qu'il i a. . - .
Cil qui t'?ipri^ rien n'oublia ;
Mult me travailles.
1. A nuit, cctu^ nuit, haà noctef pour : aujour-
d'hui.
2. La copie de TÀrsenal met ici en note : a Be-
rnons. Ce sont leurs. noms. » Ce* qu'il y .a de sûr,
c'est que c^estlS^ une formule d'invocation, mais en.
quelle langue? Les mots qui la cbmposenjt nef^sont ni
hébreux, ni arabes, ni syriaques. Il est probable
que cet idiome est sorti tout entier du cerveau de
nôtre trouvère. .
Le Miraclb de Théophile. 241
salatins.
lyS Qu'il n^eft pas droiz que tu me failles
Ne que tu encontre moi ailles
Quant je t'apel.
Je te faz bien fuer ta pel.
Veus-tu oïr .i. geu novel?
180 I. clerc avons
De tel gaaing, com nous favons ;
Soventes foiz nous en grevons
Por noflre afêre.
Que loez-vous du clerc à fèré
i85 Qui fe voudra Jà vers çà trère ?
LI DÉABLES,
Comment a- non?
SALATINS.
Théophiles par fon droit non.
Mult a efté de grant renon
En cefte terre.
li déables.
190 J*ai toz jors eu à lui guerre , •
Conques jour ne le poi conquerre.
Puifqu'il fe veut à nous ofFerre , '
Viengne en cel val
Sanz compaignie âc fanz cheval;
igS N'i aura guères dé travail ,
RUTEBEUP. IL 16
142 Le Miracle de Théophile.
1
Ccft près de ci.
Mult aura bien de lui merci
Sathan & li autre nerci ;
Mes n'apiaut mie
200 Jhéfu le fil Sainte Marie .:
Ne li ferions point d'aïe
De ci m'en vois :
Or foiez vers moi plus cortois;
Ne me traveilliez mes des mois , .
2o5 Va,Salatin,
Ne en ébrieu ne en latin.
Or revient Théophiles à Salatin,
Or fuis- je venu trop matin ?
< As-tu riens fet ?
SALATINS.
Je t'ai baili fi bien ton plet
210 Quanques tes fires t'a mesfet
Tamendera ,
Et plus forment t'onorera ,
Et plus grant feignor te fera
Conques ne fus.
2 1 5 Tu n'es or pas fi du refus
• Corn tu feras encor du plus.
Ne t'efmaier :
Va là aval fanz délaier ;
Ne t'i covient pas Dieu proier
2:10 Ne réclamer:
«fe^aia
■a *i *1 -«.
Le Miracle de Théophile. 243
Se tu veus ta befoingne amer.
Tu Tas trop trové à amer,
Qu'il t'a faim ;
Mauvèfement as or failli.
225 Bien t'éuft ore mal bailU
Se ne f aidafle
Va-fen, que ilfatendent; pafle
Grant aléure ;
De Dieu réclamer n'aies cure.
THjéOPHILES.
23o Je m'en vois; Diex ne m'i puet nuire
Ne riens aidier,
Ne je ne puis à lui plaidier.
Ici va Théophile au Déable, Si a trop grant
paor, & H Déables H dift :
Venez avant, passez grant pas;
Gardez que ne refanblez pas
235 Vilain qui va à offerande.
Que vous veut ne que vous demande
Vollre fires? Il eft mult fiers!
THÉOPHILES.
Voire fire l il fu chanceliers ;
Si me cuide chacier pain querre.
340 Or vous vieng proier & requerre
Que vous m'aidiez à cefl befoing.
l^fi.MtftACLB pB ThÂOI^HILE.
.LI DÛJÙBUES.
Requiers-'m- en tu]?
rraéoPHiLBS.
Oïl.
•U DIABLES.
Or joiiig
Tas odôki», ^ ft devitfti méè hon.
Je t'aiderai outre reson.
THÉOPHILES.
245 Vtt 'd iqW je vous fez horttmàge ,
Mes quc'jfe T'aie mbn domage,
Biaus fire, tite <yr-e«i 'lavartt.
£t')ô t» fèfài .i. ^uVam
Que te ferai fi ^rant feignor
25o C'on ne te vît oncques greignor.
Et puifqlie ainfinques avieht ,
Saches de voir quil te coVient
De toi aie lettres pendanz
Bien dîtes & bien entendanz;
255 Quar maintes genz m'en ont forpris
Por ce que lor lettres n'en pris :
Poj; ce les TBCtl avcdf bien tdittts.
TttéOPHILBS.
Le Miracle de THéorRBiL.E. 34^1
Or baille Tkéophiles les lettres} au Déable,
& H Déables H commande à oiumer tùiffi :
Théophile , bîaus douz amis ,
260 Puifque tu t*es en mes mains mis ,
Je te dirai que tu foras.
James povre homme n'ameras :
Se povres hom fôrpris te proie,
Tome r oreille , va ta voie ;
265 S'aucuns envers toifumélie,
Refpan orgueil '4c félonie;
Se pauvres demande à ta porte ,
Si gardes qu'aumofne n'cnportc.
Douçor, humîlitez, pîtiez,
270 Et charitez & amiftiez,
Jeûne fère, pénitance,
Memetent grant duel en la pance;;
Aumt)fne fère & Dieu proiçr,.
Ce me repuet trop anoîer;*
275 Dieu amer & chaflement vivre,
Lors me famblie ferpent de guivre
Me menjue le cuer el ventre.
Quant Ten en là mefôn* Dieu* eirtrc
Por regarder aucun malade ,
280 Lors ai. le cuer fi mpriA fadfc
Qu'il m'oft avi&.qye point tfen fente;
Cil qui fet bien fi me tormente.
Va-fenJ tu feras fénefchaus.:-
Lai les bictns & û fai les maus :
285 Ne juge )à bien en ta vie*,
246 Le Miracle de Théophile.
Que tu feroîesgrant folie
Et fi feroies contre moi.
THÉOPHILES.
Je ferai ce que fère doi*,
Bien eft droiz voflre plefir face
290 Puifque j'en doi r'avoir ma grâce.
Or envoie VÉvefque querre Théophile.
Or toft liève fus , Pince-Guerre ;
Si me va Théophile querre :
Se li renderài fa baillie.
J'avoie fet mult grant folie
295 Quant je tolue 11 avoie,
Que c'eft li mieudres que je voie ,
Ice puis-je bien por voir dire.
Or refpont Pince^Guerre.
Vous dites voir, biaus très douz lire!
Or parole Pince- Guerre à Théophile
& Théophile refpont.
— Qui eft céenz ? — Et vous qui eftea?
3oo — Je. fui tin clers. — Et je fui prellres,
• — Théophile, biau lire chiers^
Le Miracle de Théophile. 2^7
• Or ne foiez vers moi (i fiers :
Mes lires .1. pou vous demaitde ;
Si r'aurez jà voftre provande ,
3o5 Voftre baillie toute entière.
Soiez liez , fêtes bêle chière :
Si ferez & fens & favoir.
THÉOPHILES.
Déable i puiflent part avoir !
J'éufle eue révefchié ,
3 10 Et je ri mis , fi fis péchié.
Quant ili fu foi à lui guerre ;
Si me cuida chacier pain querre.
Tripçt lirot ! por fa haïne
Et par fa tençon qui ne fine.
3 1 5 G'i irai ;^ Tgrrai qu!il dira.
r
PINCE-GUERRE.
Quant il vous verra fi rira ,
Et dira por vous efiaier
Le fift ; or vous reveut paier ,
Et ferez ami com devaiit.
THéOPHILES.
32Q Or difoient ailez fouvant
Li chanoine de moi granz fables ;
Je les rent â toz les déables.
248 -Le Miblaclede THéopHiLc.
, Or Je liève VÉvefque contre Théophiles^â H rent
fa dignité ^ & dift :
Sire, bien puiffiez-vous veàirL
THIÊOPHILES; -
I
\
Si fai-je bien me follenir :
325 Je ne fui pas chéus par voie.
. U ÉVESQUES. .
Biau^ (ire , de ce que j'avoie
Vers vous mefpris je 1* vous ament ,
Et (î vous rent mult bonèrtiênt -
Voflre baillie : or la prenez ,
33o Quar preudom eftes & fehez ,
Et quanques j'ai lî fera voflre.
- THÉCIPHILES.
Ci a mult bone patrenoftre j
Mieudre affez cloaques mes ne dis.
Déformés vendront .x. & .x.
335 Li vilain por moi aorer,
Et je les ferai laborer.
Il ne vaut rien qui Tèn ne daute ;
Cuident-ilje n'i voie goûte?
Je lor ferai fel & iroas.'
. Le Miracle de THÉot^niLE. 249
Ll ÉVESQ'UES.
340 Théophile , OÙ en tendes- VOUS ?
Biaus.amis, penfïez de bien ière.
Vez-vous céenz voftre repère ^
Vez-ci voftre bftel & le mieri :
Noz richèces & noftfe bien
345 . Si ferongr déformés enfanxble ; -
Bon ami ferons , ; ce ipç fai^ifele . : .
Tout fera voftre & to^t.ert mien.
THÉOPHaLKS.
Par foi, .'(ire, je le viièil bien.
Ici va Théophile à /es tompai gnons tencier, pre^
mièrement à A, qui avoii non Pierres.
fiierres I vcîùx-tu oïr novèle ?
35o Or eft tornéçta rouelc,
Or f eft'-il chéu ambes as ,
Or te tien à Ce que tu as ,
Qu'àitia bailiie as-tù failli;
L'évefque m'en a fet bajUi :
355 Si ne t'en fai ne gré ne grâces.
PIERRES refpont. '
*
Théophiles, font-ce manaces ?
Dès ier priai- je mon feignor
Que il vous rendiil voftre honor^
Et bien eftoit droîz ât refons* •
25o I^E Miracle de Théophile. .
THÉOPHILES,
36o Ci ayoit dures faoifons
Quant vous m'aviiez forjugîé.
Maugré voftres or le r'ai-gié :
Oublié aviiez le duel.
PIERRES.
Certes , biaus chers fire , à ôion vuel .
365 Fuffîez-vous évefques eus
Quant noftre ëvefques fu feus ;
Mes vous ne le vouiifles eflre
Tant doutiiez le roi céleftre.
Or.tenèe Théophile à ,i. autre, î
Thomas, Thomas! or te chiet mal,
379 Quant l'en me r'a fet fénefchal;
br leras-tu le regiber,
Et le combattre^^ le riber; f
N'auras pior voifîn de moi.
THOMAS.
Théophile , foi que vous doi ,
375 II femUe que yous foiez yvres.
théophiles.
Or en ferai demain délivres,
Maugrez en ait vollre vifages.
THOMAS.
PdkT Dieu! vous n'efles pas.biea&ges :
Je vous aim tant & tant vous prisj
Le Miracle de Théophile. 2bi
THÉOPHILES.
k) Thomas , Thomas! ne fui pas pris :
Encor porrai nuire & aidier.
THOMAS.
Il famble vous volez plaidier,
Théophile ; lefîîez mè en pais.
THÉOPHILES.
Thomas, Thomas! je que vous fais?
Ib Encor vous plaindrez bien à tens ,
Si com je cuit & com je pens.
Ife repent Théophile & vient à une chapèle
de Nqftre-Dame & difi :
Hé , laz! chétis, dolenz, que porrai devenir ^ ?
Terre, comment me pues porter ne foustenir
Quant j'ai Dieu renoié & celui voil tenir
90 A feignor & à meflre qui toz maiis fet venir ?
Or ai Dieu renoié , ne puet eflre téu ,
Si ai laiflié le bafine , pris me fui au féu.
De moi a pris la chartre & le brief recéti
Maufezj fe li rendrai de m'âme le tréu.
)5 Hé, Diex? que feras-tu de ceil chétis dolent
De qui Tâme en ira en enfer le boillant ,
I Toute cette prière se retrouve, détachée, dans le
Ms. 7^633 , sous le titre : Ci encoumence la Repentance
Théophilus,
252 Le MiaACLE de Théophile.
Et li maufez Tiront à leur piez défoulant?
Ahi terre , quar oçvre fi me va engloutànt ! •
Sire Diex! que fera cift dolenz efbahis
400 Qui de Dieu & du monde efl huez & haïs
Et des maufez d'enfer engigniez & trahis ^
Dont fui-îe de ^riftoz chaciez & envaïs ?
Hé , las ! corn j'ai efté plains de grant non (avoir
Quant j'ai Dieu renoié por .i; petit d'avoir!
405 Les richèces du monde que je voloie lavpir
M'ont geté en tel leu dont ne me {Suis r'avoir.
Sathan , plus dé .vii. anz ai tenu ton fenticr;
Mauschansm'ontfetchanterllvindemonchanj
Mult félonefle rente m'en rendront mi rentier
410 Ma char charpenteront 11 félon charpentier.
Ame doit l'en amer ; m'âme n'ert pas amée : j
N'os demander la Dame qu'ele ne foit dampd
Trop a maie femence en femoifons ^ femée
De qui rame fera en enfer forfemée K
, 4i5 Ha ) las! com fol bailli & com foie baiUiel .
Or fui-je mal baillis & m'âme mal baiUie!
S'or m'ofoie baiUier à la douce baillie ,
G'i feroie bailliez & m'âme jà baillie.
1. Ms. 7633. Var. fta maison.
2. M. 7633. Var. fteursemée.
Le Miracle de Théophile. ^53
Ors fui, &ordoiez doif.aleren ordure ;
20 Ordement ai ouvré, ce £et cil qui or dure
Et qui toz jorS:durra : l'en aurai la mort dure.
Maufez , cotii m'avez mort de mauvèfe morfure !
Or n'ai-je remanance ne en ciel ne en terre.
Ha , las! où efl li liéus qui me puîfTe foufferre?
^25 Enfers ne me pleft pas où je me voil ofFerre ?
Paradis n'eft pas miens quant j'ai au Seignor guerre.
Je n'os Dieu réclamer ne Ces fainz ne fes faintes,
Las ! que j 'ai fet hommage au déable mains jointes.
Li maufez en a lettres de mon anel empraiiftes.
(3o Richèce , mar te vi : j'en aurai dolors maintes.
Je n'os Dieu ne fes faintes ne fes fainz réclamer,
Ne la très douce dame que chafcuns doit amer.
Mes por ce qu'en li n'a félonie n'amer,
Se je li cri merci nus ne m'en doit blafmer.
C'eft la proière que Théophiles dift devant
No/lre-Dame * :
435 Sainte roïne ^ bêle,
Glorieufe pucèle,
Dame de grâce plaine
1. Ces vers se retrouvent dans le Ms, 7633 , sous
le titre : C'est la prière Théophilus,
2. Ms. 7633. Var. Marie.
2^4 . Le Miracle de Théophile.
Par qui toz biens révèle ,
Qu'au befoing vous apèle
44a Délivrez ell de paine,
Qu'à vous fon cuer amaine
Ou pardurable raine
Aura joie novèle,
Aroufable fontaine
445 Et délitable & faine ,
A ton Filz me rapèle l
En voflre douz fervife
Fu jà m'entente mife,
• Mes trop toft fui temptez
450 Par celui qui atife
Le mal & le bien brife.
Sui trop fort enchantez ;
Car me défenchantez ,
Que voftre volentez
455 Efl plaine de franchife.
Ou de grans x>rfentez
Sera mes cors rentez
Devant la fort juftice.
Dame Sainte Marie y
460 Mon corage varie ; ■
Ainfî que il te ferve ,
Ou jamès n'ert tarie
Ma dolors ne garie ,
Ains fera m' âme ferve ;
465 Ci aura dure verve
• Le Miracls db Théophile. 255
S'ainz ique la mort m'énerve
En vous ne fe marie
M'âme qui vous enterve.
Souffrez li cors défefvé ,
470 Uâme ne foit périe.
Dame de charité
Qui par humilité
Portas noftre falu ,
Qui toz nos a geté
475 De duel & de vilté
Et'd'enfeme palu ;
Dame , je te falu !
Ton falu m'a valu
pe r fai de vérité) ,
480 Gar qu'avoec Tentalu
En enfer le jalu
Ne praingne m'érité.
En enfer ert offerte
Dont la porte eft ouverte
485 M'âme par inon outrage :
Ci aura dure perte
Et grant folie aperte
Se là praing herbregage.
Dame, or te faz hommage :
490 Tome ton douz vifage ;
Por ma dure déferte
£1 non ton fîlz le fage
Ne fouffrir que mi gage
256 . Lb MiïiAQLE DB TaéopaiLf.
Voifent à tel povei*te.
495 Si com en la verrière
Entre & rêva arrière
Li folaus que n'entame y
Ainfînc fus virge entière
Quant Diex , qui es ciex ière :
5oo Fifl de toi mère & dame.
Ha! refplendiflknt jame,
Tendre & piteufe famé ,
Quar entent ma proière,
Que mon vil cors & m' âme
5o5 Le pardurable flame
RapelaifTes ^ arrière.
Roïnedébonaire ,
Les iex du cuer m'efclaire
Et Tobfcurté m'esface ,
Sic Si qu'à toi puifle plaire
Et ta volenté faire ,
Car m'en done la grâce ;
Trop ai eu efpace
D'eftre en obfcure trace :
5 1 5 Encor m'i cuident traire
Li ferf de pute eftracé ;
Damé, jàtoi ne place
Qu'il facent le contraire
En vilté , en ordure ,
i, M«, 7633. Va». Fai retorneir*
Le Miracle de Théophile. 267
5 20 En vie trop obfcure
Ai efté lonc termine ,
Roi'ne nete & pure ,
Quar me pren en ta cure
Et (i me médecine.
525 Par ta vertu devine,
Qu'adès eft entérine ,
Fai dedenz mon cuer luire
La clarté pure & fine ,
Et lés iex m'enlumine
53o Que ne m'en voi conduire.
Li proières qui proie
M'a jà mis en fa proie :
Pris ferai & préez ;
Trop afprement m'afproie.
535 Dame, ton chier Filz proie
Que foie defpréez ; .
Dame , car leur véez
Qui mes mesfez véez
Que n'avoié à leur voie.
540 Vous qui lafus féez ,
M'âme leur dévéez
Que nus d'aus ne la voie.
Ici parole Nqftre-Dame à Théophile & dift :
Qui es-tu , va , qui vas par ci ?
— Ha, Dame! aiez de moi merci I
545 Ceft li chétis
Théophile, li entrepris • • ^
RUTIBKUF. II. Ij
aS8 Le Miracle de Théophile,
Que maufé ont loié & pris.
Or vieng proier
A vous , Dame , & merci crier
55o Que ne gart l'eure qu'afproier
Me viengne cil
Qui m'a mis à (i grant efcil.
Tu me tenis jà par ton fil,
Roïne bêle !
NOSTRE-DAME purolc.
555 Je n'ai cure de ta favèle ;
Va-t'en , is fors de ma chapèle.
TKÉo^HiLEs, parole.
Dame, je n'ofe.
Flors d'aiglentier & lis & rofe
En qui li fîlz Dieu fe repofe ,
5 60 Que ferai-gié ?
Malement me fens engagié
Envers le maufé enragié.
Ne fai que fère.
James ne finerai de brère ,
565 Virge, pucèle débonère.
Dame honorée ,
Bien fera m'âme dévorée
Qu'en enfer fera demorrée
Avoec Cahu.
NOSTRE-DAMÊ.
570 Théophile, je t'ai féu
'u
d
Le Miracle de Théophile. zb^
Ça en arrière à moi eu ;
Saches devoir,
Ta chartre te ferai ravoir
Que tu baillas par mon favoir : .
5y5 Je la vois querre.
Ici va Nojïre-Dame prendre la chartre Théophile ^
Sathan, Sathan! es-tu en ferre?
S' es or venuzes en cefte terre
Por commencier à mon clerc guerre ,
Mar le penflas.
5 80 Rent la chartre que du clerc as,
Quar tu as fet trop vilains cas.
SATHAN parole.
Je la vous rande!...
J'aim miex affez que Ten me pende.
Jà li rendi-je fa provande
585 Et il me fifl de lui offrande
Sanz demorance,
De cors & d'âme & de fuftance
NOSTRE-DAME
Et je te foulerai la pance.
Ici aporte Nofire-Dame la chartre à Théophile.
Amis, ta chartre te raport.
590 Arivez fiilfes à mal port
Où il n'a folaz ne déport ;
)
^6o Le Miaaci^s ps THéoPH^m.
A moi eatent :
Va à révefqu^ & plus xx'atent ;
De la chartre U Sàï préient,
595 Et qu'il k life
Devant le pue^le cti, Saiqte Yglife ,
Que bone gent n'en foit forprife
Par tel barate.
Trop aime avqir qui û l'achate;!
600 L'âme ea eft 4i hotnteufe & mate.
Volentiera, Damç,^
Bien fuffe mors de cors & d'âme :
Sa painne pert qui sd^û lame ,
Ce voi-je bien.
Ici vient ThéùpMè â fÉvefytte, & H baille
fa ehartfi' â (Ufi- :
[6o5 Sire , oiez-moi ! Por Dieu merci,
Quoi que jlàiè fet or fût ici.
Par tenz laùroiz
De qoi j'ai mult elle deftroiz :
Povres & nus , & maigres & froiz
610 Fui pai^ dëfaute.
Anemis qui les bons aflaute
Or fet à m*âme geter feute
.:JJommQr?€ft<iicu. ,
La Dame qui tes fimi$î a^^:
61 5 M'a defvoi^ 4c mate voift
Le Miracle de ThéO'phile. "^
Où avoiei:
Eftoîe & fî forvoici
Qu*en enfer fuffe ^îoirvoiels
Parle^éâbte,
620 Que Dieu , le père efpéritable ,
Et toute ouvraingne charitable
Leffier me M.
- Ma chartre en ot de quanqu'il dift ;
Séel^ fil quanqu'il requift :
625 Mult me greva
Par poi li cuers ne me creva.
La Virge la me raporta ,
Qu'à Dieu eft mêrè ,
La qui bonté eft pure & dète.
63o Si vous vueil proier com mon père
Qu'el foit léue,
Qu'autre gent n'en foit decéue
'Qui n'ont encore apercéue ,
Tel tricherie.
Ici lift VÉvefque la ckartré] S dift ;
635 Oiez, por Dieu le fîlz Marie :
Bone gent , û orrez la Vie '
De Théopôilés
Qu'anemis a fervi de guile^
Aufî voir comme eft Évangile
640 Eft cefte chofe :
Si vous doit bien eftre defclofe
Or efcoutez que vous propofe :
ft63 Le Miracle de Théophile.
c A tos cels qui verront cefte lettre commue
«c Fet Sathan à fa voir que jà torna fortune,
645 c Que Théophiles ot à Tévefque rancune,
c Ne li leflà Tévefque feignorie nefune.
c II fu défefpérez quant Ten li fifl l'outrage ;
« A Sal\tin fen vint qui ot el cors la nqgc ,
c Et difl qu'il 11 feroit mult volentiers hommage
65o c Se rendre li pooit fonor & fon'domage. I
c Je le guerroiai tant com mena fainte vie , |
« Conques ne poi avoir defor lui feignorie.
tt Quant il me vint requerre, j'oi de lui grantenyie,
c Et lors me fifl hommage , fi r'ot fa feignorie. I
655 c De Tanel de fon doit féela cefle lettre ;
« De fon fane les efcrifl, autre enque n*i fifl mètre,
<( Ainsque je me voufiffe de lui point entremettre
« Ne que je le féiffe en dignité remettre. •
Iffî ouvra icil preudom. • •
660 Délivré Ta tout à bandon
La Dieu ancele ;
Marie , la Yirge pucele,
Délivré Ta de tel querele :
Chantons tuit por cefle novele.
Or levez fus ;
Difons : Te Deum laudamus !
tfrpltdt le MixacU \>t ^l^tapl^Ur.
i^a Vit SSaxnU Maxxt riCgtptiannej
^u n mcoununre
fa Vie It SSaintt MaxU l^CjUpcitnne V
Mss. 7218, 7633.
E puet venir trop tart à ocvre
Bons ouvriers qui fanzlaffer oevrc,
Quat bons ouvriers, fâchiez, regarde
Quant il vient tart, fe il fe tarde,
5 Et Ten n'i a ne plus ne mains,
I. Aucun passage de ces douze cent quatre-vingt-
dix vers ne peut servir à fixer, d'une manière certaine,
la date de cette pièce; cependant je me range volon*
tiers à l'avis de M. Paulin Paris qui , dans V Histoire
littéraire de la France, s'exprime ainsi à son égard :
« Rutebeuf a mis la pieuse histoire de sainte Marie
l'Égyptienne en yers élégants et faciles : c'est évidem-
ment un travail de sa vieillesse , car l'étude attentive
de ses compositions prouve que plus il acquit d'expé-
rience, moins il se permit les pointes et les pénibles
jeux de mots que nous avons dû si fréquemment lui
reprocher. » _ ,
a64 I-'A Vie
Ainz met en oevre les .ij. mains ,
Et d'ouvrer eft fi couftumiers
Que il ataint toz les premiers. >
D'une ouvrière vous vueil retrère
1 Qui en la fin de fon afère
Ouvra fi bien qu'il i parut,
Que ^ joie li apparut
De paradis à porte ouverte
Por f ouvraingne & por fa déferte. |
i5 D'Egypte fii la Crefliene I
Et avoit non Égypcienne ; ,
Son droit non fi fu de Marie. i
Malade fu , puis fîi garie ;
Malade fu, voire de l'âme,
10 Qu'ainz n'oïfles parler de famé
Qui tant fufl à fâme vilaine ,
Nés Marie la Magdeleine
Foie vie mena & orde :
La Danxe de miféricorde
a5 La rapela, puis vint arrière,
Et fu à Dieu bone & entière.
Cefle dame dont je vous conte
(Ne fai fêle fu fille â conte,
A roi ou à empereor)
3o Corouça mull fon Sauréor.
Quant .xij. ans mult par fu beley
,, Mult i ot gente damoifele,
f Plefant de cors, gente de vis.
Je ne fai que plus vous devis :.
Sainte Marie l'Egiptianne. 265
35 Mult fu bien fête par defors
De quanqu'il apartint au cors;
Mes li cors fu & vains & voles
Et chanjoit à pou de paroles.
A .xij. anz leffa père & mère
40 Por fa vie dure & amère.
Por fa vie en fol us defpandre
Ala d'Egypte en 'Alixandre.
De .iij. manières de péchiez
I fu li liens cors entechiez :
45 Li uns fu de li enjrvrer,
Li autres de fon cors livrer
Du tout en tout à la luxure..
N'i avoit borne ne mefure ;
En geus, en boules & en veilles
5o Entendoit fi qu'à granz merveilles
Devoit à toute gent venir
Conmient ce pooit fouftenir.
Xvij. ans mena tel vie ;
Mes de Tautrui n'avoit envie :
55 Robes, deniers, ne autre avoir
Ne voloit de Tautrui avoir.
Por gaaing tenoit bordelage
Et por proefce tel outrage :
Son tréfor eiloit de mal fêre.
60 Por plus d'amis à li atrère
Se fefoit riche & comble & plaine ;
Es vous fa vie & fon couvaine :
• N'i gardoit ne coulîn ne frère ,
a66 La Vie
Ne refdfoit ne filz ne père.
65 Toute l'autre vilaine vie
Paffoit la feue lécherie.
Ainli corn tefmoingne la lettre ,
Sanz riens ofler & fanz plus mètre ,
Ot la dame ou pais eilé ;
70 Mes or avint en .i. eflé
C'une torbe d'Egypciens ,
De preudommes, bons Creiliens,
Voudrent le fépulcre requerre.
Si fe partirent de lor terre
75 Por aler à Jhérufalem,
Qu'en celé Cefon i va Ten ,
Au mains la gent de la contrée.
Marie a la gent encontrée :
Venue fen eft au paflage.
80 Celé qui Iprs n'efloit pas fage ,
Qui ainfi demenoit fa vie ,
Vit .i. homme lez la navie
Qui atendoit la gent d'Egypte
Que je vous ai ci-devant dite;
85 Lor compains fu : fi vint avant.
Celé il eft venu devant :
Proie Fi a qu'ele li die
De lui & de fa compaignie
Quel part il voudront cheminer.
90- Cil li refpont fans demorer
Por aler là où j'ai conté
Voudroient eftre en mer monté.
Sainte Marie l'Egiptianne. 267
— « Amis , dites-moi une chofe :
Vérîtez eft que je propofe
95 A aler là où vous voudrez.
Ne fai fe vous m'efcondirez
D'ayoec vous en voftre nef eftre. i
— « M'amie , fâchiez que li meftre
Ne r vous porront par droit desfendre
100 Se vous lor avez riens que tendre;
Mes vous oez dire à la gent :
« A Fuis, à l'uis qui n'a argent 1 t
— € Amis, je vousfaz afavoir
Je n'ai argent ne autre avoir ,
io5 Ne chofe dont je puiffe vivre ;
Mes fe léenz mon cors lor livre
Il me foufferront bien atant. t
Ne difl plus , ainçois les atant ;
S'entencion fu toute pure
II A plus ouvrer de la luxure.
Li preudom oï la parole
Ft la penffée de la foie :
Preudom fu , por ce li greva.
La fcdc left , fi fe leva.
1 1 5 Celé ne fu pas efperdue ;
A la nave f en eft venue.
Ij. jovenciàus trbvà au port
Où mener foloit fon déport.
Proie lor qu'en mer la méiffent
120 Por tel convent que il féiflent
Toute leur volenté de H.
a68 La Vie
Celui & celui abeli ,
Qui lor compaignons atendoient
Sor le port où il fefbatoient ;
laS Ne fi font c'un petit tenu
Que lor compaignon font venu ,
Li marinier les voiles tendent ,
En mer f empaignent , plus n'atendent.
L'Égypciene efl mise en mer.
1 3o Or font li mot dur & amer
De raconter fa vie amère ,
Qu'en. la nef ne fii nez de mère ,
S'il fu de li avoir temptez ,
Qu'il n'en féift fes volentez.
i35 Fornicacions , advoltire * ,
Et pis allez que ne fai dire
Fift en la nef ; ce fuft fa fefte.
Por orage ne por tempefle
Ne lefla fon voloir à fère
140 Ne péchié que li péuft plère.
Ne li fouffiffoit lanz plus mie
Des jovenciaus la compagnie,
Des viex & des jones enfamhle ,
Et des chaftes, fi com moi famble ;
145 Se metoit en itèle guife
Qu'ele en avoit à fa devife.
Ce qu'ele efloit fi bêle feme
Fefoit à Dieu perdre niainte âme ,
I. Ms. 7633. Var. avoutîre, adultère»
•^
Sainte Marie l'Egiptianne. aôg
Qu'ele eftoît laz de decevance.
i5o De ce me merveil fanz doutaace
Quant la mer, qui eil nète Si pure ,
Soufifroit fon péchié & fordure ,
Et qu'enfers ne l'aforbiffoit ,
Ou terre , quant de mer ilToit.
i55 Mes Dîex atent , & por atendre
Se.fiitles braz en croîz eilendre ;
Ne veut pas que péchierres muire ,
Ainz convertifle à fa droiture.
Sanz grant anui vindrent au port ;
160 Mult i orent joie & déport.
Grant fefte firent cèle nuit ,
Mes celé où tant ot de déduit,
De geu & de joliveté ,
S'en ala parmi la cité.
i65 Ne fambla pas eflre reclufe :
Partout regarde , partout muse,
Por connoître liqueL font fol .
Ne li covient foaete à col :
Bien fiilikmblant qu'ele eiloit foie ,
1 70 Que par &Qxbtant , que par parole ,
• Car fon abit & ik femblance
Démonflroient fa connoiffance.
S'ele ot fet mal devant alTez
Son melTet ne fu pas paffez.
175 Pis fift que devant fet n'avoit ,
Quar du pis fift qu'ele favoit.
A réglife.f aloit monilrer
ajo La Vis
Por les jovenciaus encontrer,
Et les fivoit jufqu'à la porte ,
i8o Si corn fes aaemis la porte.
Li jors vint de rAcenffion : ;
La gent à grant porcefiion
Aloit aorer la croiz fainte
Qui du fane Jhéfu-Crift fii tainte»
i85 Ceie penila en fon corage
Gel jor leroit fon kborage ,
Et por celui faintifme jor
Seroit de péchier à féjor.
Venue l'en eft en la prefïe
190 Là où èle fu plus efpefle
Por aler la croiz aorer,
Que n'i voloit plus demorer.
Venue en eft jufqu'à l'églifc.
Ele ne pot en nule guife
195 Mètre le pié for le degré ;
Mes tout auffi com de fon gré ,
Et volentiers venift arrière ,
Se trova à la gent première ;
Dont fe refmuet & vient avant ,
200 Mes ne valut ne que devant *.
V ■
I. Après ce Vers, le Ms. 7633 ajoute les quatre ui»
vants :
Par maintes fois lî avenoit
Quant jusqu'à l'églifeVenoit,
Ariers venoit maugré ces dens
Que ne pooit entrer dedeo*. . "
•^'^"'"^'"'^""^- — ■ >^-^^ -.^^..^^^^me^ . _
Sainte Marie l'Egiptianne- ayi
4
La dame voit bien & entent
Que c*eft noient à qu'ele tent :
Corn plus d'entrer léenz f engreffe
Et plus la recule la prefle.
2o5 Or dift la dame à foi-méifme :
« Laffe moi I com petit d'aïfme ,
Corn fol tréu, com fier paiage
Ai rendu Dieu de mon aage \
Onques nul jor Dieu ne fervi,
210 Ainçois ai le cors affervi
A péchier pqr l'âme confondre :
Terre devroit defouz moi fondre.
Biaus doûz Diex , bien voi par tes figncs
Que li mien cors n'eft pas fi dignes
2 1 5 Que il entre en fi digne place ,
Por mon péchié qui fi m'enlace!
Ha, Diexl fire du firmament! '
Quant c*ert au jor du jugement
Que tu jugeras mors & vis^
220 Par mon cors qui eft ors & vils
Sera en enfer m'âme mife
Et mon cors après le juife.
Mon péchié m'ert el front efcriz;
Comment puet ceffer brais ne criz?
»25 Comment puet ceffer plors & lermes >
Laffe ! jà eft petiz li termes :
Li juftes n'ofera mot dire ,
Et cil qui eft en advoltire
Quel part fe porra-il repondre,
a3o Qu'à Dieu ne l'eftuiferefpondre?
272 La Vik
Ainfi fe complaint & démente ,
Et fe claime laffe dolente.
c Laffe! fet-ele,que ferai?
Laffe moi ! comment oferai
a35 Merci crier au Roi de gloire ,
Qui tant ai mis le cors en foire ?
Mes por ce que Diex vint en terre
Non mie por les juftesquerre
Mes por péchéorsapeler,
40 Mon mesfet ne li doi celer. »
Lors garde à l'entrer de l'églife
Une ymage par grant devife
En l'onor de la Dame fête
Par qui ténébror fu dcsfete :
45 Ce fu la glorieufe Dame.
Adonc fe miff la bone famé
A nuz genouz & à nuz coûtes ;
Le payement moille de goûtes
Qui des iex li chiéent aval,
uSo Qui li moillent tout contre val
Le vis & la face vermeille.
Enfi raconte fa merveille
Et fon péchié à celé ymage.
Comme à .i. faint preudomme fage ;
255 En plorant dift : c Virge pucele * ,
I . Les quatorze vers suivants ne se trouvent pas au
Ms. 7633; ils sont reproduits dans le Dit de la famé
et du Soucretain. (Voyez cette pièce, vers vifigt-cin-
quième et suivants. )
^
Sainte Marie l'Kgiptianne. 27^
Qui de Dieu fus mère & ancele., .
Qui portas ton fil & ton père , .
Et tu fus fa fille & (a mère,
Se ta portéure ne fuft*
260 Qui fu mife en la croiz de fuit, . . c *
En enfer fuffons fahz retor; . .
Ci éuft péreilleufe ter.
Dame, qui por ton douz falu
Nous as geté de la paiu
265 D'enfer , qui eft vils & obfcure , '
Virge , pucele nète & pure , . .
Si com la rofe ifl de l'efpine ,
Iflis, glorieufe Rôïnë,
De juerie qui eH poingnanz
270 Ettu es fouef&oingnanz;
Tu es rofe , & ton fils fruis. v .
Enfer fu par ton fruit defirtiis. . ..
Dame , tu amas ton ami ,
Et j'ai amé mon anemi ;
275 Chaftée amas & je luxure : .:
Bien fons de diverfe nature : û» .
Je & tu qui avons .i. non.
Le tien eft.de (i douz renon
Que nus ne l'ot ne fi déduie;
280 Li miens eft plus amer quç. fuie
Nofire Sires ton cors ama; . /,
Bien i pert, que cors & âme a
Mis o foi en fon habitacle.
• Por toi a fet maint biau miracle ,
285 Por toi honore-il toute famé ,
RlTTIBSUF, II. 1 8
c.:
274 ^^ ^^^
Por toi a*il fauve mainte âme,.
. Por toi portière & por toi pottc:,,
Por toi bri^ d'enfer la porte,,
Por toi & por t'umilité ,
ago Por toi , por ta bénignité * , „ .: t £
Se fift ferjanz qui lires ière ;
Por toi eft eftoiie & lumière
A cels qui font en toz^ périls ;
Daigna li tiens gloriex û\z
295 A nous fère ceile bonté, :.t
Et plus affez que n'ai conté.
f Quant ce ot fet li Rois du monde,
Li Rois par qui toz biens habonde ,
Monta es ciex avoee fon père. >
3oo Dame , or te pri que à moi père '
Ce qu'il à péchéors promifi
Quant le Saint-Efpir lor tramift :
Il dift que )à de nul péchié
Dont péchierres fuâ entechié^
3o5 Puis que de ce fe repentift
Et dolor au cueren fentift,
Jà ne les recorderoit puis.
Dame , je qui fui mife el puis
D'enfer par ma grant mefprifon i
3io Getez-moî dé celle prifon.
'■ ^ ^
I. Ms. 7633. Vax.
Por toi, por ta miféricordei
Por toi, Damt, &portacQaiord«, &«.<
^ j
Sainte Marie l'Ëgiptianns. 1^5
Soviegne-vous de ceftt Idffe
Qui de péchier toute autre pdTe. '
Quand vous lez voftre Fîl fertft,
Que vous toute gent jugerez,
3i5 Ne vous souviegne de itte$ fex
Ne des grans péchiez que j'ai fet ;
Mes , li com vous le poez fère ,
Prenez en cure mon afère
Que fanz vous fui efi fort berete ,
3 20 Sanz vous ai perdu la quefde.
Si com c'eft voirs &?je le faî
Et par efpoir & par effai ,
Si aiez-vous de moi merci.
Trop ai le cuer pâle & noirci
3a3 De mes péchiez dont ne fal nomhtft
Se ta douceur ne m'en defcombre. >
Adonc fefl levée Marie ;
Près li Ikmble que fu garie.
Si ala la croiz aorer
33o Que toz 11 mons doit hoitoftr;
Quant ot oï le Dieu fetvMc
Si fefl partie de l'églife.
Devant Tymage eft reventre :
De rechief diil fa convenue ,
333 Comment ele fe contendta.
Si demande que devendra
Ne en quel leu porra gauchir.
Meftier a de Fâme franchir;
Trop a efté à péchier ferv^.
276 La Vik
340 Dès or veut que 11 cors déferve
Par quoi rame n'ait dampnement
Quant c'ert au jor du jugement;
Et difl : a Dame , en pièges vous met.
Et fi vous créant & promet
345 James en péchié n'encharrai.
Entrez-i , je vous en garrai,
Et m'enfeigniez quel part je fuie
Le monde < , qui put & anuie
A cels qui vuelent chafle vivre. »
35o Une voiz oï à délivre ,
Qui li difl : « De ci partiras, .
Auf moufUer Saint-Jehan iras ;
Puis palTeras le flun Jordain ,
Et en pénitance t'enjoin
355 Qu'avant foies confeffe fête
De ce qu'à Dieu t'es fi meffete.
a Quant .tu auras l'eve pafTée ,
Une forefl efpefTe & lée
Delà le fleuve troveras.
36o En celé foreft enterras ;
lluec feras ta pénitance
De tes péchiez , de t'ingnorance ;
Ilueques feniras ta vie ,
Tant qu'aus fainz ciex feras ravie.' »
365 Quant la dame ot la voiz oîe,
Durement en fu efjoïe ; '
I. Ma. 7633. Var. Le siècle.
Sainte Marie l'Egiptianne.
Leva fa main, lî fe feigna,
Ce fîfl que la voîz enfeigna ,
Qu'à Dieu ot le cuer enterin.
370 Lors encontra .i. pèlerin ;
li j. maailles , ce difl Teiloire ,
Li dona por le Roi de gloire.
lij. petiz pains en acheta ;
De cels vefqui , plus n'enporta :
3jS Ce fil toute fa fouflenance
Tant comme el fu en pénîtance.
Au âun Jordain en vint Marie ;
La nuit i prift hcbregerie :
Du mouftier Saint- J ehan fu près.
38o Sor la rive , dont doit après
Paffer le âun à lendemain ,
Menja la moitié d'un fien pain *,
De l'eve but faintefiée ,
Quant béu Tôt , mult en fu liée :
385 De rêve a lavée fa tefte ;
Mult en ûû grant joie & grant fefte.
Laffe fe fent & traveillie ;
N'ot point de couche appareillie,
Ne dras de lin , ne oreiller :
390 A terre Teflut fommeillier.
S'ele dormi ce ne fîi gaires ;
N'ot pas toz jors géu en aires.
Par matin la dame fe liève. ^
Au mouftier vient & ne li griève ;
3^5 Là reçut le cors Jhéfu-Crift ,
77^
^y8 La Vie
Si com Qou^trovons enefcrit.
Quant ek ot recéu le cors
Celui qui d'enfer nous miil fors ,
Lors fe part de Jhérufalem ,
400 Puis f ea entra en .i. chalan \
Le flun paifa, el bois en vint :
Sovçm de celui li fouviiit
Qu'ele avoit mife en oftage
A régli& devant Tymage ;
405 Sovent prie qu'il la garifle ,
Que par cemptement ne guerpiile
Cette vie ^Kifqu'à la mort ;
Quar l'autre l'âme & le cors mort.
Or n'a que .i). pains & demi ;
41 o Meilier eft Dieu ait à ami ;
De ççbne vivra-ele mie ,
Se Diex ne U fet autre aïe.
Parmi le bois fen va la dame ;
Ei% Dnati a mis fon cors & fâme.
4 1 5 Toute j or va , toute j or vient ,
Tant ^ue la nuit venir covient.
En lieu de biau palais de marbre
S'eft couçhie defouz .i. arbre.
, J . petit :iv»n)a de fon pain ,
420 Puis fendormi jufqu'à demain.
Lendemain au chemin fe met
Et du cbeimboer f entremet
Vers oriant la droite voie.
Sainte Marie x.'^Egiptianns. S79
Tant chemina (que vous diroie ?) *
^25 Toute devint el bois fauvage.
Sovent réclaime fon oftage *
Qu'ele ot devant Tymage mis :
Meflier eft Diex li foit amis.
La dame fu en la forefi ;
-43o Mes que de nuit ne prent areft.
Sa robe deront & defpièce :
Chafcuns rains emporte une pièce;
Quar tant ot en fon dos eflé ;
Et par yver & par efté,
435 De pluie , de chaut & de vant ,
Toute eft déroute par devant.
N*i remeil mes coullure entière
Ne par devant ne par derrière.
Si cheveil font par fes épaules ;
440 Lors n'ot talent de mener baules K
A paine déiil ce fuft ele
Qui' réuft véu damoifele ,
Quar ne paroit en li nul fîgne.
Char ot noire com pel de cîgna ;
445 Sa poitrine devint mofiue ,
Tant fu de pluie débatue.
Les braz, les Ions dois & les mains
Avoit plus noirs (& c'ert du mains)
I. Le Ms. 7633 ajoute ces deux vers :
A tout la foif , à tout lâ fin
Et à petit d'yaue & de paim
a. Bauïesi, danses, joyeusetés.
^8o La Vie
Que n'eftoit pois ne arremen^.
4S0 Ses ongles rooingnoit aus denz ;
Ne famble qu'ele ait point de ventre
Por ce que viande n*i entre.
Les pîez avoit crevez defus ,
Defous navrez que ne pot plus.
455 Quant une efpine la poingnoit
En Dieu priant les mains joingncHt :
Celle règle a tant maintenue
Plus de .xl. anz ala nue ;
.Ij. petits pains non guères granz,
460 De cels vefqui par plufors anz y
Le premier an devindrent dur
Com fe fulfent pierres de mur;
Chafcun joren menja Marie,
Mes ce fil petite partie.
465 Si pain font feilli & mengié,
Ne por ce n'a pas eflrangié
Le bois por faute de viande.
Autres délices ne demande
Fors que Terbe du pré mefnue
470 Si com une autre befle mue ;
De Teve bevoit au ruifTel ,
Qù'ele n'avoit point de veflel.
Ne fet à plaindre li péchiez ^
Puis que li cors feil atachiez
475 A fêre lî port pénitance.
D'erbes eftoit fa fouftenance :
Déables tempter la yenoit
I
Sainte Marie l'Egiptianne. 281
Et les fez li ramentevoît
Qu'ele avoit fet en fâ jovente.
480 Li uns après l'autre la tempte :
t Marie , qu'es-tu devenue
Qui en ceft bois es toute nue ?
Léffe le bois & fi t'en is !
Foie fus quant tu i venis * .
485 Tenir le doit à grant folie
Cil qui voit ta mélancolie. 1
La dame entent bien le déable,
Bien fet que c'efl mençonge &. fable»
Tant a apris l'onefte vie
490 Que toute la mauvèfe oublie ;
Ne Ten fovient , ne ne F en chaut
De temptacion ne d'aifaut ,
Quar tant a le bofcage apris,
Et tant de repas i a pris,
495 Et fes pièges qui bien la garde,
Et la viiîte & la regarde,
Qu'ele n'a garde qu'ele en chiée
Ne que déformés li mefchiée.
Toz les .xvij. anz premiers
5oo Fu li déables couflumiers
De li tempter en itel guife ;
Mes quant il voit que petit prife
Son dit, fon amoneilement , ^ . \',i
I. Le manuscrit ajoute :
Bien a* getei ton cors à gafte
Quant cil viz fans pain & fans pafte.
^g2 La Vib
5o5 Son geu & fon efbatement,
Si la le0a; plus ne li nuit ,
Ne Ten fovint, ne la connuit.
Or vous lerai efter la dame
Qui le cors pert por garder Tâme;
5 10 Si vous dirai d'une gent fainte
Qui fefoit pénitance mainte
En réglife de Paleftine;
Eiloit la gent de bone orine.
Entre ces genz ot j. preudomme
5 1 S Que ZoziMAS Teftoire nomme.
Preudom fu & de fainte vie :
N'avoit des richèces envie
Fors d'onefte vie mener,
Et bien i favoit affener ;
520 Quar dès le bercuel commença,
Dès le bercuel , & puis en çà
Jufqu'en la fin de fon eage ,
Jufques mort en prifl le paage.
Uns autres Zozimas eiloit
525 Â ce tens , qui guères n'amoit
Ne Jhéfu^Crift ne fa créance,
Âinz eiloit plains de mefcréance.
Por ce c'on ne doit mentevoir
Homme où il n'a point de favoir,
53o Ne de léauté, ne de foi,
Por ce le lais, de je ii doi.
Gil ZoziMAs li bien créanz ,
Qui onques ne fu recréanz
Sainte Marie l'Egiptiannb. 283
De Di«u fervir entièrement ,
535 Cil trova tout parfètement, *
Règle de moine & toute Tordre
Que de riens n'en fîil à remordre.
La converfacion des frères
Procuroit comme abés & pères ,
540 Et par parole & par ouvraingne ,
Si que la gent de par le raine
Venoient tuit à fa dodrine
En réglife de Paleftîne,
Por aprendre à ehaftement vivre
545 Par les enfeignemens qu'il livre.
L.iij. ans demora
En réglife , & labora
Tel labor com moines labeure :
Ceft Dieu proier à chafcune eure.
55o Un )or en grant elaélion
De cuer en fa relégion
Chéi , & diil en tel manière :
c Je ne fai avant ne arrière
Qui de mordre me péuft reprendre,
555 Ne qui noient m'en péuft aprendre.
Philofophe n'autre homme fage ,
Tant aient apris moniage
N*a-il es defers qui me vaille :
Je fui li grains, il font la paille. »
5 60 ZoLiMAS a ainfi parlé :
Lui loe par lonc & par lé.
Si comt^mptez de vaine gloire ,
Jhéfu-Criz le prift en mémoire.
J. Saint-Efperit lir envoie, ^
565 En haut li dift, fi que il Toie :
c ZûziMAs , mult as èflrivé ,
Et mult as ton cuer fors rivé
Quant tu dis que tu es parfez
Et par paroles & par fez.
570 Voirs eft , ta règle a mult valu;
Mes autre voie eft de ûdu ;
Et fe l'autre voie veus querre ,
Lais ta mefon , is de ta terre ,
Lai Télacion de ton cuer,
575 Qu'ele n'eft preus qu'à geter puer,
Fai aufî com fîft Abraham,
Qui por Dieu foufri maint ahan ,
Qui f enfui en .i. mouftier
Por aprendre le Dieu meftier
58o De joufte le flun Jordain droit :
Et tu fai iffi orendroit. »
— c Biaus fires Diex, dift ZozuiAS,
Gloriex père , tu qui m'as
Par ton efperit vifîté ,
585 Lai-moi fère ta volenté. »
Âdonc ifïî de fa mefon ,
Conques n'i ot autre refon;
Le lieu left où tant ot efté
Et par yver & par efté.
590 Au ftun Jordain tantoft en vint,
Quar le commandement retint
Sainte Maiiie l'Ëgiptianne. 28S
Que Diex'li avoit cominandé.
Droit à réglife qui de Dé
Efloijt iluec fête & fondée
595 Le lâena cil fans demôrée.
Venuz f en eft droit à la porte ,
Si cora Saint-Efperiz le porte. »
Le portier apèle : il refpont,
Que de -noient ne fe repont,
600 Ainz ala querre fon abé ;
Ne l'a efcharni né gabé.
Li abés vient, celui regarde ,
De fourabit f eft bien pris gatdC , . -
Puis fi f eft mis à oroifôji :
6o5 Après orer dift fa refon ;
Dift l'abés : t Dont eftes-vous , frère ? > -
— De Paleftine , biaus douz père,. =:
Por l'âme de moi miex^valoir
Ai mis mon cors en nonchaloir,
610 Por plus d'édificacion . • ^
Vieng en une relegion» »
Et dift Û abés : « Biaus amis, 'i
En povrc lieu vous eftes mis, » '
— € Sire j je vi par plufbrs fignes
61 5 Que eifl lieus eft du mien plus dignes. »
Dift Tabès par humilité :
. « Diç3^ fet voftre fragilité ,
Et il fi vous enfaint à fère
Tel chofe qui U doie plère ;
620 Quar je vous puis bien afier .
Nus ne puet î^iitre édefier ^ * ^
a66 La Vis
S'il méi&nes à lui n'aprent
Les biens , & il ne fe repent
Des maus de qoi il eft temptez ;
6a 5 Quar tels. font les Dieu vcdentez»
c Et puifque la grâce devine
Vous amaine à noftre doctrine y ,
Prenez autel corn nous avons ,
Que miez dire ne vous favons.
63o Puifque Die^ nous a mis enfamble^^
Bien en penifera, ce me famble, .
Et nous Ten leflbn convenir ,
Quar biea fet les fîens fouftenir. ?►
ZoziMAs le preudomme entent ^
635 Qui nefe va mie vantant ^
Les frères vit de mult faint eftre» -
Bien fervanz Dieu le roi céleltre .
En géunes , en pénitances ,
Et en autres granz abilinances;
640 En vigiles, en'faumoier
Ne fi favoient amoier.
N'avoient pas rentes à vivre
Chalcune de centaine livre ,
Ne vendoient pas blé à terme ^ :
I. Le Ms. 7633 ajoute les deux vers suivants r::.
Mult li plout , nmlt li abeli,
Qtf il n'cft prefompcions de li. ■< ^j
a. Rutebeuf , dans une autre de ses pièces, adresse
encore ce reproche au dergé-du XHI* siècle.- j^-i s
.-.T
Sainte Marie l'Egiptiannb. 287
645 II finaiflent miex d'une lehne'
Que d'une mine où d'un feiiier
De forment fil lor fuft meftier.
Quant ZoziMAs vit cefle gent
Qu'à Dieu font li faint & fi gent,
65o Et que de la devine grâce
RefplendilToit toute lor face ,
Et il vit qu'il n'avoient cure
D'avarifce ne de luxure ,
Ainz èrent en leu folitaite
655 Por plus de pénitance faire, •
Mult li fift grant bien , ce fâchiez ;
Quar mult en fîi plus atachiez
A Dieu fervir de bon corage ;
Et bien fe penife. qu'ils font fage
660 Des fecrez à leur créator.
Devant Pafques font lor ator
Dès la Purification ,
Et prenent âbfolucîon .
De lor abé , fi com moi famble ,
665 Et puis f en iffent tuit enfanble
Por fouflfrir & travail & paine
Par les défers la quarentaine.
Li .i. portent pain ou léun * ,
Li autre f en vont tuit géun.
67a Se devient-il n'ont tant d'avoir
Qu'il en puiflent du pain avoir ?
En lieu de potage & de pain
. _> -•
u £éMii> légumes .
%6% La Vie
.' • ► •■-•
Peffent de l'erbe par le plain
Et des racines que il truevent ; .
675 Ainfîne en quareifaie f efprueveat :'
Grâces rendept & fi faumqient ;
Et quant li .i. les autres voient-,
Sanz arefnier & fanz mot dire
t
S'en paffent outre tout atire * \
680 Et àl'iffirde lor. mouftier,
Dient ceft fiaume du fautier : '
t Sire , mes enluminemenz , . ]
Mesf^us & mesfauvemenz, » .
' Et les autres vers de ce fiaume.
685 Ifli vont toute la quarefme.
Nule foiz n'uevrent il la porte
Se n'eft iffi com.Diex aporte .
Aucun moine par aventure ;
Quar li.lieus eft à defmefure •
690 Si fauvages , fi folitaires. '.'■■/
Que trefpaflanz n'i p'afle gaires.
Por ce i mena Diex fon preudommêi
Et bien le perçut, c'eft la fomme,
Que por ce lui amena Diex,
695 Que mult eftoit humbles li lieus.
Quant il partirent de Féglife , -
Qu'el né remainfifl fanz fervîfe , ^
I frère ou .ij. il i leffoient
Et tout àinfînques f en iflbient ,
700 Et lors feftoient clos li huis,
I. Les six vers suivants manquent au M^< 7033,
■B
Saints Marie l'Egiptianne. 389
Que jà ne fuflent ouvert puis.
Devant à la Pafques florie
Qu'amers, en lor herbrégerie
Reperoient de cel bofcage,
705 Et raportoit en fon corage
Son fruit fanz Tun à Tautre dire ;
Quar bien péuffent defconfire
Lor penifée par gloire vaine
Se chafcuns déiil fon couvaine.
710 Avoec els ala Zozimas
Qu'ainz de Dieu fervir ne fu las,
Icil por fon cors fouflenir,
Por Faler & por le venir
Porta aucune garifon ;
71 5 Ici n'ot point de mefprifon.
.1. jor aloit parmi le bois
Ne trova pas voie à fon chois,
Nequedent fi ûfl grant jornée
Et ala tant fanz demorée
720 Que vint entre nonne & midi.
Lors a crié à Dieu merci ,
Ses eures difl de chief en chief ,
Que bien en fot venir à chief ;
Puis fe reprent à cheminer,
725 Et bien vous di fans deviner
Qu'il i cuidoit trover hermites
Por amender par lor mérites.
Iffi chemina les. ij. jors,
Que petiz 11 fu li féjors.
730 N'en trova nus , ii fe demeure ;
RumEUP: II. 19
390 La Vie
A miédi commença feure.
Quant.il ot f oroifon fénic
Si fe torna d'autre partie ,
Et regarda vert orient,
735 .1. ombre vit fonefcient ;
.1. ombre vit d'omme ou de famé,
Mes c'eftoit de la bone dame.
Diex Tavoit iluec amenée.
Ne voloit que plus fiift celée ;
740 Defcouvrir li vout le trélor,
Et bien eftoit refon dès or.
Quant li preudom vit la figure
Vers li fen va grant aléure.
Mult fu cèle de joie plaine
745 Quant ele ot véu forme humaine ,
Nequedent ele fu honteufe.
De fuir ne fa péreceufe :
Mult f enfui ifnèlement ,
Et cil la fuitapertcment,
75o Cui no paroit point de viellèce ,
De f^tintife ne de perèce.
Celui coroit tant à esfors,
Et fî n'efloit-il guères fors,
Sovent Fapele & dift : c Amie ,
755 Por Dieu, quarne me fêtes mie
Corre après vous ne moi lafTer,
Quar foiblesfui, ne pui paiTer.
Je te conjurde Dieu le roi
Que en ton cors metesaroi.
iaesa^^ — ,.. ^^-» — ■..*>
Sainte Marie l'Egiptianne. 291
760 Briefment te conjur par celui
Qui refufer ne fet nului ,
Par qui li tiens cors eft defers
Et fi brullés par ces défers ,
De qui tu le pardon atens ,
765 Que tu m'efcoute & ii m'entens. »
Quant Marie ot parler de Dieu
Por qui ele vint en cel lieu ,
En plorant vers le ciel tendi
Ses mains , & celui atendi ;
770 Mes un ruiffel par maintes fois
Avoit coru par les defroiz :
Si a départi Fun de Tautre.
Cèle qui n'ot lange ne fautre ,
Ne linge n'autre couverture
775 N'ofa pas monftrer fa figure ,
Ainz li dift : f Père Zozimas ,
Por qoi tant enchacié m'as ?
Une famé fui toute nue :
Ci a mult grant defconvenue
780 Gète-moi aucun garnement.
' Si me verras apertement,
Et lors m'orras à toi parler,
Que ne mevueil à toi celer. »
Quant Zozimas nommer Toî,
785 Mult durement fen efjoï,
Nequedent bien fet & entent
Que deû de Dieu omnipotent.
.1. de fes gamemenz li done ,
^9*
790
795
8oo
8o5
8io
8i5
La Vie
Et puis après l'en arefone ,
Et quant Marie fu couverte :
Si a parlé à bouche ouverte :
ff Sire , fet-ele , biaus amis ,
Je vol bien que Diex vous a mis
Ci iluec por parler enfamble.
Je ne fai que de moi te fanble ,
Mes je fui une pécherelTe
Et de m'âme murtriflerefTe.
Por mes péchiez, por mes mesfez ,
Et por les granz maus que j'ai fez
Ving ci fère ma pénitance. »
Quant cil ot fa reconnoifiance
Se li vint à mult grant merveille ,
Mult f en elbahiil & merveille ; *
A fes piez à genouz fe met ,
De li aorer fentremet
Et béneïcon li demande.
Cèle difl : c Droiz eil que j'atande
La voftre par droite refon ,
Quar Êime fui, vous elles hom. »
Li uns merci à l'autre crie
Li béneïcon avant die.
ZoziMAs fe jut en la place ,
L'éve li cort parmi la face :
La dame prie par amor
Bénéilfe-le lanz demor,
Et li prie fanz mefprifon
Por le pueple face orifon.
Celé diil que il li devife
Sainte Marie l'Egiptiannb. agS
En quel point eft or fainte Yglife.
Cil refpont : « Dame, ce me fanble ,
Que mult ont ferme pais enfanble ,
Li prélat & li apoftoles. »
Et cil revient à fes paroles;
Prie li qu'el le bénéiffe.
[5 — « Ne feroit pas droiz je déilTe
Avant de vous, Zozimas, fire :
Preftres eftes, (î devez dire.
Mult ert la riens faintefiée
Qui de ta main fera feigniée.
Diex aime ton prier & prife :
Toute ta vie m'a aprife ;
Quar tu Tas fervi dés enfance.
En lui dois avoir grant fiance ,
Et je r^ai grant fiance en toi.
15 Bénéis-moi, je te le proi. »
-^ € Madame, ce difl Zozimas,
Jà ma béneïçon n'auras
Ne de ci ne lèverai mais ,
Ainz ert paffez avrils & mays
40 For fain , por froit & por foufFrète ,
Devant que tu la m'aies fête, »
Or voit bien & entent Marie
Que por noient le détarie ;
Sanz béneir n'en veut lever,
Que que il li doie grever.
Lors f eft vers Oriant tornée
Et de prier f eft atornée.
^94 La Vis
c Diex , difl-ele , rois débonère,
Toi pri & lo & je V doi fère.
85o Sire, benéoiz foies- tu ,
Et toute la téue vertu !
Sire , noz péchiez nous pardone
Et ton règne nous abandone ,
Si que nous t'i puiffons véir ;
855 Si nous puiffes-tu béneir! »
Adonc i'efl Zozimas levez
Qui de corre fu mult grevez.
Aflez ont parlé ambedui ;
Cil l'efgarde, & ele lui.
860 De rechief li dift : « Douce amie ,
Sainte "^life n'oubliez mie :
Meilier eft qu'il vous en fouviegne ,
Que c'eft or la plus grant befoingneii
La dame commence à orer
865 Et en oraifon demorer, .
Mes cil néant n'en entendi
Des grâces qu'ele à Dieu rendi ;
Mes ce vit-il bien tout fanz doute
Que plus la longor du coûte
870 Fu el levée en Pair amont ,
En Dieu priant demeura mult
Zozimas fu fi efbahiz ;
Qu'il cuida bien eftre trahiz.
Enfantozmez cuida bien eftre :
875 Dieu réclama , le Roi céleflre ,
Et fe treft .i. petit arrière
Quant ele fefoit fa prière.
liai
Sainte Marie l'Egiptiannb. sgS
Ele le prift â apeler :
— f Sire, je ne te quiercéler :
880 Tu cuides que fantofmes foie ,
Mauves efpériz qui te doie
Décevoir , & por ce fea vas.
Non fui, voir, frère Zozimas ;
Ci fui ppr moi efpenéir
885 Se Diex me puilfe bénéir,
£t jufqu'à la mort i ferai ,
Que jamès de ci n'iflerai. >
Lors a levée fa main deilre ,
Si le feigna du Roi céleflre.
890 La croiz li fîfl el front devant ,
Ez le féur comme devant.
De rechief commence à plorçr
Et li prier & aorer , ^
Qu'ele li die fon couvaine,
895 Dont ele eil née & de quel raine;
Et li prie qu'ele li die
Tout fon eilre & toute fa vie*
L'Egypciene li refpont :
f Que diras or fe te defpont
900 Mes ors péchiez, ma mauvèfe oevre?
Ne fai comment les te defcuevre .
Nés li airs feroit ordoiez
Se les avoie defploiez.
Nequedent je le te's dirai ,
9o5 Que jà de mot n'en mentirai. 9
Lors 11 a fa vie contée. . .... I - . .
296 La Vie
Tele comme ele Tôt men^é.
Endementre qu'ele li conte
Pocz ikvoir qu'ele ot grant honte
910 En racontant fes granz péchiez.
De honte li chéi aus piez ,
Et cil qui fes paroles ot
Dieu en mercie & grant joie ot.
« Dame , ce li dîil li preudom
915 Gui Diex a fet fi riche don,
Por qu'es-tu â mes piez chéue?
Ci a mult grant defconvenue.
De toi véoir ne fui pas dignes ;
Diex m'en a bien monilré les fîgnes. »
920 — « Père ZoziBfAS, dift Marie,
Jufqu'â tant que foie fénie
A nului ne me defcouvrir ,
N'a ton abé pas ne 1* ouvrir.
Par toi voudrai eftre celée ,
925 Se Diex m'a à toi demonilrée :
A l'abé Jehan parleras
Ceft meffage li porteras :
De fes oaiUes praingne cure.
Tele i a qui trop f afféure ;
930 De les amender ont meilier.
Or te remetras au fentier.
Saches en l'autre quarantaine
Auras mis â une autre paine ,
N'afouviras pas ton défîr.
935 En ton lit t'eUpura géfir
Sainte Marie l'Egiptianne. 297
Quant li autre f en iront fors ,
Quar trop fera foibles tes cors.
Malades feras durement
La quarantaine entirement.
940 « Quant paflee ert la quarantaine
Et vendra le jor de la çaine
Garis fera ne m'en efmoi.
Lors te pri devenir a moi.
Adonc f en is parmi la porte ;
945 Le cors noflre Seignor m'aporte
En .i. veifel qui mult foitnet;
Le faint fane en .i. autre met.
Por ce que tu Taporteras
Plus près de toi me troveras.
950 Delez le flun habiterai
Pou toi que g'i atenderai.
Iluec ferai communiée ;
Por après ferai déviée.
Ne vi piecà homme que toi.
955 Aler m'en vueil. Prie por moi. •
A ceft mot f eft. de lui partie ,
Et cil fen va autre partie.
Quant li fainz hom aler Ten voit
Il n'a pooir qu'il l'a convoit.
960 A terre f eft agenoiUez
Où ele avoit tenu fes piez :
Por feue amor la terre baife.
Mult li fet grant preu & grant aife.
298 La Vie
• He! Diex, dift-il, gloriex Père
965 Qui de ta fille féis mère.
Aorez , fîre , foies tu !
Monftré m'as fi bêle vertu
De ce que tu m'as enfeignié
Quant defcouvrir le m'as daingnié. »
970 Puis li membra du Dieu meftier.
Si fen repère à fon mouftier
Et fi compaignon enfemant.
Que vous iroie plus rimant?
Li tens pafla; quarefmes vint.
975 Oiez que Zozimas avint.
Malages le prift à grever ;
Malades fu , ne pot lever ;
Sot que voire ert la prophéfie
Qu'il avoit 01 de Marie.
980 Toute la quarantaine entière
Jut Zozimas en tel manière.
A la çaine garis fe fent ,
Que nus maus ne V va apreffent.
Lors prift le cors noftre Seignor
985 Et le faint fane à grant honor.
Por le plefir la dame fère
S'eft departiz de fon repère :
Lentilles , cerres & formant
A pris, puis fen va aitant ,
990 Et tèle fil fa fouftenance
En bon gré & en pénitance.
Au fiun Jordain vint Zozimas ,
Sainte Marie l^Egiptianne.
Mes Marie n'i trova pas.
Crient de la riens que plus coyoite
995 Son péchié ne li ait toloite
Ou que il ait trop demoré.
Des iex a tendrement ploré ,
• Et dift : « Biaus Diex qui me féis ,
Qui le tien fecré me géhis,
1000 Du tréfor que tu m'as ouvert,
Qu'l toute gent eftoit couvert ,
Sire , monftre-moi la merveille
Vers qui nule ne fapareille !
Quant ele à moi parier vendra ,
1 ooS Sire Diex , qui la m'amenra ,
Qu'il n'i a ne nef ne galie ?
Le flun ne pafleroie mie.
Père de toute créature ,
En ce pues-tu bien mètre cure. »
10 10 De l'autre part Marie voit.
Or croi-je que mult la connoit
A avoir devers lui paflée ,
Que Teve eft aflez grant & Ice
Il li crie : « Ma douce amie ,
I oi5 Comment n'i pafTerez-vous mie ? »
Celé ot du preudomme pitié.
Si fe fia eA Tamiflié
De Jhéfu-Crift le roi du monde :
De la main deflre faigna l'onde ,
1020 Puis entré cnz Outre fen pafla ,
Que de noient ne fi laffa
Ne n'i moilla onques la plante,
299
3oo La Vie
Si com l'Efcripture le chante.
Quant li preudom a ce véu ,
1025 Grant joie en a au cuer eu :
Por li aidier vint à rencontre;
Le cors notre Seignor li monflre.
N'oia por li fère feignacle
Quant Diex por li fet tel miracle ;
io3o Et quant de li fu aprochié
Par grant amiilié Ta befié.
c Amis , ce diil i'Égypciene
Qui mult fu bone Creilieae ,
Tu m'as mult bien à gré fervie.
io35 Ma volenté m'as aflouvie
Quant tu m'as aporté celui :
Grant joie doi avoir de lui. »
Madame, dift li fainz hermites,
Cil qui d'enfer nous a fet quites
1040 Et de la grant dolor pefant,
Eft-ci devant toi en préfant.
C'efl cil qui par anoncement
Prift en la Virge aombrement ;
Ceil cil qui nafqui fanz péchié ;
1045 Cefl cil qui foufiri atachié
Son cors en la crois & cloé ;
Ceil cil qui nafqui au noé ;
Ceft cil de qui eft noftre lois ;
Cea cil qui conduiil les .îij. rois
io5o Par autre voie en lor régné
Quant à lui furent amené ;
Ceft cil qui por nous reçut mort ;
Sainte Marie l'Egiptianne. 3oi
C'eft li lires qui la mort mort ,
C'eft cil par qui la mors eft morte
I o55 Et qui d'enfer brifa la porte ;
C'eil li fîres tout fanz doutance
Que Longis feri de la lance ,
Dont il iffî & fane & eve
Qui fes amis nétoie & levé
1060 CeU, cil qui au jor du juife
Fera des péchéors juflife :
Les tiens fera avoec lui eflre ,
Et li autre iront à feneflre. »
— Je le croi bien , ce dift la dame.
io65 En fa main met mon cors & m'âme :
Ceil li fîres qui tout nétoie :
Avoir le vueil quel que je foie. »
Cil li done & èle Tufa.
Le faint fane ne li refuf$i,
1 070 Ainz li dona ; mult en fa liée.
Quant èle fii communiée
Grâces rent à fon Creator
Quant èle a fi bien fon ator ,
Dont difl la dame : c Biaus douz père ,
1075 Toi pri que ta bontez me père :
.XI & .ix. ans t'ai fervi ;
A toi ai mon cors affervi.
Fai de ta fîUe ton voloir ,
Mes que ne t'en doies doloir
1080 Du fiècle voudroie venir
Et voudroie à toi parvenir.
Moult volentîers , biaus très donz lire ,
3o2 La Vie
Qu'à toz mes maus m'as eflé mire.
Moult me pleroit la compaignîe
io85 A ta douce mère Marie. »
Quant èle ot i'oroifon fînée
Vers le preudomme l'eit tornée.
Dift 11 qu'il Ten revoift arrier,
Qu'acompli a fon défirrier.
1090 — € A l'autre an, quant çâ revendras,
Saches morte me troveras
Ou leu où premier me véis ;
Et garde que ne regéhis
Mon fecré tant que me revoies ,
lOgS Et fi vueil encor toutes voies,
Quant Diex nous a ci aflanblé ,
Que tu me dones de ton blé.
Cil a pris de fa garifon ,
Si Ten doiia fanz mefprifon.
1 100 .lij. grainz en a mangié fanz plus
Que n'otcure de feureplus *.
Lors a vers le ciel regardé ;
Si fil ravie de par Dé
Et portée à fon leu premier ,
I io5 Et cil f en retoma arrier.
La dame éfl à fon leu venue :
La très douce dame en falue ,
!• Le Mft. 7633 ajoute ici :
, '^x. anz. ot eftei e] leu gafte
Que n*ot mangié ne pain ne pafte.
iSiii^É— Il I Mil ^'111 iiaiM
SAiNTfi Marie l'Egiptiannb. 3o3
Et lî & fon glorièx fil ,
Et que de li li fovîegne-il.
1 1 10 c Diex , dift-èle, qui me féis
Et en mon cors âme méîs ,
Bien fai que tu m'as eu chière
Quant tu as oï ma prière.
Aler m'en vueil de cefte vie : »
1 1 1 5 Je voi venir ta compaignie ,
Je croi que il vienent por moi ;
M'âme & mon corscommantà toi. »
Lors fefl a la terre eilendue
Si comme ele efloit prefque nue ;
1 1 20 Ses mains croifa for fa poitrine ,
Si fenvelope de fa crine ,
Ses iex a clos avenaument
Et toute fa bouche enfement.
Dedenz la joie perdurable ,
II25 Sanz avoir paor du déable,
Ala Marie avoec Marie.
Li mariz qui là fe marie
N'eA pas mariz à Marîon :
Bien ell fauvez par Marie hom
1 1 3o Qu'a Marie feil mariez
Qu'il n'eil pas aus maris iez.
Povrement fu enfevelie ;
Couverte n'ot c'une partie
De li du drap que Zozimas
II 35 Li dona, qui fu povres dras.
Poi ot le cors acouveté ; "
304 La Vie
Diex ama moult tel povreté ,
Et riche & povre & foible & fort
Sachent font à lor âme tort
1 140 Se richement partent du fîècle y
Quar l'âme n'aime pas tel riègle.
I^ dame jut defus la terre ,
Qu'il n'eft nus qui le cors enterre »
Ne oifel ne autre vermine
1 145 N'i aprocha tout le termine.
De li garder Diex fentremifl,
Si que fa char ainz ne maumiil»
ZoziMAS ne foublia mie
Qui fîi venuz en f abéie ,
1 1 5o Mes d'une rien li griève fort
Et moult en a grant defconfort.
Que il ne fet ne o ne non
A dire comment ele ot non.
Quand cel an fu tout trefpaffé
1 1 55 Si a outre le flun paffé ,'
Par le bois va la dame querre
Quigift encor defus la terre.
Aval & amont la reverche
Si qu'entor li méifmes cerche ;
1 160 Près de li eft, n*il n'en fet mot.
f Que ferai- je , fe Diex ne m'ot
Et il la dame ne m'enfeigne ?
Or ne lai-je que je deviegne !
t Sire Diex, ce dîft li preudom ,
1 165 S'il te pleil done-moi tel don
Sainte Marie l'Egiptianne. 3o5
Que je puidè véoir celi
Qui tant a à toi abeli.
Ne me mouvrai Ton ne m'emporte ,
Se ne la truis ou vive ou morte ;
1 170 Mes fêle fuft vive , je'crôi
Qu'ele venift parler â moi.
Sire , fe'tu de moi as cure ,
Lai^moi fère fa fépulture* »
Quant il ot proie Jhéfu-Crift ,
1175 Si ccvn nous trovons en efcrit ,
En grant clarté , en grant odor ,
Vit celé où tant avoit d'pmor.
De Tun de fes dras fell mis fors,
S'en a envelopé le cors;
1 1 80 Mult tendrement les piez li baife.
Grant douçor il ûiï & grant aife,
Puis Tefgarda de chief en chief :
Si vit .i. efcrit à fon chief
Qui nommoient la creftiene :
1 185 Oeji Marie VÈgypcieneî
Adonc a pris le cors de li ;
Mult humblement l'enfeveli.
Grâces rendi noilre Seignor
Quant il li a fet tele honor.
1 190 Ce le féiil mult e()oîr
S'il éuft por li enfouir
Aucune âme â la foffe fère.
Adonc n'i a demoré guère
Que il vit vienir .i. lyon ;
lUjTtBIOF. IL tO
3o6, La Vie
1 195 Mult en fil efbahiz li hom ;
Mes il vit fi h.umble la belle ,
Sanz (anblant de fère moleile ,
Bien fot que Diex li ot tranfmis.
Puis li a dit : « Biaus douz amis,
laoo Celle famé avoit non Marie ,
Qui mult par fu de fainte vie«
Or tepri que nous Fenterriens,
Si f en pri mult for toute riens ;
Or te pri de la folTe fère. •
iao5 Qui lors la belle debonère
Véill piez en terre fichier
Et à fon mufel afichier ;
De terre gète grant foifon
Et de fablon mult plus c'uns hom.
1210 La folTe fet grant & parfonde
Por celé dame nète & monde.
Quant la folfe fu bien chevée
Li fainz hermites Ta levée
A fes mains par devers la telle ,
la 1 5 Et par les piez le prill la belle.
En la folle Pont-il dui mife
Et bien couverte à grant devife.
Quant la dame fu enfouie
Et la belle f en ell fuie ,
1220 ZozncAS remell lez la dame
(Ne troverez mes tèle lame).
Toz jors volentiers i féill ;
James mouvoir ne fen qu^iû»
j
Sainte Marie l'Egiptianne. 307
Grâces rent au Roi glorieux
1 225 Qui aus fiens n'eft pas oublieus ,
Et dift : c Diex ! bien fai fanz doutance ,
Fols eft qui /en toi n'a fiance.
Bien m'as monftré, biaus très douz fire.
Que nus ne fe doit defconfire
1 23o Tant ait elle péchierres fors ;
Que tes fecors & tes confors
Li eft toz jors appareilliez ,
Puifqu'il fe foit tant traveilliez
Qu'il en ait pénitance fête.
1235 Bien doit à toz eftre retrète
La vie à la benéurée
^ Qui tant fe fift deffigurée.
Déformés , por la feue amor
Etpor la teue, à toi demor';
1240 Ne jà por mal ne por defcorde
Ne vueil defcorder de ta corde. >
En plorant retorna arrière ;
Toute la vie & la manière
Conta au chapitre en couvent
1245 Conques n'en menti par couvent,
Comme il es défers la trova
Et com fa vie li rouva
A raconter de chief en chief ;
Comment il trova^â fon chief
i25o En .i. petit brievet efcrit
Ce qui fon nom bien li defcrit ;
Comment il li vit paffer Tonde
Du flun Jordaingrant & parfonde,
3o8 La Vie
Tout fanz chalant & fanz batel ,
1255 Toutauii com fen .i. chaftel *'
Entraft parmi outre la porte ,
Et comment il la trova morte ;
Comment il l'acommenia ,
Comment ele prophécia
1 260 Qu'il girroit en la quarantaine ;
Comment ele di/l fon couvaine
Qu'il efloit , comment avoit non
Et fil eftoit preftres ou non ;
Comment uns lyons i forvint,
1 265 Qui par devers les piez la tint ;
Comment l'aida à enfouir,
Et puis fi fen prift à fuir. •
Li preudomme oient les paroles
Qui ne font mie de frivoles ;
1 2 70 Les mains joingnent, vers Dieu les tendent,
Et grâces & merciz li rendent.
N'i ot nul n'amendail fa vie
Por le miracle de Marie ;
Et nous tuit nous en amendon
1275 Tant com nous en avons ban don ;
N'atendons pas jufqu'à la mort :
Nous ferions trahi & mort ;
Quar cil fe repent trop à tart
Qui por pendre a nu col la hart.
laSo Or prions tuit à cefte fainte
Qui por Dieu fouffri paine mainte
Qu'ele prit à celui Seignor
: Ma
Qu'en la fin li fift tele honor
Qu'il nous doinll joie perdurable
ia8S Avoec le père efpériiab'e.
Por moi qui ai non Rustebuef ,
Qui efl dit de rude & de buef,
Qui ceftevie ai mife en rime,
Que icefle Dame faintifme
1290 Prit celui cui ete eft amie
Qu'il Rustebuef n'oublie mie.
. . %mtn.
Crpltcit la 10tc JHarte l'Cggpticnt.
fa Vit SSainU ClQ^obeli
^ ci enctrnmence
fa Mit SSainU (Cl^aabrl^
Ms8. 7318, 7633.
IL Sires dîil que l'en aeure :
>« Ne doit mengier qui ne labeure ; i
Mes qui bien porroit laborer,
Et en laborant aourer
5 J héfu , le père efpéritable ,
I. M. de Montalembert a publié en i836 l'Histoire
de sainte Elisabeth de Hongrie, duchesse de Thuringt
<x 207-1231). Ce livre est précédé d'une instruction
où l'auteur développe brillamment toute l'histoire de
la première partiedu XIII«slècle. A la suite de cetteintro-
duction , il donne l'indication des sources historiques
consultées par lui pour la Vie de ^sainte Elisabeth;
elles sont nombreuses. Parmi elles se trouvent deux
poèmes allemands du XIII* et du XV* siècles, l'un exis-
tant aux archives deDarmstadt, l'autre faisait, hélas 1
partie de la bibliothèque de Strasbourg. Nous avons
La Vie Sainte Élysabel. 3ii
A qui loenge eft honorable ,
Le preu feroit de cors &. d'âme.
Or pri la glorieufe Dame ,
La Virge pucèle Marie ,
lo Par qui toute famé efl garie
Qui la veut proier & amer,
Que je puKTe en tel lieu femer
Ma parole & mon dit retrère
Quar autre labor ne fai fère) ^
1 5 Que en bon gré celé le praingne
Por qui j'empraing celle befoingne ,
YsABYAUS, famé au roi Thibaut^,
aussi en France un poème du même temps (Ms. 1862 ,
fonds Saint-Germain ) sur le même sujet. Son auteur,
qui se nomme àlafin de son œuvre^ est frère Robert de
GambHnnuel. J'ai donné ce poôme dans ma première
édition de Rutebeuf. Quant à sainte Elisabeth, voici
quelques détails sur elle. Elle était fille de Gertrude
de Méranie ou d'Andechs. Dès son enfance , elle fut
fiancée au jeune Louis de Thuringe , fils du landgrave
Hermann, et, à peine parvenue kVàgc de raison, elle
>se fit remarquer par sa piété ainsi que par sa charité.
Elle mourut à vingt-quatre ans, en odeur de sainteté,
ctGr^ire IX la fit canoniser en i235. L'une de ses
filles, Gertrude, abbessed'Aldenberg, reçut plus tard
le même honneur de Clément V.
I. Il paraît que Rutebeuf tenait à bien inculquer
cette idée à ses protecteurs, car elle se représente plu-
sieurs fois dans ses poésies. Voyez La Bataille des
vices contre les vertus et Le Mariage Ruftebeuf,
: a. Ceci indique que la Vie de sainte Élysabel a été
composée de i255à 1271, puisque ce fut à la première
de ces époques qu'Isabelle, fille de S. Louis, épousa
3i2 La Viç Sainte Elysarkl.
Que Diex i^ce haitié & haut
En fon règne , avoec fes annis ,
20 Là où fes difciples a mis.
Por li me vueil-je entremetre
De ceile eiloire en rime mètre
Qui eft venue de Hongrie.
Si eft li procès & la vie
«S D'une dame que Jhéfu-Criz
Ama tant (ce dift li efcriz)
Qu'il Tapela à fon fervife :
De li lift-on en Sainte Yglife. .
Elyfabel ot non la dame
3o Qu'à Dieu rend! le cors & l'âme.
Si com r en tient le lis à bel,
Doit l'en tenir Elyfabel
A fainte , à fage & à fenée.
Vers Dieu fe fii 11 aliénée
35 Que toz i fu fes cuers entiers
Thibaut de Navarre, et qu'à la seconde elle mourut
peu de temps après son mari. Si je ne me trompe,
Rutebeuf ne veut pas dire ici que la vie de sainte
Elisabeth lui avait été commandée^ par Isabelle de
Champagne y comme on l'a cru; mais qu'il sait bien
que son travail était destiné à cette princesse. La
preuve s*en trouve à la fin de cette pièce même, où il
avoue, non sans un orgueil mal déguisé, que l'his-
toire de sainte Elisabeth, lui a été commandée par
Érart de Valéry, alors . connétable de Champagne,
qui la lui fit traduire du latin en rimefrançoise, et au*
quel il adresse la prière de la présenter à la reine de
Navarre, afin qu^elle éprouve une grande joie cnten»
tendant lire. »
^■l^fli
La Vie Sainte Elysabel. 3iS
Et fatendue & fes meiliers.
Yfabiaus fu mult gentiz famé.
De.grant lingnage & preude famé,
De ro,is,.d'empereors, de contes,
40 Si com nous raconte li contes.
La renommée de feiloire
Ala à la pape Grigoire.
.Viij. apoiloiles ot à Rome
Devant ceftui , ce eft la fomme ,
45 Qui furent nommé par ceil non.
Preudom fu & de grant renon ,
Et droiz pères en yérité
Et au pueple & à la cité.
I
i
- : Chafcuns de la dame parla
5o Et des miracles que par là
Fefoit, de contrez redrecier,
De fours oïr fols radrecier , .
De malades doner fanté ,
D'autres vertuz à grant plenté.
55 Quant noftre pères l'apoiloles
Ot entendues les paroles
^ Et la fainte vie à celi
Que Dieu & au fiècle abeh ,
Par feremenz le fift enquerre
60 Aux^ranz preudommes de la terre
C'on li mandait par lettres clofes
Le procès & toutes les chofes
Que Ten en la dame favoit,
3i4 La Vie Sainte Élysabel.
Qui fi grant renommée avoit.
65 Li grant preudomme net & pur
S'en alèrent droit à Mapur ^ ,
Là où celte dame repofe,
Por miex enquerre cède chofe.
Si alTamblèrent, ce me famble,
70 Evefque & arcevefque enfamble ,
Et preudomme relégieus
Qui n'eftoient pas envieus
De dire fisible en lieu de voir.
Quanques Ten pot apercevoir
75 De fes miracles & trover
Que l'en pooit par droit prover
Enquiilrent bien icil preudomme ,
Dont je les nons pas ne vous nomme ;
Et ne porquant ifnelement
80 Se il ne fulfent Alemant
Les nommailTe , mes ce feroit
Tens perduz qui les nommeroit :
Pluftoft les nommaifle & ainçoîs
Se ce fuit langages françois ;
85 Mes n'ai meltier de dire fable :
Preudhomme furent & créable.
Les preudes genz firent éfcrire
En parchemin & clorre en cire
Quanqu'il porent apercevoir,
I. Marbourg.
La Vie Sainte Élysabsl. 3i5
90 Sanz affembler mençonge à voir.
Li meffagier furent mandé ;
Oncques n'i ot contreinandé.
Âifamblant foi ; ailkinblé furent.
Enfamble , ce me lamble, murent ,
95 Lor befoingnes bien atorhées ;
Tant alèrent par lor jornées ,
La voie plaine & la perroufe.
La pape truèvent à Perroufe.
Toft fuft la novèle feue ;
100 La piétaille f efl efméue :
Chafcuns vi^nt , chafcuns i acort.
Li meflagier vindrent à cort ;
L*apofloile baillent Tefcrit
Là où li fet furent defcrit
io5 D'Él)rfabel la dame fage :
Mult furent joï li meflage.
L'apoftoiles les^lettres œvre
Là où li procès & li œvre
De celé dame fu defcrite
1 10 Qui fi fu de très grant mérite.
Cil iains preudom la lettre lut :
Li lires mult li abelut.
- Mult prife la dame & honeure ;
Por la dame de pitié pleure
II 5 Et de la grant joie enfemant.
Que vous iroie plus rimant ?
Saintefiée fu & fainte ;
Puis flfl-ele miracle mainte ,
3i6 La Vie Sainte ÉlysâbeL.
Que vous m'orrez retraire & dire :
1 20 Dès or commence le matire.
Ce fti doné à la Parrouffe
Por la dame relegioufe
De bone converfacion ,
En Tan de Tincarnacion
laS .M. & .ce. & .iiij. & .xxx.,
Si com Tefcripture le chante.
Por noient vit qui ne f avoie :
Qui ne veut tenir bone voie
Toft eft de vole defvoiez :
i3o Por ce vous pri que vous voiez
La vanité de cette vie
Où tant a rancune & envie.
Cil qui tout voit nous ravoia
Qui de paradis la voie a
1 33 Batue por nous avoier ;
Véez , provoft ; véez , voier ;
Voie chafcuns, voie chafcune :
Or ni a-il voie que une ,
Quar l'autre voie avoiera ;
140 Fols ert qui le convoiera :
N'i fu par la dame avoié
Qui des angles fu convoie
Lafus en paradis céleftre ,
Quant du ftècle déguerpi Peftre , -
145 Que fainte vie & nète & monde
Ot menée la dame el monde.
Au roi de Hongrie lii fille.
La Vie Sainte Élysabel. 3i7
Sa vie , qui pas ne l'avilie ,
Difl que dame fu de Teringe.
1 5o Aflez fovent le(& le linge
Et n frotta le dos au lange.
Du fîècle fîi alTez eflrange :
A Dieu fervir vout fon cuer mètre ,
Quar ; fi com tefmoigne la lettre ,
i55 Vertuz planta dedenz fon cuer : ,
Aus œvres parut par defuer,
Toz vifces de fa vie ofla :
De Dieu fofte qui tel ofte a ;
Ne puet amer Dieu par amors.
i6o Efcolefu de bones mors,
Examples fu de pénitance
Et droiz mireors d'ingnorance ,
Si com briefment m'orrez retrère ,
Mes qu*il ne vous doie déplère.
i65 Si honefte vie mena
Tant comme en cefl fîècle régna,
Dès qu'eie n'avoit que .v. anz
Jufqu'ele en ot ^ ne fai quanz ,
C'eft-à-dire toute fa vie ,
170 Que d'autre vie n'ot envie ,
Si com li preudomme Tenquiftrent
Qui à Tapoftoile le diflrent.
N'ofla pas bien vifces de li
Cele qu'à Dieu tant abeli ,
1 75 Quant ele , qui fi gentiz dame
Eftoit com plus puet eftre &me ,
3iS La Vie Sainte Élysabel.
Firioit les vanitez du fiècle,
Et enfeignoit la droite riègle
D'avoir le règne perdurable
i8o Âvoec le Père efpéritable
A celsqui avoec li eiloient,
Qui de tel vie la iavoient ?
Orgueil, iror & gloutonie,
Et vifces dont Tâme eft honie ,
x85 Luxure, accide & avarifce,
Et puis après le vilain vifce
Qui a non envie la maie ,
Qui Tenvieus fet morne & pâle ,
Oila ii & miii à fenellre
190 Que Diex en ama miex fon élire,
Por ce que fermoner me griève ,
Le prologue brieûnent achiève ,
Que ma matire ne deilruie.
L*en dit que biau chanter anuie ;
195 Dr m'eftuet brief voie tenir ;
A mon propos m'efluet venir.
Efcoutez donc , ne fêtes noife :
Si orrez jà , fil ne vous poife,
Les miracles apers & biaus
300 Que celé fainte Elyfabiaus
Fift à fa vie & à fa mort.
Ainz puis meillor dame ne mort
La mort qu'ele vint celi mordre ,
Que Dieu fervir fe vout amordre.
3o5 Ne tint mie trop le cors chier :
La Vie Saintç Élysabel. 319
Ayant fe lelTaft efcorcier
Qu'au cors féift fa volenté ,
Tant ot le cuer. à Dieu planté.
En .iii j . pars eft devifiée
210 Sa vie , qui tant eft proifîée.
La première partie diil
Les oevres qu'en fa vie fiil :
Comment à Dieu fervir aprift
Jufques lors qu'ele mari prift,
2i5 Comment'fe tint & nète & monde.
Or dit la partie féconde
Comment fu preude famé & fage
Puifqu'ele entra en mariage.
La tierce partie devife
220 En quel manière & en quel guife
Vefqui puis, la mort fon feignor,
Qui tant la tint à grant honor,
Tant que par grant dévocion
Prift Tabit de relegion.
225 Ne vous vueil pas fère lonc conte :
La quarte partie raconte
Comment celé qui tel fin a
Sa vie en Tordre defina.
Puis orrez en la fin du livre ,
23o Se Jhéfu-Criz ianté me livre,
Miracles une fînité ,
Que cil de fa voifinité
Qui furent créabït & preudomme
Provèrent à la cort de Romme.
330 * La Vie Sain.te Slysabel
235 Mult eft mufars qui Dieu me croit
Et cil mauves qui fe recroit
De celui Seignor crlembre & croire
Qui nule foiz ne fet recroire
D'acroiftre cels qui en lui croient ;
240 Dont font cil fol qui fe recroient ,
Qu'au <Iréator merci ne crient. /
Cil qui de cuer vers lui Tefcrient ,
S'ils ont el créator créance ,
Endroit de moi, je croi en ce
245 Que lor lermes , lor plor , lor criz ,
ûu David ment & fes efcriz ,
Seront en joie converti ;
Et cil feront acuiverti
Qu'adès acroient for lor piaus,
25o Quar li paiers n'ert mie biaus.
Cefle dame, qui en Dieu crut,
Qui for fes piaus guères n'acrut ,
Se dut bien vers Dieu apaier,
Quar de légier le pot paier,
255 Or, dit Teftoire ci endroit,
.V. anz a voit d'aage droit
Elyfabel, la Dieu amie,
Qui fille ert au roi de Hongrie ,
Quant à bien fère commença.
260 Dès les .V. ans & puis en cà,
Ot avec li une pucèle.
Gente de cors & j<5ne & bêle
Et virge efloit, & monde & note :
i^
La Vie Sainte. Élysabe^. 3ai
Pucèle, non , mes pucelète.
a65 Avoec li fii por li efbatre :
L'une ot .v. anz, & Tautre .îv.
A celé virge fu requis
Et bien encerchié &, enquis ,
Qu'avoec la dame avoit elle
170 Et maint yver & maint eflé ,
Qu'ele déift tout le couvaine
Comment la dame fe demaine.
Celé jura & diil après :
t Or, efcoutez ; traiez-vous près;
ajS S'orrez, dift-ele, de celi
Qu'à Dieu & au fiècle abeli.
Je vous di defeur ma créance
Que celle dame dès enÊince
Si mifl toute fentencion
280 En Dieu & en rélegion ;
Là fu fes droiz entendemenz ,
Ses geus & fes efbatemenz.
Quant dès lors que .v. anz n'avoit
(Je ne fai fe lettres favoit)
285 Portoit .i. fautier à Téglife
Si com por dire fon fervife.
Lez Tautel voloit demorer
Si com fêle déufl ourer.
Aifiiélions fefoit-el toutes
290 A nuz genouz & à nus coûtes ;
Au pavement joingnoit fa bouche ;
N*i favoit nul vilain reprouche.
RUTEBEUF. II. ai
^ 322 La Vie Sainte Élysabel.
t
c Li enfant qu'avoec ii efloient
.1. geu foventes foiz fefoient,
295 Si com de faillir à .i. pié ;
Et celé par grant amiftié t
Si.feufuioit vers la chapele,
Et leifoit chafcune pucèle , - £:£
Si com fades deuil faillir,
3oo Quant à l'entrer devoit faillir ,
Tant avoit cuer fin & entier
Que por Dieu befoit le fentier.
Sachiez jà ne fuft en cel lieu , : Ii
S'ele jouafl à quelque gieu ,
3o5 Que fefpérance & fa mémoire
Ne fufl à Dieu , le Roi de gloire ;
Quar fe li cors juoit là fuer,
A Dieu avoit fichié le cuer. Ii£
Ainii juoit fanz cuer li cors :
3 10 Li uns à Dieu, Fautre là fors < ;
Affez avoit de geu en aus.
Un geu que l'en dit des aniaus,
A quoi l'en gaaingne & pert,
Savoit-ele tout en apert ; ri^c
3 1 5 A ce geu gaaingnoit fovent ,
Et il départoit par couvent -
Aus povres pucèlës meifme ^
De treilout fon gaaing la difme.
Celé qui fon don recevoit '^^^
320 Par covent fet dire devoit
I. Les seize vers suivants manquent au A^ 76^3.
La Vis Saints Élysabjcl. i%i
La pâtre noilre & le fala
La dame qui tant a valu.
c A ce geu mult fagenoilloit ;
Couvertement les mains joingnoit^
3a5 Et difoit : Ave^ Maria,
De chief en chief ce qu'il i a.
A aucune des pucelètes
Difoit : c Je vueil lez moi te inètes^
Si' te vueil proier & requerre
33o Que nous mefurons à la terre ,
Quar de favoir fui mult engrant
Laquel de nous .ij . eil plus grant. »
Si n'avoit de mefurer cure :
Por li couvrir, parla mefure
335 Voloit que plus de bien féift
Et plus de proières dél&.
tEncorvous di-je de rechlef,
Por ce que faint Jehan en chief
Efl garde de toute chailé ,
340 Que la feue ne fufl gaflée ; *
Por ce i ot^el famor naife
Et fon cuer mis en fon fervife.
Celui évangeliilre amoit ;
Après Dieu feignor le clamoit.
345 S'on li demandoit por celui
Ele n'efcondifoit nului :
Celui fervi , celui ama ;
IRx AfT^ Dieu fon cors & fâmea
3i4 La Vie Sainte Élysabel.
Mis à celui du tout en garde :
35o Ne fift pas que foie mufarde.
Se l'en li éufl chofe fête
Dont ele fuft en iror trète ,
Por faint Jehan Tevangeliftre ,
Son droit meftre & fon droit meniftre ,
355 Li eftoit du tout pardoné
Que ja puis n'en fuft mot foné.'
•Encor vous di fil avenift
Qu'aler géfir la cônvenift ,
S'ele n'éuft affez prié
36o Dieu & de cuer regracié ,
Ele prioit en fon lit tant
Que mult fi aloit délitant.
Après vous di en briez paroles ,
En geusy en feftes, en caroles
365 Et à quanqu' enfant doit plère ,
Si com fe n'en éuft que fère ,
Leffoit-ele , fâchiez fans doute ;
Quar ne prifoit guères tel route
Envers l'ami c'on doit amer,
370 En qui amor n'a point d'amer. • •
<r Aus feftes & aus diemanches*
Ne metoitganz, ne veftbit manches
Tant que midis eftoit paffez ;
Et autres veus fefoit affez
375 Dont anuis feroit à retrère ,
I. Les six vers suivants manquent au Ms« 7633.
J
La Vie Sainte Elysabel. 3a5
Et j'ai mult autre chofe à fère.
-Âinfî vefqui en fa jonece.
Affezot anui & deftrece
Ainçois qu'ele fuft mariée ,
38p Quar à nomr eftoit livrée
Aus plus granz feignors de Tempirc : •
De toutes genz eftoit la pire
Qui fuft en la maifon fon père.
Dure gent i ot & amère
385 Envers li plus qu'il ne dévoient : .
Par envie mult li grevoient ,
Tant i avoit venin & fiel.
' • Cefte prendra la grue au ciel y
Fefoient-il , par ataïne , »
390 Tant avoient à li haïne
Por ce c'oneftement vivoit ;
Et li faus envieus qui voit
Honefte gent d'onefte vie
A toz jors d'aus grever envie.
395 Quant que fon ieignor éuft
Ne que de l'avoir riens féuft
Fors , ainfi com la gent devine ,
Cil qui fiavoient le couvine
^ Sfl n feignor li blafmUent fouvant,
400 Et li.aloient reproyant
Ce que il la voloit jà prendre.
Se il li péuflent desJfendre
11 li éuifent desfendu
Que jà n'i éuft entendu;
:>^
3s6 La Vie Sainte Élysabel.
4o5 Et difoient (i confeillier :
c Nous nous poons mult merveillîer '-'^
Que béguins volez devenir ;
Ne vous en poez plus tenir !
Ceft folie qui vous enhète. •
410 Volentiers Teuflent fouftrète
Et menée en aucun manoir.
Quant il virent que remanoir
Ne porroit mes , c'eft la parclofe ,
Et li éuflënt fet tel chofe
415 Dont ele perdift fon douaire,
Et f en reperaft au repaire r^
Son père dont ele ert ifTue ;
Mes Diex Ten a bien desfendue,
Quar celui que Diex prent en cure
420 Nus ne li puet grever ne nuire.
Or avez oïe fenfance - * ^'^^
Toute , fet celé , fanz doutance. i
— f Bêle fuer , combien puet avoir
Que vous poez apercevoir
425 Qu'avoec li converfé avez ? ' f
Dites-le-nous fe vous favez, »
Firent cil qui firent PefTai.
' c Seignor, difl-ele , je ne fai ;
Je di por voir, non pas devin,
43o Dès lors qu'avoec madame ving '-'^^
Vj î J[i). anzavoie & ele .v.
^ iSèTlors i a) eflé ainfinc
Tant qu'ele vefli cote grife ; • '
La Vie Sainte Elysabel. 3^7
Tant vous en di, plus n'en devife,
435 Ceft-à-dire Tabit de l'ordre
Qu'à tel amors fe vout amordre* i
Piez poudreus & peniTée vole
Et oeil qui par cinier parole
Sont .iij. chofes, tout fanz doutance ,
440 Dont je n'ai pas bone efpérance,
Ne nus preudom ne doit avoir ;
Quar par ces .iij. puet Ten favoir
Qui à droit fen le remenant,
Qui lors va celui reprenant ,
44,5 Et qui à bien fère Tenfaigne ;
Si vaut autant com batre Saine :
Tout eft perdu quanqu'on li monilre.
Dites-li bien , il fera contre ,
Quar il cuideroit eftre pris
45o S'il avoit à bien fère apris.
Ne vaut noient ; li cuers aprent,
Li cuers enfeigne & fe repent,
Au cuer va tout. Qui a bon cuer
Les oevres monilre par defuer :
455 Li mauvàs cuers fet mauves homme.
La preude famé & le preudomme
Fet li bons cuers, je n'en dout mie.
Celle qui à Dieu fù amie
Et qui à Dieu fe vout doner
460 Ne fen ûfï guères fermoner.
Sa ferve fu ; bien le fervi ;
Par bien fervir le fléfervi.
Li bons ferjanz qui de cuers fert
SaS La Vie Sainte Élysabel.
En bien fervir Tamor défert
465 De Ton feigaor por bien fervir.
Qui ne fe voudra afTervir,
Je lo Tamor de Dieu déierve
Quels que il foit , ou fers ou ferve»
• Quar qui de cuer le fesvira
470 Bien fâchiez qu'il défervira
Par qoi Tâme de lui ert frandtie :
Ci n'a meftier, fuie ne ganche.
Elyfabél ot droit aage
D'avoir Tordre de mariage *
475 Que famé per non de pucèle.
De cefle qui dame novèle
Eft orendroit vous vueil retrère.
Or entendez de fon afère :
Li preudomme orent mult grant cure
480 De favoir la vérité pure
De la lainte vie de cefle ;
Mult en furent en mainte enquefle.
Yfentruz , qui fa veve famé,
-Relegieufe & bone dame,
I . Après ce vers , le Ms. 763 3 ajoute les huit suivants :
Mari li donent» mari a,
Car cil qui bien la maria
N'en douta gaires chevaliert,
Ne ftnécbaux ne conciliiez.
Ce fut fi rois qui tôt aroie,
Jhéfu-Crift qui les liens aToie,
Or dit la féconde partie
Qae renfance elt lors départie , 9x.
BSl
La Vie Sainte Elysabei.. Jag
485 Fu avoec li .v. anz , ce croi ,
De fon confel, de fon fecroi.
Au vivant Lo3rs landegrave.
Après i fu la dame veve ,
Puis que Loys lu trefpaiiez ,
490 .1. an entier & plus alTez
Tant que fe fu en Tordre mife.
Des enquereors fu requife
Yfentruz de dire le voir ;
Jurer Teftut par eflavoir.
495 Yfentruz fifl fon ferement,
Et puis (i dift apertement
A fon pooir la vérité :
« Humble , plaine de charité
Eft mult Elyfabel , fet-ele ;
5oo Jà ne querroit de la chapele
. Yffir ; jà ne querroit qu'orer
Et en oroifon demorer.
Mult murmurent fes chamberières
Que jamès ne querroit arrières
5o5 Venir du mouftier, ce lor famble ;
Mes .coiement d'entr'eles femble ,
Et va Dieu proîer en ambiant.
Jamès ne verrez fa faniblant ;
Quant plus ert en grant feignorie ,
5 10 Et plus ert amée & chiérie ;
Lors.avoit-ele .i. mendiant,
Qu'ele n'alàil Dieu oubliant ,
Qui n'àvoit pas la telle faine ;
Ainz vous di qu'il Tavoit iî plaine
. 3
33o La Vie Sainte Elysabel.
5i5 D'une diverfe maladie
Que n'eft pas droiz que je la die
(Sanz nommer la poez entendre) i
Que nus n*i ofaft la main tendre.
Celui nétioit& mondoit,
. 520 Celui lavoit , celui tondoit ; v
Plus li fefqit que vous diroie, (^11
Que dire ne vous oferoie.
En fon vergier menoît celui
Por ce que ne véifl nului
5 25 Et que nus hom ne la véifl,
Et faucune la repréift
Et ele ne favoit que dire, --Vi
Si prenoit par amors à rire.
c Entor li avoit .i. preudhomme
53o Que chafcuns meftre Corras nomme
De Mapur , qui obédiance c -;
Li fift fére par Totriance
De fon feignor : or foit féu
De qoi l'obédience fii :
535 Qui le voudra favoir fe Tfache.
En l'abéie d'Yfenache jî
Qui eft de fainte Katherine,
Voua de penifée entérine
A entrer, ce trovons el livre,
540 Se fon feignor pooit forvivre ;^
Puis après li fift eilrangier c !
Toute la viande à mengier
Dont ele peniTe ne devine
La Vie Sainte Elysabel. 33i
Qui foit venue de rapine ;
545 Et de ce fe garda fi bien
Qu'(}nques n'i mefpriftde rien ;
Quar quant la viande venoit
De leu qu'ele fôupej^onoit
Et lez fon feignor àdlfe ière ,
55o Si déiiïiez à fa manière^ .
Qu'ele menjaft (ce n*eft pas fable)
Plus que nus qui fuil à la table ;
Ce de mengier n'efconfdifoit ,
Que ça & là le pain brifoit.
555 c Or favoient ices novèles
.lii)., fanz plus, de damoifèles. t
Son feignor dient en apert
Que il l'âme détruit & pert ,
Et que jamès n'ert abfolue
360 De mengier viande tolue.
Il lor refpont ; t Forment me griève,
Mes ne voi comment j'en achiève ,
Et fâchiez je m'en garderoie
Se les paroles ne doutoie.
565 Si en faz ce que fëre doi ,
Ma gent me monflerront au doi :
Mes bien vous di certainement ,
Se je puis vivre longuement ,
Sor toute rien que je propofe
570 Moi amender de celle chofe. »
c Quant de droite rente venoit
33a La Vie Sainte Élysabbl.
La viande , û la prenoit ,
Ou des biens de fon droit doaire ;
D'autres n*ayoit-ele que faire.
575 De cels menjue , de cels ufe ,
Et fe cil^li Êiillent , fi mufe
' Et ele & toute fa mefnie.
Ez vous fa vie defrefnie ;
Mes aus plus granz feignors mandoit
58o Ou en préfent lor demandoit
Qu'il li donaifTenjt de lor biens,
S*on ne trovaft à vendre riens ;
Quar de droite rente eftoit cort
Li biens qui venoit à la cort ;
585 Et ele avoit bien entendu
Que li meilres ot desfendu.
« Aifez fovent menjailTent bien
Mult volentiers ele & li lien
..Du pain fe afTez en éuffent,
590 Que fanz doute mengier péuifent';
Et à la table endroit de foi
Avoit fovent & fain & foi * ,
Et favoit-il mult à la table
Bone viande & bien metable ^
595 Mes tout adès redoute & penlfe
Que ce ne foit for fa desfenffe.
c Une foiz ert à table aflife
I. Les cinquante-six vers suivants manquent tu
Ms. 7633.
La Vie Sainte Élysabel. 333
Où aflez ot viande mife
De qoi , fauve fa confcîance ,
600 Ne pot penre fa fouftenance
Fors d'un préfent qui fu venuz
Où il ot .v. oifiaus menuz^
De cels menja, mes ce fu pou,
Qu'ele douta devers faint Pou
^5 Ne venîft lendemain viande.
Les .iii. à garder en commande ;
De cels menja mult volen tiers
Et en vefqui .iii. jors entiers :
A chafcun menga la moitié.
€]0 Aifez avoit plus grand pitié
De fa mefnîe que de li ,
Quar chafcun jor véoit feli^
Mengiers fuft preft pou en priffent ;
Quel que fain que il fouileniffent.
€i5 Aus vilains viande rouvoiit ,
Et fêle honefte la trovoit ,
Si difoit : c Mengiez , de par Dé ^
Que Diex nous a bien regardé. »
Une foiz fe fu atornée
^20 Porchevauchier une j ornée ,
Là où fes lires devoit eftre;
Bien lor fu viande à feneftre^
Que il ofaiflent par droit prendre
Sans els tnesfère ne mefprendre ,
625 Fors que pain noir, dur & halle,
^ ' Tout muilî & tout très-fale.
334 La ^^^ Sainte Élysabel.
Onques plus n'orent que je di ; J- i
Et fi fu à .i. famedi
Qu'il efloient tuit géun.
63o N'orent pois ne autre léun :
Cel1o^)or;pot dire la geul^ :
« Cui avient une n'avient feulc^^ « ::
Durs fu li pains & croufte & mie i
Li dui n'en menjailfent demie
X \ 635 StJfeioT mengier en déuifént,
■J Se il atendri ne réufTent ;
Mes fanz faille atendrir le firent
En ève chaude où il le mirent.
Après ce digner povre &. galle,
640 Que l'en ot du pain dur pafle
Par l'ève chaude où il fu mis, : .
Se font-il d'errer entremi^
N'orent meflier de desfen^
Que puis les covint-il errer
645 Tels .vii). Hues que, par droit conte.
L'une de là, .ij. de çà monte.
« Affez parlèrent maintes boches
Et diftrent mult de tels reprdèhes^ V^\"i4
Qui ne furent ne bel ne gent :
65o Si n'èrent pas eilrange gent ,
Mes de lor genz de lor oflel ,
Et dient c'onques mes n'ot tel
Mari dame com cefle-là :
Chafcuns le dit, nus ne 1' cela*. . :.;
La Vie Sainte Elysabel. 335
655 c James ne lî fiiil nus anuiz
En relever toz jors de nuiz
Por aler à régUfe orer ;
Et tant i voloit demorer
Que nus penfler ne Toferoit.
66o Du dire folie feroit ;
Mult fovent li difoit fes fires :
c Dame , taudroit i riens li dires :
Je dont mult que mal ne vous £ice ;
Cil qui n'a de repos efpaife ,
665 Gui adès covient endurer ,
Je vous di qu'il ne puet durer. »
Mult prioit à fes damoifeles,
A toutes enfamble que eles
L*efveillairent chafcùn matin :
670 Ne lor parloit autre latin.
Par le pié fe fefoit tirer ;
Quar mult doutoit de fère irer
Son feignor & de Tefveillier ;
Et il feloit de fommeiUier
675 Tel foiz famblant que il veilloit
Que que Ten la dame efveilloit. i
Dift Yfentruz : c Quant je voloie
Li efveillier, & je venoie
A fon lit, li par le pié prendre,
680 Et je voloie la main tendre
Au pié ma dame , âc j'efveilloie
Mon feignor que fon pié tenoie ,
Il retraioit à lui fon pié
336 La Vib Sainte Élysabel.
Et le fouffroit par amiftié.
685 Sor .i. tapie devant fon lit
Dormoit fovent à grant délit
Par la graût plenté de proières
Que Diex amoit & tenoit chières.
•
Quant du dormir eftoît reprife
690 Devant fon lit en itel guife.
Si refpondoit corn dame fage,
Je vueil que la char aitdomage.
En ce qu'ele fouffrir ne puet
A fère ce qu'à l'âme eftuet. »
695 Quant fon feignor leffoit dormant ,
En une chambre coiemant
Se fefoit batre à ses ba jaifes
Tant que de batre eftôient laifes ,
Quant ç*avoit fet par grant défir,
700 Plus liement venoit géfir.
Chafcun jor en la quarantaine •
Et une foiz en la femaine
La batoient , ce vous redi ,
En charnage , le vendredi.
705 Ainfînc fouffroit cefte molefte :
Devant geitt fefoit )oie Ôl fefle ;
Quant les (ires n'i eftoit pas,
Si n'eftoit pas la chofe à gas.
En jeûner & en veillier,
710 En orer, fon cors traveillier,
Efloit-ele fi ententive
J
La Vie Sainte Élysabel. 337
Qu'à granz merveilles eftoit vive.
Ainfînc vivoit & nuit & jor
' Com dame qui eft fanz feignor;
715 Si eftoit débonère & fîmple ;
Bêle robe ne bêle guimple
Ne metoit pas, mes la plus fale
Tant que l'en menjoit en la fale ;
Et fi eftoit la haire mife
720 Emprès la char foz la chemife ;
Et de robe eftoit par defors
Mult gentiment veftuz li cors.
Lors péuft Tcn dire, ce cuit :
N'eft pas tout or quanqu'il reluift. »
725 Lors eftoit parée & veftue
Que ele favolt la venue
Que fon feignor devoit venir ,
Ne mie por plus chier tenir
Le cors, ce fâchiez bien de voir,
730 Ainz poez bien apercevoir
Que ce por fon feignor fefoit
Et que por ce miex li plefoit,
A fes féculiôres voifînes ,
Par jeûnes & par difciplines , ^
735 Enfeignoit à fuir le lîècle
Qui ne va pas à droite riègle ,
Et que chafcuhs devroit haïr
Qui ne voudroit f âme trahir.
Les caroles lor dévéoit
740 Et toz les gens qu'ele véoit
RVTIBBUF. II. J2
338 La. Vis Sainte Élysabeu
Qui rfttne puéent ceroucier ;
Mult les amaft à adrecier
Et honefte vie mener
Par les bons examines doner.
745 Quant les borgoifes du chaftel ^
Affublées de lor mantel,
Aloient d'un enfent à la mefle,
Chalcune aloit comme comtefle
Mult bien parée à grant devife :
ySo Ainfinc aloient à Téglife ;
Mes e le i aloit autrement,
Quar ele i aloit povrement
Veftue & toute defchaucie.
Par les boes de la chaucie.
y 5b Defcendoit du chaftel aval
San2 demander char ne cheval.
Son enfiint en Ton braz venoit ,
Et (a chandoile ardant tenoit.
Tout ce metoit defor l'autel ,
760 Et .i. aignel treftout autel
Com Noftre-Dame fift au Temple ;
De ce prift->ele à li example.
En Tonor Dieu & Noftre-Dame
Donoit à une povre Êime
765 La robe qu'ele avoit vefti\e
Quant de melfe eftoit revenue.
Mult ert la dame en oroifons,
Tant com duroient rouvoifons,
La Vik Sainte Élysabel. 539
Qu'entre les femcs de la vile -
770 (Né cuidiez pas que ce soit guile)
Se muçoit por aler à viau.
Lors avoit-ele fon aviau
Quant tele ouvraingne pooit fère :
James ne li péuft defplère.
775 Filer fefoit por fère toile ;
N'eft pas refon que je vous çoile
Qu'ele en fefoit quant fète eftoit :
Frères Menors en reveftoit
Et les autres qui de poverte
780 Trovoient trop la porte ouverte.
Que vous iroie-je aloingnant * ,
Ne mes paroles porloignant ?
Toz biens à fère li plefoit :
Les mors enfevelir fefoit.
785 S*aucun povre oîflefmaler
Qui déift : 4 Je ne puis paier ;
Je ne fai quel confeil g'i mète ,
Ele paioit por lui la dète.
Si ne li pooit abelir
790^ S'on fefoit povre enfevelir
Qu'il en portail nueve chemife ;
La viez li eftoit el dos mife
Et la nueve por Dieu donée ;
Si eftoit la chofe ordenée.
I. Ce vers et te suivant manquei\t au Ms. 7633.
l0O La Vie Saints Élysabe.l.
795 Encor vous di, feignor, après,
Où que ce Aift ou loin ou près,
Aloit les malades véoir ,
'Et delez lor lit afiféoir ;
Jà il ne fut la mefon orde ;
800 Tant ot en lui miféricorde
Que ne redoutoit nule ordure,
Car d'aus aidier avoit grant cure.
Mirgefle lor eiloit & mère ,
Quar n'eiloit pas mirgelTe amère
8o5 Qui prent Targent & û ren torne ,
Queque li malade féjorne ;
Âinçois ouvroit de fon meftier
Et i metoit le cuer entier.
Se li cors ert en guerredon ,
810 L'âme en atendoit guerre don.
Meftre Corras , por fermoner
Etpor bons examples doner,
^ Voloit alors parmi la terre :
/• S'envoia celé dame querre.
81 5 Celé ç'une dame atendoit
De là aler fe desfendoit ,
Quar c' eiloit une grant marchife ;
Si ne vouiiit en nule guife
C'on ne la trovail en mefon ,
820 C'on n'en déiil foie réfon.
Por ce li fuil de l'aler grief,
Et cil la manda de rechief ,
Que for obédience viengne,
Que nule riens ne la détiengne.
- V' -
La Vie Sainte Elysabbl. 341
825 Quant d'obédience parla ,
Et la dame celé part là
S'en ala fanz fa compaîgnie,
S'ele en deuil' eilre honie ;
Merci cria de fon mesfet
83o Et de l'iror <iu'il 11 ot fet.
Ses compaignes furent batues
Sanz plus de chemifes vei^ues
Por le demorer qu'eles iirent
Puis que fon meifagier oîrent.
835 Or fu jadis en .i. termine
Que il efloit mult grant famine :
Landegrave, qui preudomière
Et qui l'amor Dieu avoit chière ,
Envoia com preudom loiaus
840 De fes gran\:hes efpéciaus
Tout le gaaignage as Strémone,
Sanz ce que nus ne Ten fermone ,
Por départir aus povres genz.
Mult ert li dons & biaus & gens ;
845 Quar povres qui ert à féjor
De Paufmofne paffoit le jor.
A Watebert * demoroit lors ,
•I. chailel de la vile fors :
Léenz à une grant mefon
85o Qui lors eiloit en la fefon
Plaine d'enfermés & d'enfers :
Aflez efloit griez cis enfers.
I. Ms. 7633. Var. Watebort, — Watteboui^.
34* La Vie Sainte Élysabel*
Cil ne pooit pas tant attendre
Celé eure a qoi l'en foloit reiklre
855 Aus povres l'aumofne commune.
Mes jà n'i éuit un ne une
Qu'il ne véift chafcun par foi : •
Cil n'avoient ne Êiin ne foi.
Cels fermonoit Elyfabiaus ;
860 Les rooz.lor difoit douz & biaus
De pafcience &, de falu
Qui lor à aus âmes valu.
Mult iffoit forent grant puor
De lor robes por la fuor ,
865 Si que fouffrir ne le pooient
Celés qui avoec li eiloient ;
Mes ele le fouffroit fi bien
Que jamès ne li grevaft rien ;
Ainz les couchoit & les levoit ,
870 Que nule riens ne li grevoit ,
Et lor nétioit nez & bouche ,
S' on l'en déuft fêre reprouche.
Là furent de par li venu
Petit enfant & povre & nu
875 Qu'ele-meifme fifï venir ;
Qui les li véift chier tenir ,
Baignier, couchier, lever &peftre^
Il la tenift à bone meftre.
Ne lor eftoit dure n'amère :
880 Li enfant Tapeloient mère ;
A cels aloit-ele environ ,
La Vie Sainte Elysabel. 343
Gels metoit-ele en fon giron.
A cel tens & à celui terme
.lij. manières de gent enferme
885 Ot-ele lors à gouverner
Que toz li covint yvémer,
Et cil qui plus eftoit haitiez
Ne fe fouftenoit for fes piez.
Mauves i ot, & fi ot pires,
890 Et très mauves. C'eil granz martyres.
Des .ij. ai dit qu'ele en fefoit ,
Comment ele les aaifoit :
Des autres vous^vueil dire après.
Gels voloit avoir de li près
895 Devant le chaflel , lez la porte,
La où ele-méifme porte
Ge qui à table lor remaint.
Si lor efpargnoit-ele maint
Bon morfel qu'ele menjaft bien :
900 Ge fefoit & ele & li flen.
A la table lor fu remis
Une poz qui n'eiloit pas demis
De vin ; (i lor porta à boivre :
Si pou i ot , ne l'os mentoivre ,
9o5 Mes Diex, à cui riens. n'eft celé, .
Gui tuit fecré font révélé ,
A cui nul cuer ne font couvert,
I ouvra fi à découvert
Que chafcuns but tant comme il pot
910 Et fen remeil autant ou pot,
^44 La V'*^ Sainte Élysabbl.
Quant chafcun ot allez béu ,
Comme au commencier ot eu.
Je di por voir , non pas devine ,
MotiTon de femence devine
91 5 MoifTonna en itel manière
Tant que moilfons entra plenière«.
Toz cels qui fe porent lever
Sanz els trop durement grever
Reveili de lange & de linge
920, La bone dame de Turinge.
A chafcun dona fa feucIUe,
Por ce quant l'en les blez faucille
Povres qui ne va faucillier
Ne fe porroit plus avilUer
925 S'il efl tels que Êiucillier puifTe;
Quar il n'êil nus qui oifeus truife
Lors, clerc, ne lai^, ne efcuier.
Que il ne le doie huîer.
Ainz que fes lires rendill âme ,
93o Qu'ele eitoit de Turinge dame y
Fefoit merveilles a oïr ,
Que lors k vidiez efjoïr
Et de felle fère enrainie
Qu'ele ert à privée mefnie
93 5 Sanz compaigne d'eilrange gent ,
Ne demandoit pas le plus gent
Mantel qui fuft dedenz fa chambre ,
Si com Telloire me remambre,
La Vie Sainte Élysabel. 345
Mes le plus vil &i le plus fale :
940 Ainfinc aloit parmi la fale ,
Et bien difoit à bouche ouverte :
c Quant je ferai en grant poverte
Ainfinc ferai mes tout fanz doute. »
Puis ot-ele povreté toute,
945 Et bien prophétiza le puis
De povreté où chéi puis,
Si com vous orrez après .dire ,
Se vos entendez la matire. .
Toz jors à la çaine par rente ,
gSo Ne cuidiez pas que je vous mente,
Fefoit la dame .i. grant mandé
Là oti li povre èrent mandé
Que la dame entor li favoit;
A treiloz cels lor piez lavoit
955 Et befoit api'ès effuier.
Jà ne li péuft anuier ;
Et puis fefoit méfiaus venir,
Qui lors Ten véift convenir, ^
Laver les piez, befier les mains,
960 Et treftout ce efloit du mains ;
Quar avoec aus fe voloit feoir ,
Et les voloit ou vis véoir.
Lors fermonoit en tel manière :
« Mult devez bien à bêle chière,
965 Biau feignor, fouffrir ce martire;
N'en devez duel avoir ne ire,
Qu'endroit de moi ai la créance ,
346 La Vie Sainte Élysabel.
Se vous prenez en paçiance
Ceil enfer qu'en ceft iîècle avez ,
970 Ne fe Dieu mercier iavez
De Tautre enfer ferez tuit cuite :
Or lâchiez ci a grant mérite. »
Ainfinc la dame fermonoit,
Et puis après si lor donoit
975 A boivre & à mangier & robe.
Que ne. les fervoit d'autre lobe, .
Se j'eftoie bons efcrivaîns
Ainz feroie d'efcrire vains,
Que j'éuiTe dit la moitié
980 De Tamor &.de Tamiftié
Qu'à Dieu monflroit &.jor & nuit.
Et je dout qu'il ne vous anuit.
Or à la dame ainfinc veicu
Que de fa vie. a fet efcu
985 Por fâme desfendre & couvrir
Et por faint paradis ouvrir
Envers li après fon décès.
Pou en verrez jamès de ces
Qui facent autant por lor âme.
990 Ainfinc vefqui la bone dame
Tant com fes fires fu en vie.
Or orrez la tierce partie
Qui parole de fa vevée ,
Ou èle fu forment grevée.
995 Ces .ij. dames qui juré orent ,
La Vie Sainte Élysabel. 347
Qui la vie à la dame forent^,
S'accordèrent fi bien enfatnble
Que Tune refon l'autre famble.
Par qoi cil qui Tcnqueile firent
1000 Mult durement f en efjoïrent ;
Et ces .ij. avoient véue
La bone vie & connéue
Que cefle dame avoit menée
Qui tant fu & fage & fenée.
100 5 Bons ouvriers eft qui ne fe laile :
Iteils ouvriers toz autres paffe.
Qui porroit trovcr tel ouvrier ,
Mult i auroit bon recouvrier ,
Et mult efl bons à mètre en œvre
loio Bons ouvriers qui fanz laiTer œvre.
Ceft ouvrier vous vueil defcouvrir;
Por l'ouvrier vueil la bouche ouvrir :
Li bons cuers qui Dieu doute &^me ,
Et la bouche qui le réclaime ,
10x3 Et li cors qui les oevres fet
Et en paroles & en fet :
Ces .i). chofes mifes enfamble,
C'efl li ouvriers , fi com moi famble ;
C'cfl cil qui Dieu fert & aeure ,
1020 OcR li labors que il labeure :
Cefle dame tele oevre ouvra ;
Bons ouvriers fu, bien faouvra*.
I. Le Ms. 7633 ajoute :
Car fenz lafleiz le Roi de gloire
Servi, ce tefmoigne reftoîrè.
348 La Vie Saints Élysabbl.
La mort , qui fet a fon pafTage
Palier chafcun , & fol & fage ,
I025 I fet ci pafler landegrave.
La dame remaint dame veve ; »
Dame , non pas , mes povre feme ,
Que petit doutèrent lor âme
Li chevalier d'iluec entor.
io3o Fors du chaftel & de la tor
La getent, & de fon douaire ;
Ne li leÛent en nul repaire
A qu'ele fe puiffe acouper,.
Ne penre repafl ne fouper.
io35 Li frères fon feignor vivoit,
Qui Jones hom ert , & fi voit
L'outrage que l'en fa fuer fet ,
Conques n*amenda ce forfet.
Or a quanques demandé a ,
1040 Or a ce à qu'ele béa,
Or a-ele fa volonté
Puifqu'ele chiet en orfenté ;
Ceft ce qu'ele onques plus prifa,
Ceft ce qu'à Dieu plus requis a ;
XO45 Et por ce dill ci Rustebues :
€ Qui à bues bée û a bues. >
I
1
I
La dame eil du chailel iifue ,
En la cité l'en efl venue
Chiez .1. tavernier en la cort ,
I o5o Et la tavernière Tacort ,
Et li difl : « Dame , bien vîegniez ! »
La Vis Sainte Élysabbl. 349
Li tavemiers, bien enfeigniez,
Li dtft : < Dame', venez féoir :
Pieçà mes ne vous poi véoir. i
io55 — f Or eft mefliers que l'en me voie :
L'en m'a tolu quanques )'avoie,
Dift la bone dame en plorant :
De cevois-je. Dieu aorant. »
Ainfinc jut la nuit en Toilel ,
1060 Conques mes d^me ne Tôt tel ;
Mes li géfirs petit li griève.
D'entor la mienuit fe liève ;
Si ala oîr les matines
Aus Cordeliers ; mes fes voiiines
io65 N'i aloient pas à tele eure.
Mult merci Dieu & aeure
De celle tribulacion,.
Et par mult grant dévocion '
Pria toz les Frères Meneurs
1070 GrâcesYendiffent des honeurs
A Dieu que il li avoit fêtes
Et de ce qu'il li a foutrètes.
De grant charge l'a defchargie ,
Quar qui richèce a en chargie ,
1075 L'âme efl chargie d'une charge
Dont trop à en vis fe décharge ,
Que mult fi délite la char :
Tel charge fet le large efchar ;
Qui de tel charge efl defchargiez ,
1080 Si ne met pas en fa char giez ;
Li maufez , por l'âme enchargier,
35o La Vie Sainte Elysabel.
Ne fe vout pas celé enchargier ;
De tel charge ainz la defcharga :
Mife )us toute la charge a.
io85 Or la repraîgne qui fe viaut^
Chaînez ne puet voler en haut^
A lendemain , fâchiez de voir.
Que nus ne l'ofa recevoir
En fon hoflel herbergier ;
1090 Ainz mena chiés .i. lien bergier
Ses enfanz & fes damoilèles.
Or i a plus dures novèles ,
Qu'il fift fi froit que là dedenz
Firent tuit martiaus de lor denz ;
1 095 La froidure lor fu deilroite ,
Et la mefon efloit eftroite.
Li bachelers ,' il & fa famé ,
S'en iflîrent fors por la dame.
Dift la dame : c Se je véiiTe
1 100 Noftre ofle , grâces li rendifle
De ce qu'il nous a oftelez. >
Mes li ofteus n'eft guères lez.
A lendemain efl revenue
A Toflel dont ele ert iifue ;
I io5 Mes liusdes hommes fon feignor
Ne li porte foi ne honor :
Chafcuns du pis qu'il puet li fet
Sanz ce que riens n'i a mesfet.
Chiés les parenz de par le pèfe ,
1 1 16 Ne fai chiés confins ou chiés frère,
— v*i
La Vie Sainte Élysabel. 35i
Ses enfanz norrîr envoia :
Celé remefl qui Dieu proia.
Une foiz aloit à l'églife
Por efcouter le Dieu fervife ;
1 1 1 5 Si paffoit une eftroite rue :
Contre li fe r'eft embatue
Une vieillete qui venoit ,
Cui elefaufmone donnoit.
Mult avoît en la rue fange,
1 120 Si fil la voie mult eftrange ;
De pierres i ot .i. paflage.
La viellete , qui pou fu fage ,
Jeta la dame toute enverfe
En ccle grant boe diverfe.
1125 La dame d'iluec fe leva ,
Defvefti foi , fi fe lava ,
Et rift alfez de l'aventure
Et de la vielle & de l'ordure.
„Petit menja & petit but ^ ,
1 1 3o Que la maladie li nut ,
Où ele ot grant pièce géu.
Sus fe leva , fi a véu
Lez li une feneflre grant ;
Celé, qui d*orer fu engrant;
1 1 35 Mift fon chief fors par la feneflre
Por gracier le Roi céleflre.
i« Ce vers et tous ceux qui suivent, jusqu'à l'ali-
néa, manquent au Ms. 7633.
35a La Vie Sainte Élysabbl.
Quant les iex clôt, longuement pleure,
Longuement en ce plor demeure ,
Et quant les iex vers le ciel oevre i
1 140 Le plorer pert , joie recuevre ;
Et mena ainfmc tele vie
Jufqu'endroit Teure de compile :
A iex clo$, plaine de triftèce,
A l'ouvrir recuevre leèce.
1 145 Puis dift la dame : « Hal Rois de gloire,
Puifqu'avoir me veus en mémoire,
Enfamble o toi fanz départir
EUre vueil; & tu repartir
Me vueilles , fire , de ton règne
1 1 5o Et de famor, qui partout règne. »
Yfentruz, qui plus fu famie
Que nule de fa compaignie ,
Li diil : Dame , à cui avez tant
Dit ces paroles que j'entent?
II 55 Sainte Élyfabiaus li refpont
Et les paroles li defpont \
Son fecré li a defcDuvert ,
Et difl : « Je vi le ciel ouvert ,
Et vi Dieu vers moi enclinier,
1 160 Qui nului ne veut engingnier.
Confoiter me vint du torment
Et de TangoifTe qui forment
M'avoit tenu jufc'orendroit.
En cel point & en cel endroit
1 165 Que le ciel vi, fi fui en joie; ;
La Vie Sainte Élysabel. 353
Quant les iex d'autre part toraoie
Lors fi me convenoit plorer
Et la grant joie demorer. >
Or avint en celui termine
1 1 70 De la dame de bonne orine ,
C'une feue tante abéeffe
De ce païs fu mult engreffe
C'uns fiens frères, cui ele ert nièce,
La méift chiés li une pièce,
1 173 Si corn tel dame , à grant honôr,
Jufqu'ele éuft autre feignor ;
Evefque efloit d'un païs
, Vers celé Hongroie laïs.
Celés qu'avoec la dame eftoient
1180 Qui chaftée vouée avoient , ^
Orent grant paor de falée ,
Et qu'ele ne fiifl mariée ;
Et la d^me les reconforte ,
Et dift : f Miex voudroie eftre morte
1 185 Qu'avoir ma foi vers Dieu mentie
Vers qui je me fui affentie '
A eftre fa famé efpoufée.
Tels refons ne font que roufée :
Ne vous en devez defconfire :
1 190 Toutes refons fe leflent dire.
Sachiez , fe mon oncle m'esforce
Que je preingne mari à force ,
Je m'enfuirai en aucun leu
Où je me ferai .i. tel geu
RlJTEBEUF. II, -
L ^
3S4 L.A Vie Sainte ÉlysabbL.
1 195 Que je me coperai le nez :
S'ert lî mariage remez ,
Qu'il n'ert lors nus hom qui ait cuce
De fi desfete créature. »
Cil fiens oncles la fift mener
1300 A «i. chaflel, tant qu'aiïener
La péuft à aucun preudomme ;
Et vous favez (ce efl la fomme)
D'amer Dieu fift femblant & chière ;
Si n'en fu faulTe ne doublière.
1305 Dementières qu'en tel torment
Eftoit dementanz (1 forment ,
Vint uns meilages qui aporte
Noveles , & hurte à la porte ,
Qu'en fon pays l'eftuet errer
laio Les os fon feignor enterrer
C'on aporte d'outre-mer.
Celé qui tant le pot amer
Rendi grâces a Dieu le père
Et à la feue douce mère
131 5 De ce qu'ainfinc Ta confeiUié ^
De l'errer f eft apareillié :
yint où li yavalTor Tatendent ,
Qui les os enterrer commandent
En .1. cloiflre d'une abéie.
1320 Or ait Diex l'âme en fa baillie.
Landegrave fu mis en terre..
La dame prièrent à requerre
Qu'ele à Turinge fèn viengne.
La Vie Sainte Elysabel, 335
Il atomèrent fa befoingne
122 5 De fon douaire en itel guife
Cotn la droiture le devife.
Difl révefque : « Ele i ira,
Mes que chafcuns m'âliera
Que fôn douaire li rendrez
i23o Tantofl qu'à Turinge vendrez. »
Mes pou priik douaire & don ; .
Si qu'artiers f en vint à bandoo
Au leu dont ele eftoit iflue ; .
Mes pou i eft arefléue
is^35 Quant fes meftres par eftovoir,
Meftre Corras , l'en fift movoir.
De fon douaire eftoit la vile
Et li chaftiaus (ce n*eft pas guiie) ,
Mes avoir n'i pot remanance,
1240 Qu*èle i ière for la pefance
De cels qui aidier li dévoient ,
Et il a force Fi grevoient.
Iffi f en , qu'iffir l'en covint :
A une YÎlète fen vint ;
1245 Si entre en une mefon
Qui n'eftoit pas mult de fefon :
Par les paroiz eftoit ouverte
Et pàrdefeure defcouverte.
Fols eft qui por tel leu forgueille ;
i25o Aflez i pléuft , fe la feuille
Des arbres n'en oftaft la pluie :
S'a pluie moille , â ùhaut efluie .
N'i menjue faumon ke îrute ,
H6 La Vie Sainte Elysabel.
Barbiau , ne luz * la bien eftrute ;
1255 Du pain menjue volentiers,
Non pas tant com li'efi meftiers :
Ne li chalut du feureplus.
Aufî fu comme en .i. reclus
Et fa gent fi com gent reclufe ;
1 260 N'eft pas droiz que Diex les refu£e.
Li chauz,ii venz & la fiimée
I efloit bien acoullumée :
Ce les grevoit aus iex formen
Et les metoit en gtief torment ,
1265 Nequedent fes mains en tendo
Vers Dieu , & grâtes Ten renddit.
D'iluec fen ala à Mapur,
Une mefon fête de mur
Et de boe & de viez méfrien
1270 Si yiels que il ne vaut mes rien.
Iluecques mult i dèmora ;
Dieu i fervi &'aora.
A la bone dame donèrent ' T
.Ij. mile mars ; à tant finèrent '
1 275 De fon douaire fi ami ;
Ainz n'en retint marc ne demi :
Tout départi aiis povres genz ;
Aînfi Ten ala li argenz.
Or li firent remez encor
1280 Robes, veflel d'argent & d'or,
• • • '
I. I.«f, brochet.
*;. ♦
La Vie Sainte Élysabel. 357
Et dras de foie à or batu2 ,
. Si fu H orguex abatuz
Conques nul n'en vout retenir :
A Dieu en lefla convenir.
1285 El non du Père efpérital
Fonda iluec .i. hofpital ;
Iluec couchoit à grant honor
Mult de povres Noftre Seignor.
A boivre , à mengier lor donoit ,
1990 Tout le fîen i abandonoit.
De fes amis en fu blafmée ,
Et lédengie & méfamée ,
Et clamée foie & ihufarde ,
Por ce que les povres regarde.
1295 Qi^ant tels chofes pooit oïr,
Riens ne T pooit plusefjoïr.
En paine , en tribulacion
. Et en fa grant temptacion ,
La conforta, ce dift Fefloire,
1 3oo Après Dieu k Pape Grigoire ,
Qui par lettres la faluoit
Et multd'efcriz 11 envoioit
Où multavoit enfeignement '
Por qu'ele vefquift chaftement ,
1 3o5 Examples de fainz & de faintes
Et de douces paroles maintes ;
Et 11 prometoit à avoir
Avoec tout ce .i. douz avoir :
Cefl la, joie de paradis,
i3io Que li faint conquiflrenc jadis.
358 La Vie Sainte Élysabel.
S'ele voufift greignor avoir,
Grant feignorie & grant avoir
Euft eu plus que devant :
Tout ne prife .i. trefpas de vant.
i3i5 Mettre CoRRAs bien li fermone ;
Temporels chofe ne ibifone :
Toft efl pafle du foir au main ;
Teb richeces c'on a en main
Ainiinc f en vont comme eles vienent t
1 320 Que Ten ne iet qu'eles devienent.
L'amor Dieu ot fi ou cuer,
Toutes tels chofes geta fuer.
Des diz au meflre Û fouvint ,
Si que par force li convint
i325 Enfanz et richece oublier
Et feignorie & marier.
Lors difl-ele à fes chamberières :
t Diex a oïes mes proières ;
Seignorie que j'aie eue
i33o Ne pris pas .i. rain de fégue ;
Mes enfanz aim pou plus d*ainfins
Que les enfanz à mes voifîns ;
A Dieu les doing^ à Dieu les lais t
Face en fon plefir déformais.
1 335 En defpiz , en deflractions * ,
En autres tribulacions, '
I. Ce vers et les trois suivants manquent au Ma*
7633.
La ViK Saints Élysabsu 359
Sachiez , de voir, tant m'i délite
Que la joie n'efl pas petite.
Je n'aim fors Dieu tant feulement,
1 340 Mon créator, mon fauvement. i
Meilre Corras mult la tençoit.
Por ce que plus la tormentoit ,
Li oftoit d'entor li la gent
Dont plus li eftoit bel & gent.
I ^ Ce fift por li plus tormenter
Et por h fère gaimenter.
Dift Yfentruz : « Por ce que pltu
M'amoit que tout le feureplus ,
Ne mift-il fors de la mefon ,
i35o Et fe n'i fot autre refon ^^
Fors li grever & anoier,
Et por croiflre le Dieu loier
Par celé tribulacion ,
Es vous toute fentencîon.
i355 Sa compaigne qui dès enfance
Ot fet avoec li pénitance
Li ofla, fî que de nous .ij.
Li engreignoit toz jors li deuls.
Por nous .ij. mult fovent ploroit
i36o Por ce que fanz nous demoroit ,
Que vous feroie longue rime ?
La gent félonefTe & encrime
Mifl entor li , la bone ofla.
Si cruels vielles à ode a ,
i36S S'ele mefprent eles Tencufent;
16o. La Vie Sainte Elysabel.
A li grever mult fovent mufent :
Ne refhiet pas penfer à trufes ,
Batre la font & doner bufes.
Quant meflre Corras à li vient,
1370 Puis que des bufies li fovient
Que Diex reçut , fi les reçoit :
Aiafinc vaint la char & déçoit.
Toz jors à bien fère famort
De Tenfance jufqu^à la mort.
iSyS Tant comme au fiècle fu en vie ,
Por haine ne por envie ,
Ne por mal c'on li féut trère,
Ne lelfa onques à bien fère. »
Ainfinc difl Yfentruz & Gronde ,
i38o Les .ij. meillors dames du monde ;
Lor feremenz fi bien facorde ^
Ce c'une dit l'autre recorde.
Efpérance d'avoir pardon
Ou par pénitance ou par don
i385 Fet endurer mainte méfaife ;
Li endurers fet mult grant aife ,
Quar mult legièrement endure
Qui efchive paine plus dure.
Cefie dame qui pou dura
iSgo Pénitance dure endura
Por avoir vie perdurable
Avoec le père efpéritable.
Ici difl la quarte partie ^
La Vie Sainte Elysabel. 36i
Là où efl la fins de fa vie ,
1 395 Qu'ele avoit une damoîfele
Qui avoit autel non comme ele :
An .ij. Élyfabiaus^ ont non
Prcude famé & de grant renon
Fu mult ceftc, ce dift Teftoire.
1400 Por ce c'onla péufl miéx croire,
Jura qu'ele diroit le voir
De quanqu'ele porroit favoir
De toute la vie fa dame ;
Ainfinc le jura defeur f âme »
1405 -c Seignors, diil-ele , ce fâchiez,
Sanz mauves vifces , fanz péchiez
Eft mult ma dame , & de vertuz
Efl mult li fîens cor reveibiz.
Ûï avez en quel manière
1410 Aus povres fefoit bêle chière :
/ Aus povres fifl plus grant fervife ,
Puis qu'ele fu en Tordre mife
Qu'onques n'avoit fet devant.
Aucune foiz & mult fouvant
1415 Lor donoit, ce difl Yfabîaus,
Le mes qui plus lor efloit biaus. »
Et difl encor que une dame
Guertrus , qui efloit gentiz famé ,
Vint véoir cefle dame fainte
1420 Dont l'en difoit parole niainte.
I. Ma. 7633. Var. Anbreduz Ysabiaus.
362 La Vib Sainte Élysabel.
Bertous , uns enfés , vint o foi ;
De Dieu fervir avoit grant foi :
Se li pria mult doucement
Qu'à Dieu priaft dévotement
1425 Que diez Tefperit de fa flame •
Si que iauver en péuil fâme*
Élyïabel Dieu réclama.
Que de cuer finement ama ,
Qu'à l'enfant otroiafl fa grâce.
1430 Ne demora guères d'efpace.
Quant il et la dame prioit,
Que li enfès haut fefcrioit : .
f Dame , leffiez voftre oroifon ,
Que Diex m'a mis hors de prifon
1435 Et m'a de famor efchaufé ,
Et mis hors des mains au maulé*
A chafcun ainfînc avenoit
Qui por tel cas à li venoit.
Ce li avint que je recort
1440 .1. an tout droit devant la mort.
Or avint, fi com d'aventure ,
Cune trop bêle créature
Vint à li , l'ot non Herluiz.
Li corages l\ ert fuiz
144.5 De Dieu amer parfètement ;
Ainz ot mis ion entendement
A fes bêles. trèces pingnier.
Ne vint pas por li enfeignier
Comment Fen devoit Dieu fervir
.%
La Vie Sainte Elysabel. 363
1450 Por faint paradis défervir :
Une feue fucr vint véoir,
Conforter & lèz ii féoir,
Qui chiés celé dame gifoit.
Or n'cft nus hom, fil devifoit
1455 Comment ele avoit biaus chevols,
Qui ne fufl au devifer fols;
Quar qui delez li f acoutaft
Il déifl qu'ors en déboutait.
Tant par eftoient crefpe & blonde ,
1460 Tant de fî biaus n'avoit el monde.
Ces cheveus fî crefpés & biaus
Fift coper fainte Elyfabiaus ;
Et celé pljcure, & brait, & crie,
Si que hautement fu oïe.
1465' Les genz qui ceft afère virent
A cefle bpne dame dirent
Por qu'ele avoit ce chief tondu.
La dame lor a refpondu :
« Seignor, fet-ele à briez paroles,
1470 N'ira-ele mie aus caroles :
Bien cuideroit eftre honie
A tout fa tefle defgarnie. 1/
Lors commanda c'on li apèle ,
^ A li venir celé pucèle.
1475 Celé i vint. Adonc li demande
De les cheveus refon li rande,
Qu*il li ont au fîècle valu
Puifque Tâme en perl fon falu. .
c Dame , ja en orrez la voire :
364 La Vie Sainte Elysabel.
1480 pu nonnaÎR blanche ou nonnaia noire
Éuife eflé , fe mi chevol
N'euffent fet mon cuer fi fol. t
— c Dont aim-je miex que ainfi foies ,
Tout por toi mètre en bones voies,
1485 Que li miens iilz fuil emperères ,
Si m'aït mefîres faint Pères, f
Âinfinc la prifl & la déçut ;
Eln Tordre avoec li la reçut.
En ce méifme jor avint
1490 Que Herluiz en l'ordre vint,
.L. marz dona d'argent
Et départi à povre gent ;
Mes ne pot pas celé pécune
Départir de jors fanz la lune.
1495 Li povres fen vont , li plus fort ;
Cil qui plus orent de confort
Meflier demorèrent o foi,
Mes cil n'orent ne £ain ne foi,
Ançois furent à grant délit
1 3oo Bien peu & forent bon lit ,
Bien aifiez treflout à point,
Lor piez lavez & furent oint
Qui crevé erent de méfaife.
Que diroi^ ? Tant orent aîfe
l5o5 Qu'oublié orent la deftrèçe
Et chanta chafcuns de léèce ;
Quar povres qui a bien , fanz foille y
Met tout le mal à la viez taille.
La Vie [Sainte Elysabel. 365
Efbatrc eftoit alée À. jor :
i5io Si comme ele efloit alée à fejor * ,
Loing trova de Ton hofpital
Une famé qui aloit mal.
La bone dame ûA la couche :
Dedenz une granche Tacouche ;
1 5 1 5 L'enfant reçut & en fu baille.
La pfemière fu qui le baille ;
Lever le fifl & baptifîer :
Son nom , qui tattit ûH à prifîer,
Mifl à l'enfant , Ten fu marraine :
i5lo Tel marraine n'a mes el raine.
Çhafcun jor le mois tout entier
Sot bien léenz le droit fentier.
Bien la porvit en fa géfine
De pain, de vin & de euifine.
1525 Quant li termines fu pafTez
Là où ele ot eu affez
Quanques droit à tel famé fu ,
Le pain, le vin, la char, le fu,
Et le baing quant il fu à point,
i33o Que de mefaife n'i ot point,
Et du mouflier fu revenue ,
Et la dame feil defveflue
* De fon mantel grant aléute
I. Le Ms. 7633 ajoute ici ces deux vers :
Loing de foii hôpital trourt
Une £Eune qui traviUa.
366 La Vie Sainte ^lysabel.
Et de fa propre chaucéure ,
i535 Avoec tout .xi), coloingnois
Dont li uns vaut .iiij. tomois ;
Tout li done. Lors fen parti ,
Quant tout ce li ot reparti ;
Et celé & fes mariz enlamble
1540 S'en fuirent, fi corn moi (amble.
Uenfiint lelïièrent en Tofté :
Tout l'autre avoir en ont oflé.
Devant c'on commençaft matines ,.
Ces .ij. qu'à Dieu font entérines,
1545 Yfabiaus , otr le fervife.
Et fa dame font à l'égUfe
Venues : quant la dame i vint
De fa fillole li fouvint.
Yfabel favoir i envoie ;
1 S5o Celé vint là. Que vous diroie ?
N'i trova que Tenfiint dormant. "^
Es-vous celi en grant tormant ; P
A ùl dame en eft revenue
Et li di la defconvenue :
i555 Va donc, fet-ele, l'enfant querre. »
Puis qu*ele font fors de la terre ,
Por norrir Tenvoia la dame
Tout maintenant enchiés la iknifr
D'un chevalier qui fa voifine
1 56o Eftoit , & de mult franche orine»
Lors envoîa querre le juge
Qui les droiz de la cité juge '^
La Vie Saïnte Élysabel. 367
Si commanda c'on les querrifl
Là où li querres f aferifï.
1 565 Demandé furent & rouvé ,
Et quîs , ainz ne furent trové.
Dift Yikbiaus : c Ma dame chîère ^
L'en ne'f puet en nule manière
Trover. Priez à Dieu le Père
1S70 Qu'il rende à l'enfant ùl mère. %
Celé difl qu'ele n'oferoit,
Que meflre Corras le fauroit ;
Mes face en Diex fa volenté.
Ainz n'i ot plus dit ne chanté ;
1575 Ne demora mie granment,
Se li efcripture ne ment ,
Li mariz & la famé vindrent ,
A genillons lez li fe tindrent ,
Et regehirent lor pechié
1 58o Dont maufez les ot entechié.
Devant li diflrent par couvant
Qu'aler ne pooient avant.
Remède quiilrent du mesfet
Que fanz refon a voient fet.
i585 Lorsdiflrent les genz du chaftel
Que des foUers ne du mantel
N'aura point ; ainz ert départi
Por ce que vilment f en parti.
La dame lor dift ; c Bien me pleft :
iSgo « Fètes-en tout quanques droiz eft. »
A une pucèle douèrent
368 La Vie Sainte Élysabel.
Le mantel qu'à celi oflèrent ;
Celé voua relégion
Tantoft de bone entencion, .
1 595 Une veve r'ot en fes piez
Les follers qu'ele avoît chaucie2 ;
Et celé reprift fon enfent
Qu'cle ot leflié mauvefement.
La vile lefle ; fi fen ift :
1600 Tant grate chièvre que mal gift.
Ermenjart, qui relégieufe
Efloit mult & fu curie ufe
De fervir Dieu parfètemcjût, , ,.
Reiifl aînfî fon ferement.
i6o5 Ainz fu de gris abit veflue
Que la dame fe fufl rendue ,
Et bien difl qu'ele acoufluma
La dame qui tel couftume a
A meniftrer aus povres feule.
16 10 Jufques lors ne menjoit lor gueule,
Qu'ele-méifme les peffoit ,
Que pou ou noient les leffoit,.
Tant eftoit la dame humble & fimple.
Aniaus d'or , & npiaus , & guimple
161 5 Vendoit & en prenoit Targent
Por doner à la povre gent.
Ci n'avoit mie grant orgueil ,
C'un enfant qui n'avoit c*un œil
Et fert tingneus , fi com moi mambre,
1620 Porta la nuit .vi. foiz à chambre ;
La Vie Sainte Élysabel. 369
Si girant pitié de lui avoit,
Ses drapiaus ordoiez lavoit ,
Et Tareinoit fi doucement
Con f éuft grant entendement.
«625 Puis qu'ele fu en Tordre entrée,
Tel cpuflum^ a acouflupiée :
Les malades baîgnoit fes cors
Et les traioit de lor lit fors.
Les baigniez recouchoit arrière
i63o Et les couvroit à bêle chière ,
Et fet coper une cortine
Qui la mefon toute encortîne
Por les baingniez enveloper ;
Por ce fanz plus la fift coper.
i635 Une mefele fî poacre
Qu'il n'avoit fi défi en Acre
Couchoit la dame & la levoit ,
Que nule riens ne li grevoit.
Les piez & les mains li lavoit
1640 Et le3 plaies qu'ele i favoit ,
Qu'ele gifoit en rofpital ;
N'onques li cuerrne Fen fift niai.
Ses compaignes ne la pooient
Regarder, ainçois f erj^ fuioient
1645 Mult aléja fa maladie":
Au chief de la herbei^erie -
La coucha por miex aaifier
Et por les plaies apaifier.
Mult doucement à li aloit ;
i.65o A li muli doucement parloit.
RUTBBEUF. II. 24
yjo La Vie Sainte Elysabel.
La laine qui de Tabéie '
Venoit (ce tefinomgne fa vie]
Filoit , & il ofifroit ^argent
Qu'el' gaaignoit à celé gent. '
i655 Des mains 11 odoit la quenoille
Por ce que trop fefoit befoingne ;
Si doutoient de li grever -
Et fi la fefoient lever
Por efbatre & efbanoier ;
1660 Mes mult li pooit anoier
Quant rien ne li leflbient fère.
Si prenoit'fa quenoille à trère
Por le filer appareillier ;
Quar toz jors voloit traveillier,
i665 Des grois poifions li envoioient
Riche homme qu'entor li efioient :
Fefoit vendre & doner por Dieu ;
Ne les metoit en autre preu.
Son père novèles oï
1670 Teles que pas ne refjoY ,
Que l'en H difl fa fille eftoit
Si povre qu'ele veftoit
Robe de laine fanz color'.
!• Les dix-huit vers qui suivent manquent au Ms.
7633.
a. Nos ancêtres tenaient beaucoup, à ce qu'il parait,
aux éto£GBs brillantes, surtout à la couleur écarlate.
On peut voir à ce sujet une note de Legrand d'Aussy,
tome II d%se$ Fabliaux, page aSi, édition Renbuard»
La Vie Sainte ;ÉLysABEL, 371
S'en ot lî preudom grant dolor ,
1675 Dont Tefloire ci endroit conte ,
Li Rois i envoia .i. conte :
Preudom ert & bon creftien ,
Si ot non ii quens Pavien ,
Et li diil : Quant vous revenez , *
1680 Ma fille avoec vous amenez. »
Li quens fe parti de Hongrie
A mult trè^ bêle compaignie ;
De chevauchier bien fentremifl.
Ce ne fai-je combien il mifl
i685 A venir jufqu'à Mapur droit.
Si la trova en tel endroit
Qu'il ne la cuida pas trover,
Et lors pot'il bien efprover
Les paroles de la poverte
1690 Con avoit au Roi defcouverte^
Quar il la trova el chaftel
Afublée d'un viez mantel.
Dont la pane le drap paiToit :
Li porters toute la îaifoit.
1695 Si la trova laine filant,
Et ii ne filoit pas fi lant
Com les autres , mes à granz trais ;
Et li preudom fefl avant trais. '
Quant il la vit fi povrement .
1700 Si fe merveille durement
. . Et difl : « Je voi ci grant defroi :
Ainz mes ne vi fille de roi
^'^ Laine filçr, n'avoir tel robe, t
372 La Vie Sainte Élysabel.
Cefte ne fet pas trop le gobe :
i7o5> Là où £ei marche lî dépièce
D'autre drap i met une pièce.
Volentiers l'en éuft menée ,
Et réuft mult miex aflenée
De fa vie , & enchiés fon père ,
1710 Quar vie menoit trop amère.
Il f en ala , n'emmena point,
Et celé remeft en tel point.
En y ver , par la grant froidure , •
Se gifoit for la chaume dure :
1715 Ij . coûtes jnetoit defus foi .
S'ele avoit aifez fain & foi ,
Si fe penfle que ne F en chaut
Puifqu'ele avoit aus codez chaut.
Aucune foiz ce li avint
1 720 Que mettre CorHas à li vint *
Por li mener : fi renmenoit ;
De fa laine li remanoit
A filer ; fi vendoit la laine :
De l'argent retenoit fa paine
17^5 Et lor rendroit l'autre partie
Quant la feue en eftoit partie;
Quar léaument vivre Voloit
De la laine qu'ele filoit.
Mettre Corras forment cremoit
I. Lçs huit vers qui suivent celui-ci manquent au
7633 , et ceux qui le précèdent n'y. sont point placés
dans le même ordre qu'au Ms. 7218
La Vie Sainte Élysabel. 37
1780 Por Tamor Dieu que tant atnoit ,
' Et difoit une tel refon :
, c Doit eflre il uns mortels hom
Doutez. Nenil, mes Diex li Pères,
Lès qui amors ne font amères. »
1735 , En .i. ploiftre fenfu entrée
Où meflre Corras l'ot mandée ,
Por prendre là confeil le plus,
Se il la metroit en reclus ;
Et lors prièrent les nonnains
1740 M eflre Corras à jointes mains .
Qui léenz entrer la féifl
Si que chafcune la véifl.
« Je vueil bien, dift-il, qu'ele i aille. »
Nequedent , il cuidoit fanz faille
1745 Qu'el n'i entrafl por nule chofe.
Atant fi Tont léenz enclofe;
Chafcune d'eles l'a véue ,
Et quant de léenz fîi ifiue ,
Meffre Corras li vint devant -
1750 Qui li ala ramentevant :
t Voftrc voie eft mal emploiée :
Vous eftes efcommeniée. »
Ne li pot miex la jangle abatre,
A .i. Frère les a fet batre
1755 Qui avoit non frère Gautier.
Meftre Corras difl el fautier
La Miferere toute entière ,
Et cil batoit endementière.
Ermenjart n'i ot rien mesfet ,
374 La Vie Sainte Elysabel.
1760 Qi^e meflre Corras bâtre fet ;
Mes lî meflres bien ce retient :
« Bien efcorce qui le pîé tient. »
Lors dîft la dame : « Ermen)àrt fuefi
N'aîans pas ces cops contre cuer ;
1765 L'erbe qui eroift en la rivière
Se pleife , puis revient arrière ,
Joieufement fe liève & plefle ;
Auffî te di que le cop befle
Pdr recevoir la defcipline
1770 De componcion entérine,
Que Diex le mesfet li pardonne ,
Por que il aus cops f abandonne ! t
Ermenjart dit bien & recorde
Que la dame fovent facorde
1 775 Au vivre de garder diète ;
Que fa complexion ne V mete
En maladie, que l'orer
^e convenift à demorer.
Ses bajalfes , fes damoîfeles
1780 Ne pooit pas foufrirque eles
L'apelaiflent dame à nul fuer,
Fors fetil El3rfabel ou fuer. *
A fa table, delez (a cofte,
Les^fet féoir , d'autre les oile
1 785 S'a autre vuelent aiféoir ;
Ainz les vetit delez li véoîr.
Mengieries fet en fefcuele :
La Vie Sainte Eltsabsl. SyS
S'or fa dame , or eft damoifele.
Diit Ermenjars , qui mult fu fage :
1 790 c Vous querez le noilre domage ,
De ce que nous orguillifïons ,
Quant lez vous à table féons,
Et aquerrez en ceftui geu
Voftre mérite & voftre preu. »
1795 Lors répondi la dame adonques :
c En mon giron ne féez oncques ;
Mes or vous i co vient féoir :
Si vous porrai de près véoir. >
Pot & efcueles lavoit ,
1800 Là où ordoiez les favoit,
Com fe de Toftel fu bajafle :
Iffi f ufe & iffî fe lalTe.
Aus povres fa robe donoit ,
Si que petit Temremanoit '
i8o5 Por chaufer ou por le pot cuire ;
Por efchiver la grant froidure
Aloit féoir en la cuifîne ,
Et né penfle ne ne devine
Fors à regardée vers le ciel.
1810 Por doutoit lors froidure & giel * ;
Ne li chaloit fêle trambloitT*
(j. C'est ici que le Ms. place ces quatre vers^ qui te
trouvent page 211: ,.—-*'
- ^
Maiftre Corras forment cremoit l^'-^^f i^
Por l'amor Dieu que t«nt amoit,
Et difoit une teil raifon : "^
« Doit eftre si uns morteiz hom. »
376 La Vie Sainte Élysabel*
De ce , fains Martin refambloit,
Qui vers le ciel regarda tant
Dieu , qui les liens toz jors atant ;.
181 5 Aucune foiz fa robe ardoit
Que que vers le ciel regardoit.
Les bajalfes convenoit corre
Por fa robe du feu. refcorre
Là où li dras efloit ufez.
i8ao Jà autres n'i fiifl refufez ;
Ne li chaloit ou viez ou nues V-
Volentiers le metoit en oes ;
Les povres aloit reverchant
Et lor afères encerchant ;
1 82 5 Si lor portoit pain & Êirine
Celé dame tle bone orine y
Puis revenoit à Forifon :
Lors déiffiez qu'efl en prifon
Reliques de fainz & de faintes.
i83o A nus genouz & à mains jointes,
Aoroit ; yolentiers , Iknz doute ,
Bien aloit après Dieu lor route.
Meflre Corras fot fon grant don *
Qu'ele donoit tout à bandon :
i835 Se li desfent qu'ele ne doingne
A nul povre qui à li viengne
Cun feul denier à une vpie
(Ifli de doner la defvoie) ,
I. Les huit vers suivants ne se trouvent qu'au Ms.
7218.
miwi^P^mimv
La Vje Sainte Élysabel. 377
Ou de pain une feule pièce ;
1840 Mult bien fen g^irt^i^ue qu'il li grièce.
Une foiz aloit .i. hernikc^
Vifiter, mes voie petite
Ot aie , que li meflres mande
Qu'ele retort , que plus n'atande.
1845 La dame refpont au mefTage :
c Amis , bien pert que nous fons fage»
S'dr ne refamblons la limace
Jà aurons perdu noïlre grâce.
La limace gète fon cors
i85o De Pefcalope toute fors
Par le biaus tens; mes par la pluie
: Rentre enz quant ele li anuie :
Iffi covient-il or nous fère
Reperier à noflre repère. 1
1 855 .L en&nt ot petit & tendre ,
De fes enfanz treftout le mendre ,
Qu'enfus de !i fift eHoingnier,
Qu'ele doutoit à porloingnier
Ses prières por cel enfant :
1860 Por ce le venir li desfant ;
Et fi avoit une couflume
Qu'autre gent guères n'acouflume :
Ne cuit que jamès nus tele oie ,
Que lorfqu'ele avoit plus grant joie
i865 Ploroit-ele plus tendrement ;
♦Et véiffîez apertement
Qu'il ne paroit dedenz fon vis
Corouz ne fronce , c'eft avis,
378 La Vie Sainte Élysabejl.
Ainçois chéoit à lerme plaine
1870 Com li ruiflîaus de la fontaine*
Les lermes vienent , c*eïl la fin ,
Du cuer loial & piir & fin.
.11. .
UAe foiz en|;fa e^ ,.i. clpiftre
De povreç genz qui par acroiflre
.1,875 Ne fe pooient de lor biens ;
Fors d'aumofne n'avoient riens.
Ymages li monftrent bien fêtes,
Bien entaillies à. portrètes;
Mult or^nt cpuflé, ce li famble,
I 88q Ainçois que il fiiflent eniamble ;
Mult l'en pela , & bien.lor monftrei
Et mult loren va à rencontre,
Et difl : c Je çroi miex vous en fuft|
Se ce c'on a mis en ce fufl
i885 . Por fère entaillier ces ymages
Fuit mis en preu ; c'or efl domages
Qui a Tamor de Dieu el cuer
Les ymages qu'il voit deiuer «
Si ne ii font ne froit ne chaut.
1890 Endroit de moi il ne m'en chaut, '
Et bien fâchiez, ce me conforte,
Que chafcuus Crefliens, là, porte
Les ymages el cuer dedenz.
Les lèvres muevi:e ne les denz
1 895 Ne font pas la relegion ,
Mes la bone componcipn. 9
Ne pooît oïr les paroles
La Vie Sainte Elysabel. 379
Qni yîeanent des penffées voles ,
Ainz difoit de cuer graciex :
1900 c Que font ore, Diéx , li gloriex? t
Ceft-à-dire qui a favoir
Que de Dieu doit paor avoir,
Qu'il ne mefpraingne en fon fervife.
Or avez oï en quel guife
1905 Vefquî : encore i a aflez ;
Mes je fui d'efcrire laffez
De paiciencé & de pitié * ,
De charité &d'amiflié,
Et de fens & d'umilité ,
1910 De douçor & de charité,
De foi & de miféricôrdé,
Aflez plus que ne vous recorde.
Si com nous avons bien apris
De eels qui entre bons e(l pris
1915 De bon regnier avoir au (îèclè
Qui nous diflrent la droite riêgle
Et qui font eu fanz dàngier
A fon boivre &. à fon niengien
Yfabiaus dont je dis devant
1920 Fu avoec li a fon vivant,
Qui tout ifli la téfmoingna ;
Mes à ce plus de téfmoing a ,
Qu'autres i furent, ce me famble,
I. Les douze vers suivants ne se trouvent pas au
Ms. 7633.
38o La Vie Sainte Elysabel.
Qui bien f acordèrent enfamble.
1 92 5 Mult eft fols qu'en fon cors fe fie ,
Quar la mort , qui lé cors desfie ,
Ne dort mie quant li cors veille,
Ainz li efl toz jors à Toreille : ""
N'eft fors qu'aprèz li granz avoirs.
1930 Tout va^ & biauté & avoirs :
Por c'eft cil fols qui f en orgueille ;
Quar il Fefprent , vueille ou ne vueille.
Folie & Orgueil font parent ;
Sovent i eft bien apparant.
1935 Tout va , ce trovons en efcrit,
Fors que Tamor de Jhéfu-Crift.
Li fel , li mauves , li cuivers ,
Qui adès a les ciex ouvers
A regarder la mauvèfe oevre ;
1940 Qui nule foiz fa bouche n'uevre
Por bien parler ne por bien dire ,
Doit bien avoir le cuer plain d*irc
Quant du fiècle doit départir.
De duel li doit li cuers partir
1945 Quant il voit bien Êins féjomer
Qu'il n'en puet plus retorner,
Perdre li eftuet cors & âme
Et mètre en perdurable flame.
Mes li bons qui a Dieu fervi
19S0 Et qui aie cors aÛervi
Au fiècle por l'âme franchir,
Cil ne peut chéoir ne guenchir ,
La Vie Sainte Elysabel. 38i
Que fâme n'ait îfnel le pas
. Paradis après le trefpas.
1955 Liement le paflage pafTe
Qui toz maus au. paiTer trefpafle.
En la mort a félon paflage :
Palfer i efluet fol & fage.
Qui cel pas cuide trefpafTer
1 960 En fol cuidier fe puet laffer.
Tout li efluet leffîer; tout lefle.
La mort ne fet plus longue leile
 celle dame ci endroit.
Por ce vous vueil dire orendroit
1965 De fa vie ce que j'en truis. ;
Ne dites pas que je contruis ,
Ainz fâchiez bien , en vérité ,
C'efl droiz efcriz d'auélorité
Yfabiaus difl : a Seignor, j'eftoie
1 970 Lez ma dame , où je me féoie ,
Quant ele ert au point de la mort ;
Et lors 01, non guères fort,
Une douce voiz & férié.
De fon col me vint cèle oïe :
1975 Tornée ert devers la paroi ,
Et lors fe torna devers moi.
Se li dis lors tout efraumeht :
i Chanté avez trop doucement ,
Ma dame. — As-le tu oï ?
1 980 -t- Oil ; il m'a tout efjoï. »
Lors difl : t Uns oifeles chantoit
38a La Vie Saints Élysabbu
Lez moi , lî qu'il m'atalentoit
De chanter : por ce lî chantai ;
Grand confort de fon douz chant ai.
1 985 Et quant nous vit delez fon' lit ^
Si vous di mult li embelit ,
Et diil : « Dité^ que feriiez
Se ci Tanemi veiiez ? »
Mult petit demoré i a
1990 Quant à haute voiz Tefcria' :
« Fui de ci , fui ! fdii de ci , fui I »
Ce or-)e,&àce fui.
Puis difl après : t Or fen va cîi,
Parlons de Dieu & de fon fîl.
1 995 Li parlers pas ne nous anuit \
Quar il eft près de mienuit
Et à tele eure fu-il net ,
Li purs , li fins , lî afiney* \
Et f ot en lui fi douce touche * ^
2000 Qu'il vout eflre mis en la* couche.
Lors cria-il l'éftoilè clêre
Qu'il fu nez de fa dôilce mère ,
Qui les .iij. rOis â lui'coaduit ,
Sans avoir nul autre conduit, t
2005 c Au parler de Dieu déifiiez,
Se vous él vis la véifïîez ,
Qu'ele n'avo itmî^l ne dolor,
Que lors ne perdift jà color.
Dire li oï de fa bouche :
!• Les six vers suivants manquent au Ms. 7^3 3«
-• -î
La VjE Sainte Elysabel.
20 lO c Ermenjart, que li jors aprouche
Que Diex apèlera les liens, t
Cel jor fu lie for toutes riens
En cel eure qu'ele fina.
Celé qui fî douce fin a
201 5 Fu tout auii comme endormie ,
Qu'au trefpafler n'efl point fenie.
•liij • jors fa 11 cors for terre
C'on ne le muet n'on ne Tenterre.
Une odor lî douce en ifToit
ao20 Qui de grant odor rempliiloit
Toz cels qui entor li venoient
Qui envis la bière leflpient.
Au cors couvrir n'ot pas riote :
Couvers fu d'une grife cote ,
202 5 Le vis d'un drap , c'on ne le voie ;
N'i ot autre or ne autre foie.
. Aifez i vint grant alëure
De gent coper fa vedéure ;
Des cheveus & du mammeron
2o3io Li copa l'en le fommeron;
Doiz de piez & ongles de mains
Li copa l'en, ce fîi du mains.
Toute l'éuflent dérompue
Qui ne lor éuil desfendue.
2o35 Povre gent & malade & (ain^
Vinrent léenz treftuit à plain.
Chafcuns la plaint * & la gaimante
!• Ms. 76J3. Vax. pleure.
383
384 La Vie Sainte Élysabel.
Com fêle lor fiift mère ou tante.
Ânuiz fambleroit à retrère
2040 Qui vous conteroit tout Tafère.
Par tout est bien chofe feue ,
(Ce fçt la gent grant & menue,
Et par les tefmoins par couvent)
Que Diex le refveilloit fovent
2045 De fes fecrez , & nis fi ange
N'efloient pas de li eftrange.
Lui-méifmes vit face à face
Et mult d'angles à grant efpafiè ;
Et lors qu'ele eftoit ravie
2o5o Con déift qu'ele eftoit en vie ,
Avoit mult très clèré la chière :
^ Ceftoit avis qn'en bon lieu ière.
^ . De ce fe tut , bien le cela ;
Fors à gent ne le révéla ,
2o55 D'ordre fage & relegieufe
Qui n'eftoit foie n'envieufe ;
Quar mult doutoit en fon mémoire
Qu'il ne chéift en vaine gloire ,
Quar el ne l'a voit pas apris ,
^060 Âinçois avoit le bon mors pris
D'ellre piteufe dès enfance,
Et à fère grief pénitance.
Allez vous puis ci raconter
Chofe qu'à anui puet monter ;
:2o65 Quar je n'ai pas dit la moitié
De l'amor & de l'amiftié
Qu'à Dieu monftroit & jor & nuit ",
SAUDAÇOES
DE UMA MëNINA a SEU PAI E A SUA MAI
nos 8BDS DUS RàTAI.ICIOS
Querido Pai,
Nâo ha dia no anno em que nâo
faça eu votos d'alma por vossa feli-
cidade; porém vosso dia natalicio
deve ser consagrado mais particu-
lannente a vos exprimir o amor e o
respeito, que vos dedica a mais
terna e amante das fîlhas.
Sim, querido Pai, eu rogo lodos
- 'Ji —
os (lias a Deus para que torne vossos
an nos tào numerosos , qiiantos teem
sido os cuidados que haveis toniiado
com minha infancia.
Gozai sempre- da saude a mais
pei'feita e mais constante; e seja vossa
felicidade tào duradoura, quanto
serào, para comvosco, os sentimentos
de véneraçào e profundo amor da
Vossa filha do coraçào.
Querida Mai,
N*este dia, em que meu coraçào vos
deve uma terna homenagem, recebei
de minha mào a offerta d*esta flor.
É um présente proprio da minha
Ua. Vis Saints ÉlysabiUm. 3>tt
Quar je doute qu'il ne voustnult;
Et néquedent fil vous grctvoil
2070 Et fil anuier vous devoit*
Vou& di là oiï ek habita
.Xvi. mors i reiufcîta,
.1. avugle raluma là
Qui dévotement i «la^
2075 Qui ooques osil a'ot eit \a telle, '
Ne famhlajat où [il déuft eftre ^
Dont chafcuns qui V vit fe eoerveille ;
Hès Diex fet bien fi gracil ntenresllel...
Puifi}u'ele fu mife en la ch&âb
2080 De plors voua di a une mtiTe
D'ulle* decocu une goûte ,
Qui petit .& petit dégoûte ;
Et c'eil bien à favoir certaiik
Con le piiAet bkn véoir à plain :
2o85 Goûte de roufée reiam1:de ,
Quant r«2ae gpute à Vautre aifiuDblc^
Si com dxk cors faiat Nicolas,
Qu'aiox. nus des à), n'ot le collas
De lèira «avre^ de charité :
2090 Ce fet chaiictta& de vérité.
Celle dame iainjulme & iainte
Qu'aûu de Dieu fervir ae fu fiiunte,
AperteaMtat èk main à maîn
* Trefpa& Uy^t droit lendemaiii
2095 Des odaves la Saint-Martin
En yver, fî com je tfevin.
RUTIBKUF. II. a 5
386 La Vie Sainte Elysabbl.
En rofpital en fa chapele
Fu enterrée comme celé
Qui de faint Nicolas la fifl
2IOO Vers qui onques rien ne mesiîiL
Par la volente Jhéfu-Crift ,
Si com nous trouvons en efcrit y
Vindrent abé & autre gent ,
XJu'à l'enterrer furent ferjent ,
2io5 Et li firent très biau fervife
Tel com Ten puet fère en égli^g^
Uns riches hom vint à fa châfTe * .
Où mult avoit d'orgueil grant mafle
Et de très grant péchié mortel ,
2IIO Quar fe la mort éuft mort tel ,
En enfer en alall errant ,
Ne fus morel , ne fus ferrant.
Vers la dame fift fa clamor,
Quar mult i ot foi & amor : *
a II 5 Gariz fîi envers la maufé ,
Qui de ce Tavoit efchaufé.
Cil riches hom bien le connut ,
Qu'ainz puis temptement ne li mut ,
'Par quoi rechéiil en péchié ,
ai 20 Dont maufé Favoit entechié.
Tel dame fu de toz endroi?*,
Qu'ele fefoit les contrez droiz ,
Les fours oïr , fols ravoier :
Onques ne la fot déproier
I. Ce vers et les treize qui le suivent manquent au
Ms. 7633.
La Vie Sainte Élysabbl. 887
aiaS Qui de fon mal n'éuft fanté.
Ne vous auroîe hui tbut chanté :
AiTez fîft de miracles biaus
Ma dame faint Élyfabiaus.
Bien la doivent' enfant amer,
2 1 3o Qu'en li ne trovèrent amer :
Ne lor fil dure ne amère ,
Ainçois lor fu fanz amer mère ;
Et li jovent en lor jovant?*
La doivent amer fanz doutance ;
21 35 Quar de la mort efpériteT*
En gari mains, & tout itel
Fift-ele de temporel mort ,
Qu'ele refufcita le mort.
Amer la doivent povre & riche ,
2140 Conques aus povres ne fut chiche ,
Ainz lor dônoit fans retenir
Quanques fes mains pooit tenir.
Ainfinc fîft la benéurée :
Bien dut f âme eftre afféurée ,
2145 Dont RusTEfeuÉs a fet la rime*
Se RusTEBués rudement rime
Et fe rudèce en fa rime a ,
Prenez garde qui la rima.
RusTEBUEF , qui rudement œvre ,
2 1 5o Qui rudement fet la rude œvre ,
Qu'aflez en la rudèce metit ,
, Flima la rime rudement ;
Quar por nule riens ne croiroie
M8 La Vis Saints Élysabal.
Que bttés im £éift irude roîe ,
2 1 5 5 Taat i rnéiH Ten graat eilude.
Se Ru&TBBuÉs fet rime cudfi ,
Je n'i part plus ; mes Rustbsués
Eft auû rudes coinme uns bu^ ;
Mes une cieas me récoafoite :
^2 i6o Que cil par qui la ^ la pOrte
A la roïne Ysabsl
De Navarre, chimult ert bel;
Que Ten li li£e & c^u'ele l'oie ,
Et mult en aura-el grantjoie^.
2 165 Mefire Erasls la me ôfl fère ^
De li fignes-, & toute teère
De latin en rime françoife \
Quar Teftoire eil bêle & cortoile,
Ueiloire de la dame, a£a
2 1 70 Qu'à Dieu ot cuer féable &. fuu
De fin cuer loial finement ,
Se Tefloire en la fin ne ment,
Bien dut finement définer,
Quar bien volt fan tens afiner
2175 En iervir de penfiee fine
Celui Seignor qui lanx fia fixie
1. Ce passage, comme nous Tavons dit, prouve
que cette ^pièce a été composée avaal 1^719 époque
où mourut Isabelle.
2, Évrart de Valéry, chambrier de France et con-
nétable de Champagne, mort en 1277. (Voyez^ pour
plus de détails sur lui, la Complainte du roi de Na-
varre et celk du Comte de Neifera, )
La Vie Sainie Ëlysabel.
Or prions donc à celi
A cui tant bien fère enbeli
Que por nous deprit à celui
SI 80 Dieu qui ne refufe nului.
Et par fa proiëre en proit celé
Qui fil & fa mère &fancele,
Que il nous otroit celé joie
Que il â celé Dame otroie.
ai8S Explicil, Diexenfoit léez !
Dites Amen , vous qui l'cez.
i&ifËA Ifi We jriiâc €lgMb(l.
TABLE
DU DEUXIÈME VOLUME
Pages.
De Brichemer i
Li diz des ribaux de Oreive 6
La defputoifon de Challot & du barbier 8
De Peftat du monde i5
Les plaies du monde 24
De la vie dou monde , ou (7eft la complainte
de Sainte Eglife : 3o
De Sainte Eglife 45
Ci coumence le diz de l'erberie b i
De Frère Deniie » 63
C'eft li teftament de Tâne 78
Le pet au vilain 86
C'eft le dit d'Ariftotlô g3
Ci encoumence de Chariot le Juif, qui chia en
la pel dou lièvre 98
De la dam me qui fîft les trois tours entour le
mouftier ia3
Du secreftain & de la famme au chevalier. ... ii3
L'Ave-Maria Ruftebeuf • • 142
Cest de Noftre - £>ame, ou Une chanfon de
Noftre-Dame •....• < 149
39s Taslk r>9 Debxj^mk V«x.inu.
Wdii dea proprietBci NoftnvCsnw, tSa
Un difl de Noftre Dame 164
La voie de Paradis, ou Ci eueoumence la voie
d'uroilitei 169
Lk bataille de* vices coBtn )M vertus, ou Ci
encoumence li dix de la menfuoge 204.
La lectioni d'rpodîTttt ft d'aatiÏKî ou Ci
encoumence le dit d'ypocrilïe -. . 217
Ci commence le miracle de Ttiéophile 23i
La vie Sainte Marie l'EgypIianne ou Ci encon-
, raence la vie de Sainte Marie l'Egypcienne. . i63
La Vie Sainte Elyfabel, ou Ci enceuntetite la
Tie aainte Etyfabel, filfe an trn île Hongrie.. îio
/
ACBZYÈ o'iMPRIMER
LE XXX* 70UR d'octobre MDCCCLXXIV,
AP&àS A.YOIR ÉTé REVU AYKC SOIN
SXJR LBS MANaSCRlTS
ORIGINAUX
PAR ACHILLE JURFlfAL,
QUI AVAIT PUBLIÉ LA PREMIÈRE ÉDITION
PROPRIIS IMPENSIS ET CURIS.